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Don Carlo de Verdi à l'Opéra de Marseille

Sans doute l'opéra le plus flamboyant, le plus lyrique, le plus engagé, le plus généreux de Giuseppe Verdi. Qui, le temps de retrouver les fastes et les drames de l'Espagne du Siècle d'Or, nous plonge dans les arcanes du pouvoir dans un constant sentiment, pour les protagonistes, d'impuissance et de solitude.


Don Carlo © Christian Dresse
Don Carlo © Christian Dresse
On sait que ni Schiller, et encore moins Verdi, n'ont voulu faire oeuvre historique. Tout est faux dans ce grand tableau de Velazquez : le rôle titre était faible et débile, son père n'avait pas trente-cinq ans, sa promise à peine quatorze, sa rivale borgne et disgracieuse...
Mais, miracle du théâtre et de la musique, un voile funèbre recouvre cet immense blockbuster opératique avec des personnages perdus dans leur rêve en or (celui des fastes de la cour) et noir (celui profond de la nuit ou de la mort).
Comme si en transformant un drame d'idées et de généreuses convictions en tragédie personnelle, le compositeur aidé par ses librettistes poussaient au paroxysme les rapports de force où chacun se noie dans ses propres intrigues : amoureuses pour les uns, politiques pour les autres. Avec, chape de plomb sur tous, la prépotence du Grand Inquisiteur et sa clique écrasante, totalitaire, de fanatiques encapuchonnés, pour un règne de la mort, du sang, du feu, avec encore et encore ce pouvoir qui doit toujours se plier all'altare...
Charles Roubaud (le spectacle est donné en coproduction avec Bordeaux), comme sur un écran " cinémascopé ", met en place une jolie version de ce psychodrame relativement sophistiqué et apporte avec la force de projections saisissantes ou poétiques une vision originale du drame de l'infant espagnol dans une économie dramatique certaine où la lumière y joue un rôle prépondérant.
Parce qu'elle gratte à l'os les personnages, voilà une lecture qui fait mouche, qui privilégie le " rythme " qui d'acte en acte s'amplifie, se raffermit, jusqu'à la résolution finale.
Juvénile, gauche comme le demande son personnage, Teodor Ilincai, campe un adolescent épileptique, enflammé, chante avec élégance, aisance et séduction.
Yolanda Auyanet, belle à damner tout un Tribunal de l'Inquisition est touchante dans les adieux à la Comtesse d'Aremberg, incandescente plus tard, exprime au mieux la fragilité puis le désespoir d'une reine-enfant (morte à vingt-trois ans). En fin de soirée la soprano ibérique déploie un abandon, un médium et un sens de la sprezzatura à la richesse inouïe, et vous laisse pantois, au baisser de rideau, avec un si bémol, impérial, tenu dix bonnes secondes !
Sa rivale Eboli ? Féline, amoureuse, cachant sous la mondanité un flux passionnel rare, voix aux couleurs âpres, sans complexe... Sonia Ganassi termine la soirée sur un O Don Fatale intergalactique digne des plus grandes tragédiennes.
Royale prise de rôle pour Jean-François Lapointe. Voilà un Marquis de Posa qui mérite bien sa couronne ducale. Dès son entrée en scène, de la passion amicale à l'autorité, divers, à la fois devant l'infant, le roi ou le public, chevaleresque, à l'engagement scénique et vocal exemplaires, le baryton canadien se montre encore une fois grand belcantiste, au phrasé impeccable, jouant du stentato mais aussi de la sprezzatura comme s'il était familier du rôle depuis toujours.

Nicolas Courjal apporte à Philippe II sa jeunesse physique, sa voix de mélodiste raffiné. La clarté de son timbre, nous éloigne certes des images stéréotypées voulues par les plus illustres doyens du rôle. Le tout au profil d'une vision plus neuve d'un roi jouet des contraintes du pouvoir. Il atteint avec simplicité la grandeur du monarque solitaire. Une incarnation approfondie d'un souverain qui assiste à la désagrégation des valeurs sur lesquelles il a fondé son attitude d'homme et de potentat.
D'une noirceur calculée, comme filtrée, décantée, sera son affrontement avec Wojtek Smilek (le Grand Inquisiteur) autre pantin politique...
Conduite par Jean-Marie Delpas et Guy Bonfiglio, plus présents que jamais, la députation flamande pour une fois ne mérite pas le bûcher.
La suissesse Carine Sechaye donne beaucoup de relief à son acrobatique Tebaldo. Moine et autres petits rôles d'une ferveur exemplaire.
En forme le Choeur dans l'Autodafé, d'une dimension réduite certes, mais sans reproche.
Entre fastes apparents et drame intérieur, la direction " au ralenti " de Lawrence Foster, toujours attentif, nous renvoie sous les voûtes de l'Escurial ou de la Chapelle Sixtine.
Sa lecture puritaine, orante, étonnamment dramatique, aux tempos surprenants, restera aussi comme l'ultime surprise de la soirée.
Christian Colombeau

Christian Colombeau
Mis en ligne le Samedi 10 Juin 2017 à 11:50 | Lu 1817 fois

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