12/10 > Marseille, le Dôme : Le tour du monde en 80 minutes, de Maurice Béjart. Par Philippe Oualid

L'ultime création de Maurice Béjart,Le Tour du Monde en 80 minutes,au titre inspiré par Jules Verne dans un esprit de galéjade, nous invite à suivre le chorégraphe dans les souvenirs initiatiques que lui ont apporté, à travers la danse, les différents pays du monde traversés au cours de sa longue carrière.


C'est un spectacle éblouissant

qui se situe dans l'optique des derniers ballets, L'Amour, la Danse, et La Vie du danseur dans la mesure où ce parcours entrepris par un jeune voyageur passionné(Etienne Béchard) qui arbore avec grâce et naturel les couleurs de Marseille, blanc et bleu ciel, mêle de temps à autre le quotidien des cours de danse à la découverte des diverses expressions chorégraphiques des pays visités.
Nous assistons ainsi à la succession ininterrompue d'une trentaine de tableaux qui nous entraînent du Sénégal au Brésil, en passant par L'Egypte, la Grèce, l'Italie, l'Autriche, l'Inde, la Chine, la Californie et même le Pôle Nord avec ses merveilleux pingouins qui s'effondrent, comme dans un jeu de quilles les uns sur les autres.

La voix de Maurice Béjart citant le président Léopold Sédar Senghor ("Sans ses ancêtres noirs, comment aurait-il pu faire un ballet comme Le Sacre du Printemps?") fait commencer le voyage au Sénégal où le corps de ballet masculin se déchaîne dans des sauts d'écart, des sauts carpés, des sissonnes réalisés avec une exceptionnelle souplesse, entraîné par la pétulante Catherine Zuasnabar au rythme de tambours et de cris. Nous allons ensuite au Sahara,en compagnie de six danseurs qui entrelacent leurs gestes saccadés de poses athlétiques, puis en Egypte où, sur un récital d'Oum Kalsoum, le mystérieux Julien Favreau, entouré de communiants en robes blanches qui l'ont cerné d'un rectangle de rubans, enseigne religieusement la danse du ventre à notre voyageur attentif.

Un détour par la Grèce nous invite à admirer un solo d'Isadora Duncan réincarnée par Daria Ivanova,et, ballottés par les vagues de sa danse libre, nous voici soudain projetés, au son des mandolines et des concerti de Vivaldi, dans une Italie très colorée pour célébrer le génie de la danse académique et de la Commoedia dell' Arte avec deux polichinelles farceurs (Neel Jansen et Sidonie Fossé) qui se font une passerelle du dos de sept danseurs nobles, avant que ces derniers ne réalisent dans une parfaite géométrie de figures, d'admirables jetés en tournant, des temps de flèche et de brillantes élévations en ciseaux.

Nous passons alors sans transition du joyeux au pathétique avec le solo d'Elisabeth Ros sur un lied de Malher qui va faire surgir, l'espace d'un éclair, un couple viennois du dix-neuvième siècle en grande tenue de Bal (Daria Ivanova et David Kupinski) pour valser sur la célèbre symphonie du Beau Danube Bleu. Une séquence cinéma inattendue au cours de laquelle la voix de Béjart décline les titres de ses films préférés, devant une toile désespérement blanche va permettre alors à Dafni Mouejiassi et Domenico Levrè de réaliser un étonnant pas de deux, tout en portés acrobatiques, qui s'inscrit en gigantesques ombres chinoises sur l'écran hospitalier tandis qu'éclate Parsifal, la musique tant espérée de Wagner.

A partir de là, tout s'accélère, les souvenirs se télescopent dans l'espace et le temps. Le détour par l'Inde qui remémore Bakti, la Chine qui suscite un beau solo d'Emilie Delbée puis un brillant pas de deux d'Elisabeth Ros et Julien Favreau nous conduisent,en passant par par le Pôle Nord,à Los Angeles où Daria Ivanova et Catherine Zuasnabar mènent rigoureusement la revue de filles en gilets roses dans un étourdissant numéro de claquettes interrompu par la méditation d'Hamlet devant un crâne, quelques mesures du Lac des Cygnes dans une séance d'echauffement, du folklore des Andes et, pour finir, une batucada endiablée dansée par toute la compagnie.

S'il devait délivrer un message, ce tour du monde en 80 minutes n'aurait, somme toute, qu'une seule chose à nous dire, c'est que la danse exige du vrai danseur un engagement total, que ce dernier ne peut rien faire d'autre que danser, grâce à une technique rigoureuse, pour parvenir à sa vérité qui consiste en l'accomplissement de soi dans la joie. Les spectateurs l'ont bien compris en faisant un triomphe au Ballet de Lausanne qui désormais,sans maître,donne aux disciples le courage de marteler, de défendre une conception à la fois divertissante et honorable de la danse susceptible de séduire les publics les plus divers.
Philippe Oualid.

LE TOUR DU MONDE EN 80 MINUTES
Ballet de Maurice Béjart
Tournée en france du Ballet Béjart Lausanne
Au Dôme de Marseille,le 12 Octobre 2008.

pierre aimar
Mis en ligne le Mardi 14 Octobre 2008 à 21:17 | Lu 1350 fois
pierre aimar
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