15-16 Janvier. La tentation d'Eve, Solo de Marie-Claude Pietragalla au Théâtre Toursky.Marseille. Philippe Oualid

Dans cette nouvelle création, Marie-Claude Pietragalla choisit de s'interroger à la fois sur l'image du corps féminin véhiculée par l'Eglise, et sur la représentation du comportement féminin fabriqué par des normes collectives dans l'Histoire, du Moyen-Age à nos jours.A travers un impressionnant solo de quatre-vingt minutes, l'ancienne danseuse étoile de l'Opéra de Paris dresse une série de portraits de femmes idéalisées, soumises, condamnées ou sublimées, en lutte contre des moeurs étouffantes imposées par le pouvoir dominateur des hommes.


Le spectacle se compose d'une douzaine de tableaux, des temps bibliques à nos jours, présentant des portraits de femmes qui se réalisent en opposition aux styles musicaux institutionnels de différentes époques.
Les premiers tableaux nous montrent Eve poussant laborieusement le fruit défendu, une énorme pomme-sortilège, sous le regard de trois terribles masques de dieux orientaux suspendus aux cintres, tandis que la voix off du comédien Daniel Mesguich récite les versets de la génèse;c'est ensuite l'enfantement dans la douleur, les contorsions, et l'animation de la progéniture-marionnette par le bras droit de la femme épuisée, étendue à l'avant-scène.
Une séquence plus élaborée, inspirée par Béjart, nous présente les métamorphoses de la Vierge en sorcière puis en vampire:affublée d'un masque blanc et d'un drap, Marie-Claude Pietragalla réalise en pliés, jambes écartées, buste penché, bras projetés en avant, mains pianotant le vide, un numéro de prestidigitation étonnant qui la transforme soudain en Jeanne d'Arc revêtue d'une armure de samouraï conçue par Johanna Hilaire(réalisatrice des masques et des costumes).
La plupart de ces tableaux sont accompagnés de brillants contrepoints musicaux:polyphonies religieuses, oratorios de Palestrina, Requiem de Mozart en particulier pour une impressionnante apparition en majestueuse robe Renaissance de Princesse Aurore, yeux bandés, dont l'ombre gigantesque se projette en fond de scène.
La réapparition du personnage en travesti du XVIIIème siècle, dans l'esprit de l'Indigent Philosophe ou du Neveu de Rameau se livrant, tricorne en tête, à un numéro de claquettes, avant de déclamer la tirade d'Arnolphe à Agnès dans l'Ecole des Femmes, puis de crier, comme au French Cancan, sur une marche cérémonieuse de Lully, apporte une note surprenante de burlesque dans ce solo dansé qui jusqu'alors semblait grave et désespéré.C'est que désormais la dérision est au programme avec des hommages tremblotants à la Pavlova de La mort du Cygne, à Barbara dans l'Aigle Noir, voire à certaines cantatrices italiennes de mises en scène contemporaines d'opéras-bouffe, type Servante maîtresse de Pergolèse.Le dernier tableau évoque la Femme PDG, hyper active, excitée, hystérique, mobile à l'oreille, ordinateur portable en mains, qui veut paraître libérée en défilant comme un mannequin des dernières collections de prêt à porter.
Tous ceux qui ont admiré jadis Marie-Claude Pietragalla dans les grands ballets du répertoire seront surpris de la voir prôner, dans ce solo, une danse libre, imprécise, qui exalte la plastique du mouvement pour le mouvement, ou multiplier dans une pantomime morbide des cassures de gestes qui se succèdent anguleuses avec des attitudes clownesques.Mais cette chorégraphie se veut avant tout une charge contre la notion d'Eternel Féminin, et en ce sens, elle correspond parfaitement à son projet provocateur, carnavalesque.Le public du Toursky a d'ailleurs accueilli cette performance avec un enthousiasme extraordinaire qui s'est exprimé par une ovation interminable pour féliciter la créatrice de pousuivre, à contre-courant de toutes les modes, une recherche personnelle qui l'auréole d'un grand prestige.
Philippe Oualid

pierre aimar
Mis en ligne le Lundi 18 Janvier 2010 à 17:43 | Lu 6180 fois
pierre aimar
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