L’ironiste dit autre chose que ce qu’il pense, mais à la différence du menteur ou de l’hypocrite, il fait comprendre autre chose que ce qu’il dit. L’ironie s’arrête en chemin, et brise la continuité par trop linéaire d’un discours, pour instaurer la dialogue. « Vanité » de la série MATA-HARI est ironique. Elle fait montre d’une tonalité dérisoire qui incline une conscience neutre vers le sourire.
L’art est poreux comme un os et c’est à travers lui que les mondes communiquent. Le réveil de l’ardeur morale à l’âge baroque se traduisit, entre autres, par l’apparition d’un nouveau discours sur la mort, le QUOTIDIE MORIOR, lequel requiert une constante préparation à la mort, par le biais d’exercices spirituels propres à en rappeler aux hommes l’imminence. La méditation sur le crâne et les efforts de vision apriorique du cérémonial funéraire en font partie. Dans le travail de Philippe Favier, le propos moraliste est atténué.
Approchez le crâne…au-delà de l’allégorie, il condense toutes les questions de la représentation. La drôlerie s’allie à l’étrangeté, qui pourrait être terrifiante si elle n’était pas médiatisée, désamorcée par le titre. Philippe Favier a été impressionné, enfant, par les squelettes de Lucas Signorelli (« La résurrection de la chair » à la Chapelle de San Brizio). L’œuvre elle-même interroge, y compris dans son mode de composition, à savoir le photogramme.
Le photogramme sur verre tiré sur papier baryté est selon la définition de Man Ray « une photographie obtenue par simple interposition de l’objet entre le papier sensible et la source lumineuse ». Il bouleverse nos habitudes et conventions liées à la perception visuelle, où le noir est perçu comme forme et le blanc comme fond (par exemple la page blanche sur laquelle on trace des lettres noires). Le photogramme opère un renversement de ces habitudes en produisant un effet de distanciation entre l’objet réel de départ et sa représentation. Dans la vie courante on regarde les objets, mais rarement leur ombre ; dans le photogramme, les ombres deviennent des objets de contemplation.
Et de songer à cette belle pensée de Tardieu : « L’espace : étant donné un point, que se passe-t-il derrière ? ». D’ailleurs, le travail sur la graphie est une constante du parcours foisonnant de Philippe Favier. La suite de gravures dites « Abracadavra » est née de la rencontre fortuite, sur un marché aux puces, de l’artiste et d’un lot de plaques de cuivre ayant appartenu à un graveur de cartes de visite. Dans le sillage du cadavre exquis surréaliste, l’artiste entremêle mots, rébus, figures. Ce prolongement d’objet est, pour reprendre Philippe Favier lui-même, une »métempsycose laïque ». Le rébus, le spectre, ou la douce ponctuation du manifeste et du latent. La graphie est un besoin assumé qui « cloue le bec aux images ».
Mais chez cet artiste obsessionnel du classement et pourtant inclassable (qui s’en plaindrait ?), il y a aussi la miniaturisation. Un travail se doit d’être regardé, pas simplement vu. Comme une mélodie se doit d’être comprise et pas seulement entendue-enregistrée. Toujours entre l’équilibre et la chute.
Des paysages hantés de petits squelettes très affairés. Esseulés, ils errent, se déhanchent, imprimant de leur fuite un long sillage. Squelettes miniaturisés au creux de vastes espaces, la série ETHER D’AMBONIL joue avec les frontières imperceptibles de notre regard. Une histoire familière et inquiétante nous est narrée : toujours la vanité. OMNIA VANITAS. De petites scénettes ou la mort s'étire et mime nos travers. La mort se joue de nous. A regarder de plus près, elle est un éternel mouvement. Ces petits os nous ressemblent et ils dispensent le docte enseignement de la ponctuation. Les boîtes en bois théâtralisent leur monde, le circonscrivent. La couleur est le contrepoint de cette énergie insufflée aux vivants. Un grand débordement qui s'écoule en ligne de fuite. Si le squelette est l'architecture du vivant, cette suite en est la mise en abime dédramatisée. Philippe Favier a réussi à nous faire don de petits sarcophages portatifs et méditatifs.
Les passions de Philippe Favier apparaissent en creux : on peut songer à Paul Klee, qui demandait à ses étudiants du Bauhaus, à la fois d’écrire et de dessiner, tour à tour pour compliquer ou défaire les clivages entre image et écriture. Le même qui signait de ses initiales, PK associées au dessin d’un trèfle (« Klee » veut dire trèfle en allemand), Philippe Favier choisissant lui le chou-fleur, signe fétiche en même temps que label. Autre empreinte, identité, jeu, je, multiplicité. Le rébus, dans son entrecroisement permanent au graphe nous étonne. Les énigmes de Philippe Favier questionne la relation au sens. Par ce travail, nous sommes dans l’absence et son vertige, et simultanément dans le référent et sa promesse. Un petit précis d’égratignures à tous ceux que la représentation satisfait, mais qui aiment par dessus tout aller regarder du côté des marges. Dans un entretien avec Françoise-Claire Prodhon daté de Mars 2001, à la question interrogeant son travail sur les cartes de visite, Philippe Favier répond : « C’est l’intuition qui décide, je m’engouffre dans les choses quand j’y perçois un pré-sens. Cette pulsion de prolongement est la seule façon que je m’octroie de donner la vie ! ».En écho (mais silencieux) à Paul Klee : « L’art est à l’image de la création. C’est un symbole, tout comme le monde terrestre est un symbole du cosmos. » (« Théorie de l’art moderne »)
Françoise FAUCHE-GROS
Vernissage mardi 16 décembre de 18h30 à 21h
Galerie Sollertis
12 rue des Régans
F 31000 Toulouse
Tél : 33 (0)5 61554332
Fax : 33 (0) 826 698 154
email : sollertis@sollertis.com
L’art est poreux comme un os et c’est à travers lui que les mondes communiquent. Le réveil de l’ardeur morale à l’âge baroque se traduisit, entre autres, par l’apparition d’un nouveau discours sur la mort, le QUOTIDIE MORIOR, lequel requiert une constante préparation à la mort, par le biais d’exercices spirituels propres à en rappeler aux hommes l’imminence. La méditation sur le crâne et les efforts de vision apriorique du cérémonial funéraire en font partie. Dans le travail de Philippe Favier, le propos moraliste est atténué.
Approchez le crâne…au-delà de l’allégorie, il condense toutes les questions de la représentation. La drôlerie s’allie à l’étrangeté, qui pourrait être terrifiante si elle n’était pas médiatisée, désamorcée par le titre. Philippe Favier a été impressionné, enfant, par les squelettes de Lucas Signorelli (« La résurrection de la chair » à la Chapelle de San Brizio). L’œuvre elle-même interroge, y compris dans son mode de composition, à savoir le photogramme.
Le photogramme sur verre tiré sur papier baryté est selon la définition de Man Ray « une photographie obtenue par simple interposition de l’objet entre le papier sensible et la source lumineuse ». Il bouleverse nos habitudes et conventions liées à la perception visuelle, où le noir est perçu comme forme et le blanc comme fond (par exemple la page blanche sur laquelle on trace des lettres noires). Le photogramme opère un renversement de ces habitudes en produisant un effet de distanciation entre l’objet réel de départ et sa représentation. Dans la vie courante on regarde les objets, mais rarement leur ombre ; dans le photogramme, les ombres deviennent des objets de contemplation.
Et de songer à cette belle pensée de Tardieu : « L’espace : étant donné un point, que se passe-t-il derrière ? ». D’ailleurs, le travail sur la graphie est une constante du parcours foisonnant de Philippe Favier. La suite de gravures dites « Abracadavra » est née de la rencontre fortuite, sur un marché aux puces, de l’artiste et d’un lot de plaques de cuivre ayant appartenu à un graveur de cartes de visite. Dans le sillage du cadavre exquis surréaliste, l’artiste entremêle mots, rébus, figures. Ce prolongement d’objet est, pour reprendre Philippe Favier lui-même, une »métempsycose laïque ». Le rébus, le spectre, ou la douce ponctuation du manifeste et du latent. La graphie est un besoin assumé qui « cloue le bec aux images ».
Mais chez cet artiste obsessionnel du classement et pourtant inclassable (qui s’en plaindrait ?), il y a aussi la miniaturisation. Un travail se doit d’être regardé, pas simplement vu. Comme une mélodie se doit d’être comprise et pas seulement entendue-enregistrée. Toujours entre l’équilibre et la chute.
Des paysages hantés de petits squelettes très affairés. Esseulés, ils errent, se déhanchent, imprimant de leur fuite un long sillage. Squelettes miniaturisés au creux de vastes espaces, la série ETHER D’AMBONIL joue avec les frontières imperceptibles de notre regard. Une histoire familière et inquiétante nous est narrée : toujours la vanité. OMNIA VANITAS. De petites scénettes ou la mort s'étire et mime nos travers. La mort se joue de nous. A regarder de plus près, elle est un éternel mouvement. Ces petits os nous ressemblent et ils dispensent le docte enseignement de la ponctuation. Les boîtes en bois théâtralisent leur monde, le circonscrivent. La couleur est le contrepoint de cette énergie insufflée aux vivants. Un grand débordement qui s'écoule en ligne de fuite. Si le squelette est l'architecture du vivant, cette suite en est la mise en abime dédramatisée. Philippe Favier a réussi à nous faire don de petits sarcophages portatifs et méditatifs.
Les passions de Philippe Favier apparaissent en creux : on peut songer à Paul Klee, qui demandait à ses étudiants du Bauhaus, à la fois d’écrire et de dessiner, tour à tour pour compliquer ou défaire les clivages entre image et écriture. Le même qui signait de ses initiales, PK associées au dessin d’un trèfle (« Klee » veut dire trèfle en allemand), Philippe Favier choisissant lui le chou-fleur, signe fétiche en même temps que label. Autre empreinte, identité, jeu, je, multiplicité. Le rébus, dans son entrecroisement permanent au graphe nous étonne. Les énigmes de Philippe Favier questionne la relation au sens. Par ce travail, nous sommes dans l’absence et son vertige, et simultanément dans le référent et sa promesse. Un petit précis d’égratignures à tous ceux que la représentation satisfait, mais qui aiment par dessus tout aller regarder du côté des marges. Dans un entretien avec Françoise-Claire Prodhon daté de Mars 2001, à la question interrogeant son travail sur les cartes de visite, Philippe Favier répond : « C’est l’intuition qui décide, je m’engouffre dans les choses quand j’y perçois un pré-sens. Cette pulsion de prolongement est la seule façon que je m’octroie de donner la vie ! ».En écho (mais silencieux) à Paul Klee : « L’art est à l’image de la création. C’est un symbole, tout comme le monde terrestre est un symbole du cosmos. » (« Théorie de l’art moderne »)
Françoise FAUCHE-GROS
Vernissage mardi 16 décembre de 18h30 à 21h
Galerie Sollertis
12 rue des Régans
F 31000 Toulouse
Tél : 33 (0)5 61554332
Fax : 33 (0) 826 698 154
email : sollertis@sollertis.com