© Marc Riboud
Se poser la question de comment a été photographiée la guerre d’Algérie – et sur ce point il y a une masse considérable de photos – revient souvent à faire ressurgir une mémoire, à établir une disproportion entre les photos d’amateurs, celles des professionnels, celles de l’armée française comme celles plus rares de l’ALN (Armée de Libération Nationale), à définir enfin le déséquilibre de la représentation des Français d’Algérie et des militaires d’un côté et les Algériens de l’autre côté. Nous en sommes bien conscients.
Les deux expositions présentées au Centre International du Photojournalisme et au Mémorial du Camp de Rivesaltes ont la même appellation : une Guerre sans nom, 1954 – Algérie – 1962.
Le parti pris a été de choisir dans les énormes fonds photographiques existants une centaine de photos de reporters-professionnels connus pour leur capacité à capter l’instant comme Marc Riboud, Raymond Depardon, Pierre Boulat, Pierre Domenech et celles d’un médecin, appelé en Algérie, Jacques Hors, sans oublier le Fond Bailhache. Ces photographes étaient aussi animés par la volonté d’apporter une plus grande visibilité à cette guerre camou ée en événements et qui ne disait pas son nom. En écho, le Mémorial du Camp de Rivesaltes renvoie l’image d’un espace où si la guerre n’est pas présente, les acteurs de cette guerre le sont : photographes amateurs et journalistes suivent les arrivées et départs de membres du FLN, l’arrivée ensuite des ex-supplétifs de l’armée française en une série d’images fortes.
Le plus important, nous dit Marc Riboud, c’était d’être rapidement là où il se passait quelque chose. Il fallait être parmi les premiers, être tout proche des événements quitte à prendre des risques, et à se trouver dans le double mouvement de manifestations des nationalistes algériens qui brandissent pour la première fois et ouvertement le drapeau algérien, et celle des « ultras » de l’Algérie française qui veulent en découdre avec les gardes mobiles pour garder l’Algérie à la France. Riboud, Depardon et Boulat en saisissent toute la force, toute la violence. Jacques Hors, quant à lui, nous dévoile l’intime des populations qu’il croise...
A l’issue de ce choix de photos, il revenait à l’historien non pas de les analyser mais de les réinscrire dans l’histoire de la guerre d’Algérie. Autour des photographies exceptionnelles qui s’échelonnent de 1954 et au-delà, Jean-Jacques Jordi a élaboré un discours qui, volontairement, n’analyse pas les photographies mais les replace dans l‘Histoire, et permet de mieux les comprendre.
Au sortir de la Seconde guerre mondiale, les positionnements idéologiques se cristallisent plus que par le passé. Le soulèvement en Kabylie en mai 1945 et la répression qui s’ensuit creusent encore plus le fossé entre les communautés. Mais au-delà des prises de position, on a l’impression que l’Algérie elle-même reste coupée entre insouciance et paupérisation.
Quand la guerre éclate à la Toussaint 1954, on se rend compte que la population devient très rapidement un enjeu de guerre entre le tout-jeune Front de libération nationale (FLN), et son bras armé l’Armée de libération nationale, et l’Armée française. D’un côté comme de l’autre, on essaie de faire basculer les populations et en premier la population rurale musulmane par tous les moyens, de l’attirance à la torture, des rêves aux cauchemars.
Car cette guerre est à la fois une guerre presque classique avec des attaques coordonnées mais aussi une guerre civile et une guerre fratricide où rien n’est pardonné et où rien ne sera pardonné à l’issue du conflit. Certes les forces en présence sont inégalitaires et sur le terrain, l’armée française domine. Elle perd cependant du terrain dans les villes et dans les zones isolées ou le terrorisme du FLN et de l’ALN s’exprime durement. La violence se généralise et les photos le montrent bien.
L’arrivée au pouvoir du général De Gaulle, investi le 1er juin 1958 par l’Assemblée nationale, ses appels à la paix en Algérie, son «Vive l’Algérie française» le 6 juin 1958 à Mostaganem ne changent rien au déroulement de l’histoire. Conscient de cela, De Gaulle évoque publiquement en septembre 1959 le « droit des Algériens à l’autodétermination» avec trois issues possibles : la sécession, la francisation ou l’association. Ce coup de tonnerre précipite dans la guerre un troisième acteur : les ultras de l’Algérie française dont la création de l’Organisation Armée Secrète (OAS) en début de 1961 en est le parangon. Alors que des négociations entre le gouvernement français et le Gouvernement provisoire de la République algérienne débutent, l’Algérie se ge dans la peur.
La signature des Accords d’Evian ne rassure personne car les armes ne se taisent pas. Les sorties de guerre sont ici plus meurtrières qu’ailleurs avec son lot de massacres, d’enlèvements, de meurtres gratuits... Alors que la population européenne fuit une situation dramatique, les ex-supplétifs de l’armée française sont l’objet d’exactions puis de véritables massacres. Ceux qui fuient se trouveront dans des camps en France dont celui de Rivesaltes.
Les textes qui jalonnent la double exposition font donc le lien entre les différentes époques couvertes par les reportages ; ils expliquent et interrogent à la fois le photographe sur ses choix et la manière qu’il a de privilégier un événement plutôt qu’un autre. En choisissant d’exposer une diversité des regards, l’exposition propose une mise en perspective des guerres qui ont déchiré le pays. Remettre ces reportages dans l’histoire et l’idéologie d’une époque, c’est toute l’ambition de cette exposition.
Jean-Jacques Jordi
Les deux expositions présentées au Centre International du Photojournalisme et au Mémorial du Camp de Rivesaltes ont la même appellation : une Guerre sans nom, 1954 – Algérie – 1962.
Le parti pris a été de choisir dans les énormes fonds photographiques existants une centaine de photos de reporters-professionnels connus pour leur capacité à capter l’instant comme Marc Riboud, Raymond Depardon, Pierre Boulat, Pierre Domenech et celles d’un médecin, appelé en Algérie, Jacques Hors, sans oublier le Fond Bailhache. Ces photographes étaient aussi animés par la volonté d’apporter une plus grande visibilité à cette guerre camou ée en événements et qui ne disait pas son nom. En écho, le Mémorial du Camp de Rivesaltes renvoie l’image d’un espace où si la guerre n’est pas présente, les acteurs de cette guerre le sont : photographes amateurs et journalistes suivent les arrivées et départs de membres du FLN, l’arrivée ensuite des ex-supplétifs de l’armée française en une série d’images fortes.
Le plus important, nous dit Marc Riboud, c’était d’être rapidement là où il se passait quelque chose. Il fallait être parmi les premiers, être tout proche des événements quitte à prendre des risques, et à se trouver dans le double mouvement de manifestations des nationalistes algériens qui brandissent pour la première fois et ouvertement le drapeau algérien, et celle des « ultras » de l’Algérie française qui veulent en découdre avec les gardes mobiles pour garder l’Algérie à la France. Riboud, Depardon et Boulat en saisissent toute la force, toute la violence. Jacques Hors, quant à lui, nous dévoile l’intime des populations qu’il croise...
A l’issue de ce choix de photos, il revenait à l’historien non pas de les analyser mais de les réinscrire dans l’histoire de la guerre d’Algérie. Autour des photographies exceptionnelles qui s’échelonnent de 1954 et au-delà, Jean-Jacques Jordi a élaboré un discours qui, volontairement, n’analyse pas les photographies mais les replace dans l‘Histoire, et permet de mieux les comprendre.
Au sortir de la Seconde guerre mondiale, les positionnements idéologiques se cristallisent plus que par le passé. Le soulèvement en Kabylie en mai 1945 et la répression qui s’ensuit creusent encore plus le fossé entre les communautés. Mais au-delà des prises de position, on a l’impression que l’Algérie elle-même reste coupée entre insouciance et paupérisation.
Quand la guerre éclate à la Toussaint 1954, on se rend compte que la population devient très rapidement un enjeu de guerre entre le tout-jeune Front de libération nationale (FLN), et son bras armé l’Armée de libération nationale, et l’Armée française. D’un côté comme de l’autre, on essaie de faire basculer les populations et en premier la population rurale musulmane par tous les moyens, de l’attirance à la torture, des rêves aux cauchemars.
Car cette guerre est à la fois une guerre presque classique avec des attaques coordonnées mais aussi une guerre civile et une guerre fratricide où rien n’est pardonné et où rien ne sera pardonné à l’issue du conflit. Certes les forces en présence sont inégalitaires et sur le terrain, l’armée française domine. Elle perd cependant du terrain dans les villes et dans les zones isolées ou le terrorisme du FLN et de l’ALN s’exprime durement. La violence se généralise et les photos le montrent bien.
L’arrivée au pouvoir du général De Gaulle, investi le 1er juin 1958 par l’Assemblée nationale, ses appels à la paix en Algérie, son «Vive l’Algérie française» le 6 juin 1958 à Mostaganem ne changent rien au déroulement de l’histoire. Conscient de cela, De Gaulle évoque publiquement en septembre 1959 le « droit des Algériens à l’autodétermination» avec trois issues possibles : la sécession, la francisation ou l’association. Ce coup de tonnerre précipite dans la guerre un troisième acteur : les ultras de l’Algérie française dont la création de l’Organisation Armée Secrète (OAS) en début de 1961 en est le parangon. Alors que des négociations entre le gouvernement français et le Gouvernement provisoire de la République algérienne débutent, l’Algérie se ge dans la peur.
La signature des Accords d’Evian ne rassure personne car les armes ne se taisent pas. Les sorties de guerre sont ici plus meurtrières qu’ailleurs avec son lot de massacres, d’enlèvements, de meurtres gratuits... Alors que la population européenne fuit une situation dramatique, les ex-supplétifs de l’armée française sont l’objet d’exactions puis de véritables massacres. Ceux qui fuient se trouveront dans des camps en France dont celui de Rivesaltes.
Les textes qui jalonnent la double exposition font donc le lien entre les différentes époques couvertes par les reportages ; ils expliquent et interrogent à la fois le photographe sur ses choix et la manière qu’il a de privilégier un événement plutôt qu’un autre. En choisissant d’exposer une diversité des regards, l’exposition propose une mise en perspective des guerres qui ont déchiré le pays. Remettre ces reportages dans l’histoire et l’idéologie d’une époque, c’est toute l’ambition de cette exposition.
Jean-Jacques Jordi
Pratique
UNE GUERRE SANS NOM
1954 . Algérie . 1962
Centre International du Photojournalisme
1. Algérie entre insouciance et paupérisation
2. La population comme enjeu
3. Les forces en présence
4. Une violence généralisée
5. Sorties de guerre
UNE GUERRE SANS NOM
1962 . Rivesaltes . 1964
Mémorial du Camp de Rivesaltes
1. Transport et arrivée à Marseille
2. Espaces de relégation
3. Le camp de Rivesaltes
1954 . Algérie . 1962
Centre International du Photojournalisme
1. Algérie entre insouciance et paupérisation
2. La population comme enjeu
3. Les forces en présence
4. Une violence généralisée
5. Sorties de guerre
UNE GUERRE SANS NOM
1962 . Rivesaltes . 1964
Mémorial du Camp de Rivesaltes
1. Transport et arrivée à Marseille
2. Espaces de relégation
3. Le camp de Rivesaltes