24 au 27 février, Le cas Jekyll. Texte de Christine Montalbetti d’après Robert-Louis Stevenson, théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence

Ce monologue de Jekyll suit d'assez près l'histoire de Stevenson publiée en janvier 1886, et particulièrement la dernière partie de la nouvelle, où Jekyll expose lui-même ce qu'il appelle son cas. La pièce commence comme une confession à l'ami Utterson et se transforme progressivement en un dialogue entre Jekyll et Hyde, dont on comprend alors qu'il s'agit d'un dialogue ultime, dans lequel chacun est au chevet de l'autre.


Denis Podalydès
Jekyll reconsidère sa vie. Sa jeunesse à la fois laborieuse et fantasque ; ses
découvertes scientifiques, jusqu'au geste fantastique de la dissociation ; sa
décrépitude contemporaine de personnage mangé par son double. Jekyll est à la fois
dans la souffrance et dans la leçon. Il oscille entre le discours autobiographique, et
un effort de ressaisie scientifique qui est à la fois le moyen qu'il trouve pour juguler la
folie, et une expression de cette folie même. Son discours est de plus en plus envahi
par la parole insidieuse de Hyde. Elle le contamine, le colonise. Elle y affleure et puis
de plus en plus le dirige. Hyde est dans une sorte de sabotage lyrique de la parole de
Jekyll. Derrière Jekyll, il y a toujours Hyde. Et derrière Utterson, il y a nous. La partie
se joue donc à plusieurs. On a (peut-être) un seul bonhomme sur scène, mais on est
beaucoup, beaucoup plus nombreux.

NOTE D’INTENTION
Marchant dans les brumes de Londres, le docteur Jekyll, homme ambitieux, important,
respecté, et la silhouette dissociée, chétive, maléfique de Hyde, hantent depuis plus d'un
siècle la littérature, le cinéma, l'inconscient. C'est une mine explosive de métaphores,
d'associations d'idées, de cauchemars, de visions horribles, poétiques et philosophiques
mêlées. Un mythe. Ce mythe est d'abord un roman de Stevenson, dont le dernier chapitre
est une splendeur. C'est la confession de Jekyll. À l'instant de mourir, ne parvenant plus à
rester lui-même, envahi définitivement par Hyde, devenu presque absolument Hyde, il
raconte les étapes de sa folie démiurgique, dont l'ambition sociale, jointe aux désirs de
débauche, fut le premier moteur. Mélancolie des aveux et des regrets, derniers efforts de
raison et de justification scientifique, implacable logique du pire sous la poussée du démon,
tendent ce texte hyper concentré. Christine Montalbetti le reprend et le fait sien. Fait sienne
l'angoisse de Jekyll, mais aussi l'humour de Hyde, la jeunesse et l'éducation de Jekyll, les
pas légers de Hyde, la souterraine et souveraine séduction de Hyde, sa poussée dans la
voix de Jekyll, son envahissement inexorable du corps de Jekyll. La métamorphose n'est
pas établie dans le texte. Elle est le texte. Deux voix travaillent jusqu'au bout ce texte à une
voix. Borges se désolait qu'au cinéma on ait toujours confié les deux rôles au même acteur,
tandis que le roman les sépare absolument. Là même en est le principe. Hyde n'a ni la
silhouette, ni la taille, ni le visage, ni rien de commun avec Jekyll. Le spectateur, découvrant
Hyde, ne peut ni ne doit imaginer Jekyll en lui. Telle est précisément la réussite et la
malédiction du savant. Or la tentation l'a toujours emporté de les confondre dans le même
interprète. On le comprend aisément. L'acteur se réjouit de cette composition qui s'offre à
lui, ne peut que succomber à ce désir de dédoublement ; qui ne rêve pareil rôle ? Cette
pulsion de jeu ne m'est pas étrangère. Quel comédien ne sent pas en lui-même le pas
inquiétant et dansant de Hyde, l'envie de grimacer épouvantablement, de nouer en un seul
bloc, en un seul personnage, les désirs insolents, farcesques, outrés, de jouer enfin le plus
malin des méchants, de faire et de se faire peur ?(...) (...) Nous viserons moins le fantasme
réalisé, la métamorphose accomplie que la pulsion elle-même, la saillie du petit bonhomme
perçant sous le masque sobre de Jekyll. Notons que, dans le roman, il est moins
monstrueux par son aspect que par le malaise et la répugnance qu'éprouvé celui qui le
rencontre, plus immédiatement effrayé de sa hideur morale absolue et sans mélange que de
sa relative laideur physique. Coup de génie de Stevenson, dont la créature échappera
désormais à toute incarnation satisfaisante. On ne peut donc pas voir Hyde. Il sera
néanmoins bien présent, et régnera, si possible, je l'espère, au final, jusque dans le coeur
même du spectateur.
Denis Podalydès


mise en scène Denis Podalydès
co-mise en scène Emmanuel Bourdieu et Eric Ruf
scénographie Eric Ruf de la Comédie-Française
assisté de Delphine Sainte-Marie
costumes Christian Lacroix
avec la collaboration de Renato Bianchi
lumières Stéphanie Daniel
son Bernard Valléry
chorégraphie Cécile Bon

Réservations
0 820 000 422
www.lestheatres.net

pierre aimar
Mis en ligne le Mardi 12 Janvier 2010 à 14:13 | Lu 1446 fois
pierre aimar
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