A Monte-Carlo, Thibaudet décape Ravel et Caetani rend ses lettres de noblesse à Chostakovitch, par Christian Colombeau

Un concert entre rêve et brutale réalité


La musique de propagande stalinienne fait toujours sournoisement son petit effet

Ravalement de façade complet pour le Concerto en Sol de Maurice Ravel par Jean-Yves Thibaudet !
L’œuvre, on le sait, n’est qu’un divertissement où la virtuosité pianistique n’a d’égale que celle du piano. Mozart y affleure ouvertement dans sa structure plus que classique et sa luxuriance orchestrale n’a rien à envier à Saint-Saëns avec ça et là quelques réjouissants clins d’œil au jazz.
En prime, ce contraste saisissant entre le mouvement lent, à l’ineffable poésie, et la hardiesse, l’élan, la modernité, des mouvements extrêmes.

Composé « mesure par mesure » par le compositeur qui « faillit en crever », tellement l’écriture reste profonde et complexe, le deuxième mouvement, avec sa longue introduction comme inscrite dans l’éternité, semble une caresse, un rêve érotique, un abandon langoureux, entre deux étreintes fougueuses et sauvages…
Tant pis si ma voisine du dessus va dire que je prends mes désirs pour des réalités…

Jean-Yves Thibaudet, comme toujours au doigté nuancé, semble ne faire qu’une bouchée de ces fusées pianistiques. Tout semble intelligemment construit, brique par brique, dans une inventivité et une imagination sans cesse renouvelées. Sans jamais trahir un instant le texte ni le discours. Car à la fois nonchalant, penseur romantique, humble toujours, comme à la recherche de la vérité, pour mieux libérer ensuite un penchant jouissif, bondissant. La virtuosité pianistique, dans sa simplicité sans esbroufe, laisse l’auditeur fasciné et abasourdi.

Plaisir aussi de découvrir chez Oleg Caetani (qui ressemble comme deux gouttes d’eau à son père Igor Markhévitch) un côté maestro furioso. Il tire du Philharmonique de Monte-Carlo une pâte sonore multicolore, soyeuse et endiablée. Complice, la phalange prend un malin plaisir évident à mettre en valeur les trouvailles exogènes ravéliennes.

Contraste radical avec la Septième Symphonie de Chostakovitch donnée en deuxième partie, sans doute la plus célèbre du compositeur dans son ambition de flatter un sentiment nationaliste. Ici est porté à son paroxysme l’art au service de la propagande. Entre 1941 et 1945, Chostakovitch composera trois symphonies supposées dénoncer l’agression nazie et célébrer l’esprit de résistance de l’Armée rouge sur l’envahisseur allemand…
Véritable gageure, l’œuvre, censée symboliser le sursaut national, sera créée dans la ville assiégée (seize mois de blocus !) en aout 42 dans des conditions apocalyptiques.
Seulement voilà. Les intentions de Chostakovitch sont toujours restées floues. L’œuvre serait aussi une condamnation de tous les totalitarismes, y compris le stalinisme. Crime de lèse-majesté qui lui vaudra quelques ennuis à la libération.

Tour de force d’Oleg Caetani, la monstrueuse partition continue de faire illusion. En tant qu’œuvre d’intox mais aussi de valeur artistique. Implacable premier mouvement, au réel climat d’anxiété, crescendo oppressant à l’extrême, broyant le nocturne rêveur d’ouverture en d’oniriques visions de fin de monde.
Oleg Caetani construit fort bien le deuxième mouvement, avec sa pointe d’humour et sa cantilène de hautbois comme suspendue dans le temps. Si dans l’adagio, le visage de la guerre refait son apparition, contre la menace se lève un peuple résistant dans une avalanche de rythmes pointés saupoudrés d’une angoisse très tchaïkovskienne.
Ouvrant les vannes et mettant le feu aux poudres dans l’allegro final, le point faible de la partition pour certains, c’est un maelström grandiose en cinémascope couleur son dolby stéréo que nous propose le chef suisse, entraînant son plateau dans des rafales musicales dignes des films hollywoodiens.
Galvanisé par l’autorité de son chef, l’orchestre monégasque, très concentré, fait merveille et on se surprend de découvrir des cordes plus solides et colorées, soyeuses, mahlériennes. Vents, percussions éclatantes, gonflés de résurrection triomphante.
L’apothéose de la victoire n’est pas loin dans une emphase, une montée vers la lumière, une conclusion emphatique, désespérée, menant à une grandiose cathédrale d’espérance. Avec aussi hélas, en contre point, un paysage de désolation évidente.
Christian Colombeau

Christian Colombeau
Mis en ligne le Mardi 15 Octobre 2013 à 07:19 | Lu 168 fois
Christian Colombeau
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