photo : C. Dresse
Une première à tous les niveaux à l’Opéra de Marseille qui restera dans les annales.
La Dame de Pique de Tchaïkovsky occupe une place de choix au sein du grand répertoire. L’esprit slave qui plane sur cet opéra révèle avant tout l’âme d’un compositeur écorché qui détourne à son compte les arguments de Pouchkine pour mieux extérioriser sa sensibilité à fleur de peau. On le sait, voilà une histoire ou se mêlent le fantastique et la réalité.
Le rêve et la folie de Hermann, héros de l’histoire, sont confrontés avec une analyse psychologique d’une hantise. L’idée maîtresse de l’oeuvre, le conflit entre l’homme et le destin, entre la vie et la mort correspondait bien alors à l’état psychique du compositeur.
Le romantisme fantastique, la progression de la métamorphose méphistophélique d’Hermann, le puits sans fond dans lequel il se jette sous l’effet de l’obsession et de la névrose, la mécanique prométhéenne qui le dévore.
On le sait, Tchaïkovski donne au héros Hermann une dimension à la fois plus sentimentale et plus humaine. Ici il aime pour de bon Lisa, qui n’est plus la pupille malheureuse de la comtesse aux trois cartes, mais sa petite-fille. C’est pour elle qu’il veut percer le secret qui devrait lui donner les moyens de l’épouser. Egaré par sa passion des jeux, de l’amour, des hasards, il ne supportera pas de perdre là où il avait cru détenir la certitude de gagner. Son suicide passera dans une insoutenable indifférence.
« Prima La Musica ! ». C’est bien elle qui l’emporte finalement dans le gentillet tourbillon que lève pour elle Lawrence Foster.
En terrain conquis d’avance, le chef Maison embrase ce cauchemar d’un damné avec seulement dix musiciens (alto, flûte, hautbois, clarinettes et bassons) d'où émerge le flamboyant piano de Clelia Cafiero !
Sous ses doigts ce Gloubi-Goulba moscovite prend feu et rutile – à dose homéopathique, soyons honnête - comme on n'y croyait pas, plus...
Bien sûr, les airs des solistes, amoureusement accompagnés par la géniale pianiste qui, toute proportions gardées à tout sur les épaules, passent forcément mieux la rampe que les fusées orchestrales du Grand Piotr, ici réduites à quelques pétards mouillés ou transcriptions fort drôles où passent l'ombre de Stravinsky, Ravel et même Kurt Weill.
Avec ces chœurs immenses (on les dirait tous sortis des bords de la Volga) qui se reçoivent comme des uppercuts en pleine poitrine, le cast est unique, sidérant.
Impossible d’adresser un reproche sérieux à qui que ce soit.
Serban Vasile, campe un Prince Eletsky de classe supérieure, luxueux, superbe, grandiose. En un air à tirer les larmes et une forte silhouette intelligemment croquée ailleurs, le baryton roumain s’impose sans peine.
Alexander Kasiyanov (Tomsky), Sergei Artamonov (Sourine), la ribambelle de petits rôles tous difficiles mais bien en place, finement bien dessinés, ne méritent que des éloges.
Chez les hommes, grâce à Marc Larcher, Jean-Marie Delpas, Carl Ghazarossian on frise le luxe, Chez les dames, avec Marion Lebègue, Caroline Géa et surtout Svetlana Lifar sidérante dans ses brèves interventions, que l'on verrait bien dans le rôle-titre, royale de voix avec son cuivre de feu, d'airain, le super luxe...
Barbara Haveman reste la Lisa bouleversante, pathétique, tant aimée, car toujours au meilleur de sa forme.
Plus Diva que jamais, Marie-Ange Todorovitch, comtesse « impériale » et droite comme un « i » décati éblouit par sa présence, son jeu, simple et direct...
Mais la vedette du spectacle reste Mischa Didyk qui s’est, semble-t-il, identifié corps et âme au personnage de Hermann qu’il chante depuis près de dix ans. Un sacerdoce. La voix n’a rien perdu de sa puissance ni de sa souplesse, de ses couleurs, elle s’est même enrichie on dirait. Son jeu halluciné de vieil enfant fragile et désemparé reste jusqu’à présent inégalé.
En ces temps de grisaille il y a vraiment quelque chose de réjouissant sur le Vieux-Port.
Malgré les conditions sanitaires obligatoires, les six cent spectateurs présents dans la salle en ce soir de première ont d'ailleurs réservé un accueil plus que délirant à tous les protagonistes.
Un mot enfin pour remercier le toujours jeune et sympathique Maurice Xiberras.
Sa courageuse et originale initiative mérite respect et admiration sincère.
Un Directeur à nationaliser au plus vite avant que l'étranger ne nous l'enlève !
Christian Colombeau
La Dame de Pique de Tchaïkovsky occupe une place de choix au sein du grand répertoire. L’esprit slave qui plane sur cet opéra révèle avant tout l’âme d’un compositeur écorché qui détourne à son compte les arguments de Pouchkine pour mieux extérioriser sa sensibilité à fleur de peau. On le sait, voilà une histoire ou se mêlent le fantastique et la réalité.
Le rêve et la folie de Hermann, héros de l’histoire, sont confrontés avec une analyse psychologique d’une hantise. L’idée maîtresse de l’oeuvre, le conflit entre l’homme et le destin, entre la vie et la mort correspondait bien alors à l’état psychique du compositeur.
Le romantisme fantastique, la progression de la métamorphose méphistophélique d’Hermann, le puits sans fond dans lequel il se jette sous l’effet de l’obsession et de la névrose, la mécanique prométhéenne qui le dévore.
On le sait, Tchaïkovski donne au héros Hermann une dimension à la fois plus sentimentale et plus humaine. Ici il aime pour de bon Lisa, qui n’est plus la pupille malheureuse de la comtesse aux trois cartes, mais sa petite-fille. C’est pour elle qu’il veut percer le secret qui devrait lui donner les moyens de l’épouser. Egaré par sa passion des jeux, de l’amour, des hasards, il ne supportera pas de perdre là où il avait cru détenir la certitude de gagner. Son suicide passera dans une insoutenable indifférence.
« Prima La Musica ! ». C’est bien elle qui l’emporte finalement dans le gentillet tourbillon que lève pour elle Lawrence Foster.
En terrain conquis d’avance, le chef Maison embrase ce cauchemar d’un damné avec seulement dix musiciens (alto, flûte, hautbois, clarinettes et bassons) d'où émerge le flamboyant piano de Clelia Cafiero !
Sous ses doigts ce Gloubi-Goulba moscovite prend feu et rutile – à dose homéopathique, soyons honnête - comme on n'y croyait pas, plus...
Bien sûr, les airs des solistes, amoureusement accompagnés par la géniale pianiste qui, toute proportions gardées à tout sur les épaules, passent forcément mieux la rampe que les fusées orchestrales du Grand Piotr, ici réduites à quelques pétards mouillés ou transcriptions fort drôles où passent l'ombre de Stravinsky, Ravel et même Kurt Weill.
Avec ces chœurs immenses (on les dirait tous sortis des bords de la Volga) qui se reçoivent comme des uppercuts en pleine poitrine, le cast est unique, sidérant.
Impossible d’adresser un reproche sérieux à qui que ce soit.
Serban Vasile, campe un Prince Eletsky de classe supérieure, luxueux, superbe, grandiose. En un air à tirer les larmes et une forte silhouette intelligemment croquée ailleurs, le baryton roumain s’impose sans peine.
Alexander Kasiyanov (Tomsky), Sergei Artamonov (Sourine), la ribambelle de petits rôles tous difficiles mais bien en place, finement bien dessinés, ne méritent que des éloges.
Chez les hommes, grâce à Marc Larcher, Jean-Marie Delpas, Carl Ghazarossian on frise le luxe, Chez les dames, avec Marion Lebègue, Caroline Géa et surtout Svetlana Lifar sidérante dans ses brèves interventions, que l'on verrait bien dans le rôle-titre, royale de voix avec son cuivre de feu, d'airain, le super luxe...
Barbara Haveman reste la Lisa bouleversante, pathétique, tant aimée, car toujours au meilleur de sa forme.
Plus Diva que jamais, Marie-Ange Todorovitch, comtesse « impériale » et droite comme un « i » décati éblouit par sa présence, son jeu, simple et direct...
Mais la vedette du spectacle reste Mischa Didyk qui s’est, semble-t-il, identifié corps et âme au personnage de Hermann qu’il chante depuis près de dix ans. Un sacerdoce. La voix n’a rien perdu de sa puissance ni de sa souplesse, de ses couleurs, elle s’est même enrichie on dirait. Son jeu halluciné de vieil enfant fragile et désemparé reste jusqu’à présent inégalé.
En ces temps de grisaille il y a vraiment quelque chose de réjouissant sur le Vieux-Port.
Malgré les conditions sanitaires obligatoires, les six cent spectateurs présents dans la salle en ce soir de première ont d'ailleurs réservé un accueil plus que délirant à tous les protagonistes.
Un mot enfin pour remercier le toujours jeune et sympathique Maurice Xiberras.
Sa courageuse et originale initiative mérite respect et admiration sincère.
Un Directeur à nationaliser au plus vite avant que l'étranger ne nous l'enlève !
Christian Colombeau