Abbaye de Monmajour : Des mouches chez les moines

Montmajour surgit de la plaine d’Arles, comme une promesse tout à coup réalisée, une promesse de pierre et de majesté. Car Montmajour fut jadis une île, bloc rocheux perché au-dessus des marais malsains de la plaine d’Arles, un site nécropole où l’on apportait les morts qui ont laissé en creux leur trace au creux du rocher.


Installation d’Erik Nussbiker © Pierre Aimar
Et ensuite ? Moines anachorètes et monastère bénédictin autour d’une grandiose abbatiale romane consacrée à la vierge, grandiose et riche avant la décadence entre le XIVe et le XVIe siècle, suivie au XVIIe siècle par un réveil dû à la congrégation de Saint-Maur qui s’installe en l’abbaye et parvient à la redresser malgré l’animosité de toute la région : marais asséchés, construction d’un nouveau monastère… jusqu’à l’incendie de 1726. Le grand architecte avignonnais Jean-Baptiste Franque prend en mains la reconstruction. Jusqu’à l’épisode révolutionnaire, qui comme partout ailleurs, a provoqué ruine et abandon , aidé en cela par la vente des bâtiments à Elisabeth Roux-Chatelard qui transforme l’endroit en … carrière de pierres ! Et c’est l’agneau, sacré ou pas, qui a sauvé le cœur médiéval des lieux car on y abritait foin et moutons.
Aujourd’hui, l’abbaye est belle et toujours imposante, immense et difficile à décrypter tant les bâtiments s’entremêlent et se superposent et tant ils mêlent leur histoire. Mais de la crypte sombre et froide au cloître lumineux à colonnettes aériennes jusqu’aux terrasses ventées et ensoleillées, la visite permet une découverte exceptionnelle, contrastée, apaisante, source d’imagination et de réflexion.
Fontvieille n’est pas loin, ni le moulin célèbre et Daudet le merveilleux conteur a définitivement donné vie à ces lieux, déjà possédés auparavant par les Romains qui y ont laissé ruines et aqueduc. Le pays se révèle riche et lourd de passé et de sens auxquels la lumière donne relief et vie bien réelle.

Et c’est là, sous la hauteur de l’abbatiale et plus loin dans une longue salle, qu’est installé l’art contemporain avec l’exposition : Monuments et animaux. Attention , cet été les animaux sortent de leur réserve !
La manifestation concerne d’ailleurs une quarantaine d’expositions en France, châteaux, abbayes, cités médiévales ou palais placées sous l’œil attentif de Claude d’Anthenaise, l’orchestrateur de l’événement et de son assistant Raphaêl Abrille, conservateur au Musée de la Chasse et de la Nature.
La présence des œuvres,dans ces lieux chargés de passé vient ainsi en écho à l’histoire du site, heurtant parfois de plein fouet les événements passés ou se glissant dans le sens même des faits.
Ainsi de l’exposition des photos de Nicolas Guilbert Animonuments qui multiplie les photos en échos ou autour des chats et chiens et autres chevaux, locataires ou passagers des sites, sous l’œil parfois amusé d’un photographe insolent et appliqué au regard fantaisiste..
Tout au contraire Erik Nussbiker a dressé dans l’abbatiale un immense sablier de soie blanche retenu au sol par d’énormes ongles que sont des cornes d’animaux comme accrochées au sol. L’étoffe enclenche un mouvement tournant qui semble lui donner vie et atteint le sommet de la nef ;
Mais il faut aller plus loin ou voir de plus près: des mouches, par centaines, sont nichées sous l’étoffe, vivantes et peut-être mortes, se déplaçant parfois et s’agglutinant en groupes ou parcourant les réseaux du tulle. Ce grand sablier du temps suspendu dans l’équilibre fragile de contrepoids faits encore de cornes, propose une méditation sur le sens du passage, celui des heures, celui de la vie celui qui mène aussi à l’au-delà. « Une méditation orientée plutôt vers le bouddhisme » nous a dit Erik de Nussbicker, artiste au look d’ascète qui avoue un attrait-répulsion particulier pour l’idée de mort.
L’œuvre, par sa hauteur, son élan et la vie qui fourmille ou mouchille en elle, ne peut laisser indifférent lorsqu’on atteint cette nef lumineuse et sans elle, étrangement vide. Dans une chapelle annexe, des projections mettent en animation divers mouvements des insectes prisonniers sous la beauté de la mousseline de soie ; l’homme peut-être ? Y a-t-il là allusion à Oreste et Electre réfugiés dans le temple sous la menace des mouches de Jupiter ?
Jacqueline Aimar

Pierre Aimar
Mis en ligne le Dimanche 24 Juillet 2011 à 10:02 | Lu 674 fois
Pierre Aimar
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