Réservations, cliquez sur l'opéra choisi
Rigoletto
« Oh ! Le Roi s’amuse est le plus grand sujet, et peut-être le plus grand drame des temps modernes. C’est une création digne de Shakespeare ! » Quelques mois avant d’adresser ces mots à Francesco Maria Piave pour le presser de « mettre Venise sens dessus dessous et faire en sorte que la Censure autorise ce sujet » – ce qui n’alla pas sans mal, la moralité ne tardant pas à s’en offusquer –, Verdi travaillait à une adaptation du Roi Lear. Et sans doute est-ce imprégné de la pièce de Shakespeare, son maître vénéré, qu’il lut le drame de Victor Hugo, sentant « comme un éclair, une inspiration » en trouvant sous la plume du Français, à laquelle il devait d’ailleurs le plus grand triomphe de ses « années de galère » avec Ernani, un équivalent au triangle formé par le Roi, sa fille et le fou. Entre le duc, futile, licencieux, et Gilda, victime de l’ignorance dans laquelle elle est retenue prisonnière, se dresse la figure à deux visages du bouffon bossu et du père obsédé par la malédiction. Monstrueux et déchirant, grotesque et sublime, le rôle-titre atteint son apogée dans l’air « Cortigiani, vil razza dannata », dont le mouvement descendant, de l’explosion de rage à l’imploration, affirme la capacité du compositeur à plier une forme héritée du bel canto à la vérité du théâtre. Placée sous la direction de Nicola Luisotti, cette nouvelle production de Rigoletto marque la première collaboration du metteur en scène Claus Guth avec l’Opéra de Paris.
Il Trovatore
Dans la foulée de Rigoletto, Verdi n’aspirait qu’à faire du nouveau. Mais il avait beau trépigner d’impatience, voire même de colère, le projet d’adapter El Trovador, pièce du dramaturge espagnol Antonio García Gutiérrez, ne suscitait de la part de Salvatore Cammarano, son librettiste, qu’un enthousiasme modéré. Conséquence d’une intrigue rocambolesque entre toutes, ou de la maladie qui allait finir par l’emporter, laissant le livret inachevé ? Face aux injonctions du bouillonnant musicien, le poète, auquel Donizetti n’est pas sans devoir une part du succès de Lucia di Lammermoor, ne céda pas. Et c’est bien là le paradoxe de Trovatore, qui passe aux yeux de ses détracteurs pour le comble du mélodrame, mais dont les contraintes formelles imposées par la plume de Cammarano attisèrent la flamme du compositeur.
Plus que des personnages – seule Azucena la Gitane, qui détient le secret qui les anéantira tous, fait peut-être exception –, les airs dessinent des figures consumées par des passions confinant à l’abstraction. Du second rôle que Verdi lui destinait initialement, Leonora accède ainsi au statut d’héroïne sacrificielle, dont la cavatine du quatrième acte, « D’amor sull’ali rosee », est moins un adieu qu’une assomption. Anna Netrebko porte cette cantilène extatique à incandescence, entourée d’Ekaterina Semenchuk, Marcelo Alvarez et Ludovic Tézier, dans une nouvelle mise en scène d’Alex Ollé.
Moses Und Aron
« La leçon qui m'a été inculquée de force l'année dernière, je l'ai enfin apprise, et jamais je ne l'oublierai : je ne suis pas un Allemand, ni un Européen, peut-être même à peine un être humain, mais je suis juif. » Malgré une conversion au protestantisme dans sa jeunesse, Schönberg est la cible d'attaques antisémites dès 1921. La violence de ce rejet l’ébranla et le décida à renouer avec ses racines, tout en développant une lecture très personnelle de l’Ancien Testament. Esquissé sous la forme d'une cantate bientôt élargie aux dimensions d'un oratorio, le projet devint un opéra philosophique opposant les deux frères Moïse et Aaron, la radicalité et le compromis, ou encore la parole embarrassée et le lyrisme du chant, face à la communauté versatile incarnée par des choeurs à l’importance exceptionnelle. « Ô mot, toi qui me manques ! », la dernière réplique prononcée par Moïse, condense la faiblesse tragique du prophète et l’expression de son impossibilité à surmonter ses propres contradictions. Revenu officiellement au judaïsme à Paris peu avant son exil aux États-Unis, l'inventeur du dodécaphonisme fut lui-même en proie, durant les deux décennies qui lui restaient à vivre, à une impuissance quasi existentielle, celle d’achever Moses und Aron. Avec ce chef-d'oeuvre, Philippe Jordan guide l'ensemble des forces musicales de l'Opéra de Paris, et Romeo Castellucci fait des débuts très attendus sur la scène de l’Opéra Bastille.
La Damnation de Faust
« Le merveilleux livre me fascina de prime abord ; je ne le quittais plus ; je le lisais sans cesse, à table, au théâtre, dans les rues, partout. » C’est ainsi que Goethe, dont le compositeur découvrit le Premier Faust en 1828, rejoignit Virgile et Shakespeare pour former la Trinité berliozienne. Sans reprendre haleine, il mit en musique les fragments versifiés de la traduction en prose de Gérard de Nerval, qu’il publia sous le titre de Huit scènes de Faust. Et lorsqu’il décida, dix-huit ans plus tard, de reprendre et de développer ce matériau dans La Damnation de Faust au cours d’un voyage « en Autriche, en Hongrie, en Bohême et en Silésie », une même fièvre s’empara de lui. « Une fois lancé, je fis les vers qui me manquaient au fur et à mesure que me venaient les idées musicales. Je composais la partition quand je pouvais et où je pouvais ; en voiture, en chemin de fer, sur les bateaux à vapeur ». Comme porté par « le désir d’un coeur trop vaste et d’une âme altérée d’un bonheur qui la fuit », Berlioz se confond avec sa création : car cette voix invoquant la « nature immense, impénétrable et fière » est absolument la sienne, dont l’ampleur inouïe excède les formes traditionnelles, entre rêve d’opéra eokt de symphonie. Révéler la théâtralité de cette « légende dramatique » est un défi constant, que le metteur en scène Alvis Hermanis a accepté de relever. Dirigé par Philippe Jordan, ce premier volet d’un cycle Berlioz qui se poursuivra sur plusieurs saisons, marque le retour de Jonas Kaufmann et Bryn Terfel à l’Opéra national de Paris.
Il Barbiere di Siviglia
« Le Barbier est un des chefs-d’oeuvre du siècle. » Sous la plume de Berlioz, qui dans sa jeunesse fustigeait non seulement Rossini, mais surtout le « fanatisme qu’il excitait dans le monde fashionable de Paris », ce compliment « répété à satiété » – c’est lui-même qui l’écrit – n’en est que plus grand. « Étincelant », et de surcroît « si finement instrumenté » que les « dilettanti de Rome », mis en fureur par la « moindre innovation imprévue dans le style mélodique, dans l’harmonie, le rythme ou l’instrumentation voulurent assommer le jeune maestro », Il Barbiere di Siviglia n’a plus quitté l’affiche depuis sa création mouvementée, le 16 février 1816. C’est que, transcendant l’esprit de la comédie de Beaumarchais comme le genre buffa, le compositeur y réalise la rencontre entre l’absurde et un certain réalisme satirique, grâce à une musique dont le rythme et la virtuosité inscrivent les effets comiques dans une dramaturgie continue. Les personnages, et Rosina en premier lieu, y gagnent une vérité inédite, rompant avec les archétypes alors de mise.
Le spectacle tourbillonnant de Damiano Michieletto épouse ce mouvement perpétuel et emporte dans son sillon le couple en or formé par Lawrence Brownlee et Pretty Yende.
Die Meistersinger von Nürnberg
Nuremberg, été 1835 : dans une taverne, une joute vocale oppose Richard Wagner à un menuisier chanteur, et dégénère en échauffourée. Le décor de « Die Meistersinger » est en somme déjà planté. Marienbad, été 1845 : en puisant dans l'Histoire de la littérature poétique nationale des Allemands, ainsi que dans une biographie du cordonnier et poète Hans Sachs (1494-1576), le compositeur esquisse le canevas d’un pendant satirique de Tannhäuser. Venise, automne 1861 : visitant l’Accademia avec les Wesendonck, il tombe en arrêt devant L’Assomption du Titien et décide de s’atteler à l’écriture de « Die Meistersinger » – opéra dont il ne vint à bout que six ans plus tard. Avec un sens de l’autodérision qui ne lui est pas d’emblée associé, il mêle exercice de styles et manifeste esthétique, à la gloire du « noble et saint art allemand ! » Au-delà d’un nationalisme que Thomas Mann qualifiera de « spiritualisé », l’unique comédie de la maturité de Wagner lie l’aspiration à la nouveauté à une nécessaire persistance des traditions, traçant de l’artiste, dédoublé dans les figures de Sachs et Walther von Stoltzing, un autoportrait en sage autant qu’en audacieux. Après un remarquable Parsifal au Festival de Bayreuth en 2012, Philippe Jordan retrouve le metteur en scène Stefan Herheim pour la première production de Die Meistersinger von Nürnberg à l’Opéra de Paris depuis plus d’un quart de siècle.
Lear
Du Roi Lear de Shakespeare, Berlioz ne fit qu’une ouverture, tandis que Debussy n’alla pas au-delà des deux premiers numéros de la partition qu’il entreprit d’écrire pour accompagner la mise en scène d’André Antoine. Quant à Verdi, que cette tragédie « si vaste, si tortueuse » hanta dès 1843, il ne cessa d’atermoyer, confessant au soir de sa vie que la scène dans laquelle Lear se retrouve dans la lande l’avait terrifié. Souhaitant se mesurer au rôle parce qu’il avait depuis longtemps « l’impression que les divers niveaux du drame intérieur et extérieur pouvaient très bien s’allier à la musique et se laisser exprimer par elle », le grand baryton allemand Dietrich Fischer-Dieskau sollicita Benjamin Britten, avant de se tourner vers le compositeur allemand Aribert Reimann. D’abord hésitant, celui-ci finit par décliner la proposition. Au fil de lectures répétées, la pièce prit cependant racine en lui, la musique s’emmagasinant dans « une sorte de tiroir ouvert quelque part dans [sa] tête », jusqu’à ce que la commande de la Staatsoper de Munich déclenche, en 1975, la phase effective de la composition. « On a rarement dépeint de façon aussi convaincante – peut-être dans le Wozzeck d’Alban Berg – la solitude de l’homme comme conséquence de son incapacité à voir ceux qui l’entourent », écrira le créateur du rôle de Lear et instigateur de cette oeuvre majeure du XXe siècle. Jamais reprise à l’Opéra de Paris depuis sa première française en 1982, elle est présentée dans une nouvelle mise en scène de Calixto Bieito avec Bo Skovhus dans le rôle bouleversant de Lear.
Der Rosenkavalier
« La Maréchale, Ochs, Octavian, le riche Faninal et sa fille, tous les liens vitaux qui se sont tissés entre eux, ces personnages, on dirait que tout cela s’est trouvé là ainsi, il y a très longtemps. Aujourd’hui, ils ne m’appartiennent plus, ni non plus au compositeur, ils appartiennent à ce monde flottant bizarrement illuminé, le théâtre, où ils se conservent en vie depuis déjà un certain temps et se conserveront peut-être encore un moment. » La vision d’Herbert Wernicke, metteur en scène majeur, et trop tôt disparu, du dernier quart du XXe siècle, qui maîtrisait en démiurge jusqu’au moindre élément de ses productions, s’approprie et prolonge cette évocation de Rosenkavalier par son librettiste, Hugo von Hofmannsthal. Aboutissement d’une pensée dramaturgique sans concession aux traditions, ses décors vertigineux sont d’abord et surtout une formidable machine théâtrale, où l’illusion se donne pour telle à travers les jeux de miroirs infinis d’une Vienne au crépuscule, dont les reflets rococo ne sont dès lors qu’un leurre, un masque que chacun des personnages arbore avec suffisance, naïveté ou coquetterie – la Maréchale se regarderait-elle encore dans la glace si elle n’y voyait que l’empreinte du temps qui passe ? Après onze ans d’absence, Anja Harteros fait son retour à l’Opéra de Paris dans l’un des plus beaux rôles du répertoire, sous la baguette de Philippe Jordan.
« Oh ! Le Roi s’amuse est le plus grand sujet, et peut-être le plus grand drame des temps modernes. C’est une création digne de Shakespeare ! » Quelques mois avant d’adresser ces mots à Francesco Maria Piave pour le presser de « mettre Venise sens dessus dessous et faire en sorte que la Censure autorise ce sujet » – ce qui n’alla pas sans mal, la moralité ne tardant pas à s’en offusquer –, Verdi travaillait à une adaptation du Roi Lear. Et sans doute est-ce imprégné de la pièce de Shakespeare, son maître vénéré, qu’il lut le drame de Victor Hugo, sentant « comme un éclair, une inspiration » en trouvant sous la plume du Français, à laquelle il devait d’ailleurs le plus grand triomphe de ses « années de galère » avec Ernani, un équivalent au triangle formé par le Roi, sa fille et le fou. Entre le duc, futile, licencieux, et Gilda, victime de l’ignorance dans laquelle elle est retenue prisonnière, se dresse la figure à deux visages du bouffon bossu et du père obsédé par la malédiction. Monstrueux et déchirant, grotesque et sublime, le rôle-titre atteint son apogée dans l’air « Cortigiani, vil razza dannata », dont le mouvement descendant, de l’explosion de rage à l’imploration, affirme la capacité du compositeur à plier une forme héritée du bel canto à la vérité du théâtre. Placée sous la direction de Nicola Luisotti, cette nouvelle production de Rigoletto marque la première collaboration du metteur en scène Claus Guth avec l’Opéra de Paris.
Il Trovatore
Dans la foulée de Rigoletto, Verdi n’aspirait qu’à faire du nouveau. Mais il avait beau trépigner d’impatience, voire même de colère, le projet d’adapter El Trovador, pièce du dramaturge espagnol Antonio García Gutiérrez, ne suscitait de la part de Salvatore Cammarano, son librettiste, qu’un enthousiasme modéré. Conséquence d’une intrigue rocambolesque entre toutes, ou de la maladie qui allait finir par l’emporter, laissant le livret inachevé ? Face aux injonctions du bouillonnant musicien, le poète, auquel Donizetti n’est pas sans devoir une part du succès de Lucia di Lammermoor, ne céda pas. Et c’est bien là le paradoxe de Trovatore, qui passe aux yeux de ses détracteurs pour le comble du mélodrame, mais dont les contraintes formelles imposées par la plume de Cammarano attisèrent la flamme du compositeur.
Plus que des personnages – seule Azucena la Gitane, qui détient le secret qui les anéantira tous, fait peut-être exception –, les airs dessinent des figures consumées par des passions confinant à l’abstraction. Du second rôle que Verdi lui destinait initialement, Leonora accède ainsi au statut d’héroïne sacrificielle, dont la cavatine du quatrième acte, « D’amor sull’ali rosee », est moins un adieu qu’une assomption. Anna Netrebko porte cette cantilène extatique à incandescence, entourée d’Ekaterina Semenchuk, Marcelo Alvarez et Ludovic Tézier, dans une nouvelle mise en scène d’Alex Ollé.
Moses Und Aron
« La leçon qui m'a été inculquée de force l'année dernière, je l'ai enfin apprise, et jamais je ne l'oublierai : je ne suis pas un Allemand, ni un Européen, peut-être même à peine un être humain, mais je suis juif. » Malgré une conversion au protestantisme dans sa jeunesse, Schönberg est la cible d'attaques antisémites dès 1921. La violence de ce rejet l’ébranla et le décida à renouer avec ses racines, tout en développant une lecture très personnelle de l’Ancien Testament. Esquissé sous la forme d'une cantate bientôt élargie aux dimensions d'un oratorio, le projet devint un opéra philosophique opposant les deux frères Moïse et Aaron, la radicalité et le compromis, ou encore la parole embarrassée et le lyrisme du chant, face à la communauté versatile incarnée par des choeurs à l’importance exceptionnelle. « Ô mot, toi qui me manques ! », la dernière réplique prononcée par Moïse, condense la faiblesse tragique du prophète et l’expression de son impossibilité à surmonter ses propres contradictions. Revenu officiellement au judaïsme à Paris peu avant son exil aux États-Unis, l'inventeur du dodécaphonisme fut lui-même en proie, durant les deux décennies qui lui restaient à vivre, à une impuissance quasi existentielle, celle d’achever Moses und Aron. Avec ce chef-d'oeuvre, Philippe Jordan guide l'ensemble des forces musicales de l'Opéra de Paris, et Romeo Castellucci fait des débuts très attendus sur la scène de l’Opéra Bastille.
La Damnation de Faust
« Le merveilleux livre me fascina de prime abord ; je ne le quittais plus ; je le lisais sans cesse, à table, au théâtre, dans les rues, partout. » C’est ainsi que Goethe, dont le compositeur découvrit le Premier Faust en 1828, rejoignit Virgile et Shakespeare pour former la Trinité berliozienne. Sans reprendre haleine, il mit en musique les fragments versifiés de la traduction en prose de Gérard de Nerval, qu’il publia sous le titre de Huit scènes de Faust. Et lorsqu’il décida, dix-huit ans plus tard, de reprendre et de développer ce matériau dans La Damnation de Faust au cours d’un voyage « en Autriche, en Hongrie, en Bohême et en Silésie », une même fièvre s’empara de lui. « Une fois lancé, je fis les vers qui me manquaient au fur et à mesure que me venaient les idées musicales. Je composais la partition quand je pouvais et où je pouvais ; en voiture, en chemin de fer, sur les bateaux à vapeur ». Comme porté par « le désir d’un coeur trop vaste et d’une âme altérée d’un bonheur qui la fuit », Berlioz se confond avec sa création : car cette voix invoquant la « nature immense, impénétrable et fière » est absolument la sienne, dont l’ampleur inouïe excède les formes traditionnelles, entre rêve d’opéra eokt de symphonie. Révéler la théâtralité de cette « légende dramatique » est un défi constant, que le metteur en scène Alvis Hermanis a accepté de relever. Dirigé par Philippe Jordan, ce premier volet d’un cycle Berlioz qui se poursuivra sur plusieurs saisons, marque le retour de Jonas Kaufmann et Bryn Terfel à l’Opéra national de Paris.
Il Barbiere di Siviglia
« Le Barbier est un des chefs-d’oeuvre du siècle. » Sous la plume de Berlioz, qui dans sa jeunesse fustigeait non seulement Rossini, mais surtout le « fanatisme qu’il excitait dans le monde fashionable de Paris », ce compliment « répété à satiété » – c’est lui-même qui l’écrit – n’en est que plus grand. « Étincelant », et de surcroît « si finement instrumenté » que les « dilettanti de Rome », mis en fureur par la « moindre innovation imprévue dans le style mélodique, dans l’harmonie, le rythme ou l’instrumentation voulurent assommer le jeune maestro », Il Barbiere di Siviglia n’a plus quitté l’affiche depuis sa création mouvementée, le 16 février 1816. C’est que, transcendant l’esprit de la comédie de Beaumarchais comme le genre buffa, le compositeur y réalise la rencontre entre l’absurde et un certain réalisme satirique, grâce à une musique dont le rythme et la virtuosité inscrivent les effets comiques dans une dramaturgie continue. Les personnages, et Rosina en premier lieu, y gagnent une vérité inédite, rompant avec les archétypes alors de mise.
Le spectacle tourbillonnant de Damiano Michieletto épouse ce mouvement perpétuel et emporte dans son sillon le couple en or formé par Lawrence Brownlee et Pretty Yende.
Die Meistersinger von Nürnberg
Nuremberg, été 1835 : dans une taverne, une joute vocale oppose Richard Wagner à un menuisier chanteur, et dégénère en échauffourée. Le décor de « Die Meistersinger » est en somme déjà planté. Marienbad, été 1845 : en puisant dans l'Histoire de la littérature poétique nationale des Allemands, ainsi que dans une biographie du cordonnier et poète Hans Sachs (1494-1576), le compositeur esquisse le canevas d’un pendant satirique de Tannhäuser. Venise, automne 1861 : visitant l’Accademia avec les Wesendonck, il tombe en arrêt devant L’Assomption du Titien et décide de s’atteler à l’écriture de « Die Meistersinger » – opéra dont il ne vint à bout que six ans plus tard. Avec un sens de l’autodérision qui ne lui est pas d’emblée associé, il mêle exercice de styles et manifeste esthétique, à la gloire du « noble et saint art allemand ! » Au-delà d’un nationalisme que Thomas Mann qualifiera de « spiritualisé », l’unique comédie de la maturité de Wagner lie l’aspiration à la nouveauté à une nécessaire persistance des traditions, traçant de l’artiste, dédoublé dans les figures de Sachs et Walther von Stoltzing, un autoportrait en sage autant qu’en audacieux. Après un remarquable Parsifal au Festival de Bayreuth en 2012, Philippe Jordan retrouve le metteur en scène Stefan Herheim pour la première production de Die Meistersinger von Nürnberg à l’Opéra de Paris depuis plus d’un quart de siècle.
Lear
Du Roi Lear de Shakespeare, Berlioz ne fit qu’une ouverture, tandis que Debussy n’alla pas au-delà des deux premiers numéros de la partition qu’il entreprit d’écrire pour accompagner la mise en scène d’André Antoine. Quant à Verdi, que cette tragédie « si vaste, si tortueuse » hanta dès 1843, il ne cessa d’atermoyer, confessant au soir de sa vie que la scène dans laquelle Lear se retrouve dans la lande l’avait terrifié. Souhaitant se mesurer au rôle parce qu’il avait depuis longtemps « l’impression que les divers niveaux du drame intérieur et extérieur pouvaient très bien s’allier à la musique et se laisser exprimer par elle », le grand baryton allemand Dietrich Fischer-Dieskau sollicita Benjamin Britten, avant de se tourner vers le compositeur allemand Aribert Reimann. D’abord hésitant, celui-ci finit par décliner la proposition. Au fil de lectures répétées, la pièce prit cependant racine en lui, la musique s’emmagasinant dans « une sorte de tiroir ouvert quelque part dans [sa] tête », jusqu’à ce que la commande de la Staatsoper de Munich déclenche, en 1975, la phase effective de la composition. « On a rarement dépeint de façon aussi convaincante – peut-être dans le Wozzeck d’Alban Berg – la solitude de l’homme comme conséquence de son incapacité à voir ceux qui l’entourent », écrira le créateur du rôle de Lear et instigateur de cette oeuvre majeure du XXe siècle. Jamais reprise à l’Opéra de Paris depuis sa première française en 1982, elle est présentée dans une nouvelle mise en scène de Calixto Bieito avec Bo Skovhus dans le rôle bouleversant de Lear.
Der Rosenkavalier
« La Maréchale, Ochs, Octavian, le riche Faninal et sa fille, tous les liens vitaux qui se sont tissés entre eux, ces personnages, on dirait que tout cela s’est trouvé là ainsi, il y a très longtemps. Aujourd’hui, ils ne m’appartiennent plus, ni non plus au compositeur, ils appartiennent à ce monde flottant bizarrement illuminé, le théâtre, où ils se conservent en vie depuis déjà un certain temps et se conserveront peut-être encore un moment. » La vision d’Herbert Wernicke, metteur en scène majeur, et trop tôt disparu, du dernier quart du XXe siècle, qui maîtrisait en démiurge jusqu’au moindre élément de ses productions, s’approprie et prolonge cette évocation de Rosenkavalier par son librettiste, Hugo von Hofmannsthal. Aboutissement d’une pensée dramaturgique sans concession aux traditions, ses décors vertigineux sont d’abord et surtout une formidable machine théâtrale, où l’illusion se donne pour telle à travers les jeux de miroirs infinis d’une Vienne au crépuscule, dont les reflets rococo ne sont dès lors qu’un leurre, un masque que chacun des personnages arbore avec suffisance, naïveté ou coquetterie – la Maréchale se regarderait-elle encore dans la glace si elle n’y voyait que l’empreinte du temps qui passe ? Après onze ans d’absence, Anja Harteros fait son retour à l’Opéra de Paris dans l’un des plus beaux rôles du répertoire, sous la baguette de Philippe Jordan.