Plus de peur que de mal en ce soir de première
Mefistofele © Philippe Gromelle
Ce Mefistofele de Boito restera toujours une oeuvre atypique, inégale, touffue, une sorte de curiosité du répertoire lyrique du dix-neuvième siècle, un Faust revisité par un poète-compositeur de vingt-quatre ans, doté d’une profonde culture philosophique et littéraire, celui-là même qui allait à l’âge mûr signer les livrets des ultimes chefs d’œuvre de Verdi, Othello et Falstaff.
Ici, c’est Satan qui conduit encore une fois le bal ! Et de belle manière. Afin de ne pas mettre ses pas dans ceux des deux français qui avaient limité leurs transpositions à la première partie du drame, Boito en récupéra la version complète avec au final l’échappée dans l’antiquité de Troie et de sa belle Hélène. Les mauvaises langues relèveront quelques heurts entre l’italien et le poète teuton, en filigrane cet effort angoissant pour rester au plus près du texte et y rester. Dans le genre ça casse mais ça passe, on n'a jamais fait mieux…
Il faut donc un sacré culot pour s’attaquer à ce pilier épisodique du répertoire.
Voyez un peu : des chœurs en veux-tu en voilà et de toutes espèces (divins, carnavalesques, orgiaques…) une flopée d'escaliers, de décors (Rudy Sabounghi), de projections dantesques (Julien Soulier) et pour finir quatre-cent quatre-vingt costumes (Buki Shiff au meilleur de sa forme) au compteur…
Nouveau Maître des Chorégies, Jean-Louis Grinda a repris, développé, amélioré, encore plus cinématographié sa mise en scène désormais de légende, déploie les fastes du grand espace sur le vaste ring orangeois et signe un spectacle digne des Folies-Bergères, Hollywood, Disneyland et Hollyday on Ice confondus.
Voilà une production raffinée, ludique, onirique, colorée, baroque et truffée d’humour qui laisse pantois, abasourdi. Tout simplement en allant à l’essentiel, dans une suite de tableaux fantasmagoriques qui nous trimbalent du ciel aux enfers grâce à de spectaculaires projections de nuages sur grand écran épousant les rafales orageuses de la partition. Les chœurs, en grand oratorio cosmique, sont comme suspendus dans le vide, les carnavals païens à souhait, la Nuit de Walpurgis d’un kitsch irrésistible… Oublions vite l'incident technique qui a mis a mal Faust et son Diable... Tout est bien qui finira bien... Bonheur complet, pari réussi !
A tout Seigneur, tout honneur ! Dans le rôle-titre Erwin Schrott, en rocker tout de cuir vêtu, malfaisant gay-friendly, s’arrange encore une fois avec une intelligence diabolique d’une partie écrite pour une vraie basse.
Acrobatique, fielleux, visqueux, séduisant, jeune, plein de punch et de vitalité, d’un sex-appeal irrésistible, le baryton uruguayen tel un tsunami vocal emporte tout sur son passage.
On attendait au tournant le jeune Jean-François Borras. Le ténor, un tantinet paralysé par l'incident (on le serait à moins) a, en ce soir de première volcanique, campé et chanté un Faust lyrique, pathétique, poignant, avec un rien de jusqu'au-boutisme à l'humanité vraie.
Simplement parfaites les Margarita et Elene de Beatrice Uria-Monzon, qui a la voix du Bon Dieu, large, pleine, sensuelle, crémeuse à souhait, d’une beauté et d’une finition vocale proches de la perfection. L’approche dramatique est aussi fort belle.
Succulente composition de Marie-Ange Todorovitch en Marta nymphomane, mais un rien effacé le Wagner de Reinaldo Macias.
La Pantalis poétique de Valentine Lemercier achève de nous séduire en quelques notes sidérantes de fraîcheur bienfaisante dans ce monde frelaté.
A la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, des Chœurs d'Avignon, Monte-Carlo et Nice, Nathalie Stutzmann fait de la soirée une célébration plus qu'une représentation. L'ensemble est conduit avec juste ce qu'il faut de grandiloquence. Jouant la carte de l'engagement dramatique sans jamais renoncer aux recherches polyphoniques, ni à la clarté, Boito sonne ici avec une telle plénitude, un tel raffinement, une telle éloquence que Nathalie nous ferait presque prendre des vessies pour des lanternes avec cette partition certes unique en son genre, hénaurme, un tantinet bâtarde dans sa grandiloquence. Chapeau bas !
Christian Colombeau
La vidéo (France 3) de l'incident en suivant ce lien : www.youtube.com/watch?time_continue=5&v=ydhLIC46GZY
Ici, c’est Satan qui conduit encore une fois le bal ! Et de belle manière. Afin de ne pas mettre ses pas dans ceux des deux français qui avaient limité leurs transpositions à la première partie du drame, Boito en récupéra la version complète avec au final l’échappée dans l’antiquité de Troie et de sa belle Hélène. Les mauvaises langues relèveront quelques heurts entre l’italien et le poète teuton, en filigrane cet effort angoissant pour rester au plus près du texte et y rester. Dans le genre ça casse mais ça passe, on n'a jamais fait mieux…
Il faut donc un sacré culot pour s’attaquer à ce pilier épisodique du répertoire.
Voyez un peu : des chœurs en veux-tu en voilà et de toutes espèces (divins, carnavalesques, orgiaques…) une flopée d'escaliers, de décors (Rudy Sabounghi), de projections dantesques (Julien Soulier) et pour finir quatre-cent quatre-vingt costumes (Buki Shiff au meilleur de sa forme) au compteur…
Nouveau Maître des Chorégies, Jean-Louis Grinda a repris, développé, amélioré, encore plus cinématographié sa mise en scène désormais de légende, déploie les fastes du grand espace sur le vaste ring orangeois et signe un spectacle digne des Folies-Bergères, Hollywood, Disneyland et Hollyday on Ice confondus.
Voilà une production raffinée, ludique, onirique, colorée, baroque et truffée d’humour qui laisse pantois, abasourdi. Tout simplement en allant à l’essentiel, dans une suite de tableaux fantasmagoriques qui nous trimbalent du ciel aux enfers grâce à de spectaculaires projections de nuages sur grand écran épousant les rafales orageuses de la partition. Les chœurs, en grand oratorio cosmique, sont comme suspendus dans le vide, les carnavals païens à souhait, la Nuit de Walpurgis d’un kitsch irrésistible… Oublions vite l'incident technique qui a mis a mal Faust et son Diable... Tout est bien qui finira bien... Bonheur complet, pari réussi !
A tout Seigneur, tout honneur ! Dans le rôle-titre Erwin Schrott, en rocker tout de cuir vêtu, malfaisant gay-friendly, s’arrange encore une fois avec une intelligence diabolique d’une partie écrite pour une vraie basse.
Acrobatique, fielleux, visqueux, séduisant, jeune, plein de punch et de vitalité, d’un sex-appeal irrésistible, le baryton uruguayen tel un tsunami vocal emporte tout sur son passage.
On attendait au tournant le jeune Jean-François Borras. Le ténor, un tantinet paralysé par l'incident (on le serait à moins) a, en ce soir de première volcanique, campé et chanté un Faust lyrique, pathétique, poignant, avec un rien de jusqu'au-boutisme à l'humanité vraie.
Simplement parfaites les Margarita et Elene de Beatrice Uria-Monzon, qui a la voix du Bon Dieu, large, pleine, sensuelle, crémeuse à souhait, d’une beauté et d’une finition vocale proches de la perfection. L’approche dramatique est aussi fort belle.
Succulente composition de Marie-Ange Todorovitch en Marta nymphomane, mais un rien effacé le Wagner de Reinaldo Macias.
La Pantalis poétique de Valentine Lemercier achève de nous séduire en quelques notes sidérantes de fraîcheur bienfaisante dans ce monde frelaté.
A la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, des Chœurs d'Avignon, Monte-Carlo et Nice, Nathalie Stutzmann fait de la soirée une célébration plus qu'une représentation. L'ensemble est conduit avec juste ce qu'il faut de grandiloquence. Jouant la carte de l'engagement dramatique sans jamais renoncer aux recherches polyphoniques, ni à la clarté, Boito sonne ici avec une telle plénitude, un tel raffinement, une telle éloquence que Nathalie nous ferait presque prendre des vessies pour des lanternes avec cette partition certes unique en son genre, hénaurme, un tantinet bâtarde dans sa grandiloquence. Chapeau bas !
Christian Colombeau
La vidéo (France 3) de l'incident en suivant ce lien : www.youtube.com/watch?time_continue=5&v=ydhLIC46GZY