Carmen enflamme le Dôme de Marseille. Juin 2016

Après le succès récolté par la Flûte enchantée de Mozart l’an passé, l’Opéra Studio Marseille Provence créé en septembre 2015 par le chef d’orchestre Jacques Chalmeau a choisi de confier la mise en scène au directeur et fondateur du Théâtre Toursky Richard Martin, dans l’édition dont il est l’auteur chez sources of music qui respecte la partition originelle créée le 3 mars 1875 à l’Opéra Comique à Paris. Un duo renouvelé et gagnant !


Carmen © J.N Barak
Enfin la version originelle : une curiosité défendue avec brio
Si l’Opéra d’Avignon et des Pays du Vaucluse comme les Chorégies d’Orange cet été avait choisi la version Guiraud, cette nouvelle version de Carmen était très attendue. Ici, Frasquita et Mercédès retrouvent leur tessiture originelle et Moralès son superbe premier air trop souvent coupé par les versions données aujourd’hui. Disons-le cette version est une agréable surprise, on évite l’écueil de l’ennui grâce à une direction musicale habitée, vive et précise du chef d’orchestre à la tête de la Philharmonie Provence Méditerranée renforcée par une vingtaine de jeunes étudiants et une époustouflante mise en scène de Richard Martin. Un public de toutes générations souvent néophyte avec dans une main une canette de coca et dans l’autre de grands gobelets de pop corn découvre pour la première fois un spectacle lyrique qui mêle théâtre, chorégraphie d’une beauté quasi cinématographique qui semble sourire à Fellini. Pari gagné, en témoigne la standing ovation d’un public en liesse et conquis lors des représentations pendant plus de vingt minutes .

Une mise en scène inspirée et profondément novatrice 
Monter une mise en scène avec peu de moyens au dôme est un pari fou que seul un grand metteur en scène peut relever. Et cette nouvelle production, née en ce mois de juin en coproduction avec l’Opéra de Marseille est l’une des plus belles productions de l’ouvrage vues ces dernières années. Si la mise en scène cet été de Louis Désiré aux chorégies d’Orange malgré la présence de Jonas Kaufmann se limitait à une partie de cartes et récoltée un flop, cette nouvelle production triomphe dans la cité phocéenne à juste titre. Parler d’une mise en scène de Richard Martin, c’est aligner une suite de productions après Don Giovanni ou la flûte enchantée ici même où l’intelligence le dispute à la sensibilité. Il offre au public du dôme une mise en scène exemplaire de profondeur reposant sur une architecture longuement pensée. Cette Carmen là vit et se meut à la Belle de Mai, ouvrière de la manufacture de tabac après la seconde guerre mondiale. Elle n’en demeure pas moins une héroïne profondément méditerranéenne.
Il y a chez Richard Martin entourée de Floriande Chérel (dessins projetés sur le mur du dôme) et Mathieu Carvin (images animées très réussies) pour la scénographie, ce talent si rare que l’on retrouve chez les plus grands tels Robert Carsen, Willy Decker, Christoph Marthaler, Olivier Py ou Davide Livermore.
Sa transposition fonctionne à merveille. Les idées fourmillent à la minute. Le caractère universel de Carmen nous transporte dans la tragédie antique.

Richard Martin dispose à cour et à jardin le chœur d’hommes et joue lui-même le rôle éponyme du coryphée ici en radiographe relevé par un figurant incarnant le philosophe. Le scandale de liberté absolue de son héroïne lors de sa création à l’Opéra Comique est l’axe moteur de la mise en scène. Il y essaime ses idées toujours poétiquement : magnifie la scène de la garde montante au marché de la Belle de Mai, puis y glisse procession qui exalte l’Art, les enfants jouent à la marelle sur la croix, éclairages audacieux et géniaux lors de la taverne qui dansent avec l’incandescente danseuse de flamenco Ana Perez comme double de Carmen rejoint rapidement par Maria Perez, image de boat people sur un navire prenant feu et disparaissant dans les flots à la fin de l’acte III, comme un écho au drame actuel des migrants : les contrebandiers devenant ici des passeurs, costumes ridicules de picadors et matadors à l’acte final dans un défilé particulièrement réglé où les choristes arpentent de très beaux masques à la façon de James Ensor. Don José se fera garçon boucher à son arrivée dans les arènes où Escamillo vient de livrer son combat. La mort de Carmen aura lieu au milieu des oranges. Le chœur philharmonique de Marseille et le chœur amoroso composé d’une centaine de chanteurs amateurs et les soixante gamins bougent parfaitement. Richard Martin jubile à régler les scènes de foule. On peut aussi saluer le beau travail réalisé par des bénévoles sur les costumes sous l’égide de Didier Buroc et de Gabriel Massol. À quand une mise en scène de Richard Martin à Orange, Vérone ou dans l’un des grands théâtres lyriques européens ?

Une distribution française sans faille avec un Don José d’exception
La direction d’acteurs de Richard Martin privilégie les femmes. Elles sont les meilleures. Les mâles sont souvent bêtas, naïfs ou machos. Cependant, le Don José voulu balourd de Luca Lombardo domine la distribution. Il offre à Don José une voix de ténor solaire qui prend force peu à peu en volume tout en préservant des espaces contenus d’émotions. Son air de la fleur avec un si bémol chanté en falsetto est un pur moment de ravissement. La clarté de son chant affublée d’une diction exemplaire et d’une projection rare en fait l’un des meilleurs Don José de son temps.
Marie Kalinine est une Carmen de rêve. Actrice accomplie, diction impeccable, ces talents de comédienne s’allient à un timbre de mezzo-soprano aux multiples ressources. Toute en fièvre et en rébellion, elle fait sienne cette femme qui veut vivre sa vie et non celle que lui impose la société des hommes.

En parfait macho scéniquement l’Escamillo superbe dans son costume et char réalisé par Danielle Jacqui au dernier acte de Cyril Rovery en possède le charisme nécessaire et la voix. Il lui manque cependant superbe et ampleur à chacun des extrêmes de la tessiture pour être un toréador idéal. Avec un soprano tranchant et enjôleur, Lussine Levoni est l’une des révélations de cette distribution. Elle enlève toute mièvrerie à Micaëla et lui apporte fraicheur et simplicité. La qualité des chœurs et des seconds rôles permet de tirer la représentation vers le haut. On retiendra surtout le Dancaire de Mickael Piccone, la Mercédès de Sarah Bloch, la Frasquita d’Hélène Delalande, le Zuniga de Frédéric Albou ou le Remendado de Jean-Noël Tessier.
Seul le Moralès de Benjamin Mayenobe apparaît un peu en retrait.
Cette Carmen-là restera dans les esprits et ne demande qu’à voyager ! Tout simplement magnifique…
Pascale Marchesi

Pour en savoir plus sur la programmation 2016-2017 du Théâtre Toursky : www.toursky.fr
Pour retrouver l’art du chant incarné par le ténor Luca Lombardo il est vivement conseillé d’acquérir un très bel enregistrement de l’heure espagnole de Maurice Ravel sous la direction de Leonard Slatkin chez Naxos avec les forces de l’Opéra National de Lyon.

Pierre Aimar
Mis en ligne le Lundi 13 Juin 2016 à 12:10 | Lu 1578 fois
Pierre Aimar
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