Chorégies d'Orange 2016. Dieu, quelle belle mort ! Une Traviata à faire briller les étoiles

Et à les faire pleurer aussi, par la grâce de la soprano Ermonela Jaho qui a vécu le rôle avec passion.


Le triomphe pour Ermonela Jaho © Pierre Aimar
Elle est même parvenue à susciter l’émotion ce qui n’est chose courante dans ce grand art si élaboré qu’est l’opéra. Et cela dans le site du théâtre d’Orange, cadre si imposant, immenses gradins très hauts, et ses dix mille spectateurs ou presque.

Théâtre plein à ras bord de spectateurs divers, vieux amateurs connaisseurs mais aussi plus jeunes et même enfants ce qui est rare. Quelle belle idée d’offrir à des adolescents cette rencontre exceptionnelle avec la civilisation que signifie une représentation d’opéra !
A la fin, après cette enchanteresse explosion d’étoiles jusqu’au plus haut du grand mur, personne ne partait plus et les applaudissements ont longtemps retenti !

Il s’agissait donc d’une présentation nouvelle, différente, de ce drame si souvent joué, La Traviata, la dévoyée en français. Vilain mot que cette Dévoyée alors qu’en italien les trois a du mot dont le sens est identique, lui donnent des sonorités - déjà - musicales. Dans une mise en scène remarquable de Louis Désiré, scénographie et costumes de Diego Mendez Casariego et des éclairages de Patrick Méeüs, la vaste scène du théâtre antique, qui fait paraître toutes les autres petites, a prêté son espace immense au drame : vastes dimensions pour les bals et autres fêtes ; moindre espace pour l’intimité, amour et mort.
On pourrait dire drame bourgeois né dans ce XIXe siècle pétri de règles où l’orgueil et l’honneur familial interfèrent dans la vie et… les amours !
Quelques rôles clés, Ermonela Jaho en Traviata, Francesco Meli en Alfredo son amour, le père d’Alfredo, Germont, confié à Placido Domingo dans un rôle de père qui lui convenait. Et tout autour célébrant l’amour et la fête, les chœurs des opéras d’Angers-Nantes, Avignon et Marseille ; des chœurs en costumes et en couleurs et parfois masqués et souvent dansants.

Une symbolique puissante
Car ce spectacle se joue en couleurs et, grâce à toute une symbolique non dénuée de sens. La robe rouge de Violetta, liberté et vie frivole, noire dans la vie mondaine, puis blanche devient amoureuse et fidèle, pour se teinter de motifs gris en nuages quand le malheur se profile dans sa vie, en la personne de Giorgio Germont, le père bourgeois, artisan de la rupture « nécessaire » entre son fils et la belle demi-mondaine.
Dominant la scène, d’immenses lustres de cristal, en projections (maping dit-on, autre vilain mot) qui vont se retourner, bougies la tête en bas avec l’arrivée du mal ; ou cette fenêtre sur laquelle pleurent les larmes du chagrin et de la rupture imposée ou ces vitres mal éclairées par lesquelles passe si mal la lumière symbole de survie ? Tout a du sens dans ce décor géant et virtuel mais l’ensemble reste léger et seulement fait de lumière laissant l’espace à une mise en scène souvent mobile.

Des interprètes remarquables
L’immensité du cadre à Orange est source de difficulté pour les chanteurs en particulier quand le vent s’en mêle. Point de vent ce soir-là ni de robes qui volent. Et les voix y ont pris toute leur vigueur, la puissance charnelle de celle de Francesco Meli pour la première fois présent à Orange, la matité de celle de Placido Domingo que nous y avions déjà entendue ; surtout cette découverte pour nous, celle d’Ermonela Jaho toute récente Madame Butterfly aux Chorégies. Si elle nous a paru un peu timide en début de spectacle, très vite elle a pris son essor et s’est révélée d’une finesse et d’une légèreté extrême, précise et parfois veloutée, j’oserais dire enchanteresse.
Dieu, quelle belle mort ! A la fois comédienne (d’opéra) et cantatrice, Ermonela Jaho nous a offert là une des plus belles morts d’opéra, où ses voiles, les couleurs et le drame de la musique se sont parfaitement conjugués.
Une éblouissante soirée des Chorégies à Orange.
Jacqueline Aimar

Pierre Aimar
Mis en ligne le Vendredi 5 Aout 2016 à 09:57 | Lu 8766 fois
Pierre Aimar
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