Chorégies d’Orange, Aïda sous la menace des dieux et des cieux

Presque 10 000 personnes dans un même théâtre, cela tient du miracle et de la gageure
Et pourtant ce soir-là les hauts gradins du théâtre romain d’Orange sont pleins à craquer, malgré l’annonce d’orages, pour une grande œuvre au Panthéon des opéras, l’Aïda de Giuseppe Verdi.


Aïda © Philippe Gromelle Orange
Pour qui n’a jamais été vraiment présent à Orange lors des Chorégies, comment imaginer la magie des premières notes du premier thème, dans la nuit qui ne descend pas ? Inimaginable.
Et puis attaque des violons tendres et mélodieux ; Radamès et Ramfis s’avancent, de part et d’autre de l’immense scène. Admirons d’emblée la merveille des décors en projection sur le mur, le fameux mur d’Orange ; tour à tour un palais maure à arcs outrepassés puis les voûtes en dentelles d’un autre palais maure. Il faut dire que le gigantisme du lieu imposerait des décors si hauts, si vastes que Avi-Yona Bueno et Nicolas Topor leur ont préféré des décors de lumière qui s’incrustent dans le décharnement du mur pour lui donner relief et vie ; leur pouvoir évocateur se propose comme une source de rêve. Quant aux costumes, de Katia Duflot, une habituée des lieux, variés et colorés, ils jouent dans les pastels et proposent un camaïeu de couleurs, jouant d’abord autour du bleu des hommes du désert, ce fameux bleu touareg bien placé en cette évocation de l’Egypte. Regrettons peut-être cette étrange robe violet métallique bordée de bijoux d’argent qui pare Aïda de façon trop dure ; elle aurait peut-être mérité plus vaporeux, plus léger, plus frivole…

Aïda un thème proche de l’actualité ?
Point n’est besoin de parler d’Aïda, œuvre grandiose déjà donnée plusieurs fois à Orange, et qui trouve là le cadre idéal à la mesure du grand peplum voulu par Verdi : il faut dire que l’événement était d’importance, l’inauguration du théâtre du Caire en 1869.
Charles Roubaud assure ici une remarquable mise en scène ; il a souhaité donner à cette histoire un sens politique plus accentué : « accoler le livret romanesque d’Aïda aux événements historiques qui ont suivi la création donnera forcément une vision orientale, plus sombre qu’ensoleillée, dans un climat à la fois mystérieux et dangereux, où civils et religieux réagissent violemment aux menaces de guerre avec un nationalisme exacerbé proche de l’actualité ». Etendards et drapeaux, effets de pétards et de coups de feu contribuent également à cette note guerrière et jouent leur effet de surprise. Sans oublier les fameux appels donnés par ces trompettes célèbres (certains spectateurs que nous avons rencontrés ne viennent que pour elles, comme d’autres pour le Va pensiero de Nabucco…)
Le premier tableau du deuxième acte propose une vision de harem, vaporeuse, avec sofas et mousselines roses, femmes allongées, à la manière de Delacroix : c’est Amnéris. Ambiance très orientale et colorée, renforcée par la danse sarabande mouvementée des petits esclaves maures, qui ne parvient pas même à distraire Amnéris et s’éclipse très vite avec l’arrivée d’Aïda : une Indra Thomas superbe et puissante toute en frémissements dans ce duo avec Ekaterina Gubanova.

Un début un peu frileux
Le premier tableau nous a paru un brin timide, un brin frileux manquant d’envol dans ce vaste lieu, sous la nuit orageuse. Voix mal distinctes, orchestre plat.
Effet voulu peut-être puisque tout est monté en puissance et en contraste autour des évocations plus guerrières jusqu’à ces fameuses trompettes du deuxième acte, magnifiquement mises en relief par la configuration des lieux.
Indra Thomas est une Aïda à la voix délicate et Carlo Ventre joue Radamès, amour hésitation, jusqu’à la mort, muré dans le tombeau ; dont on attendait les effets…Scène gommée par l’arrivée de l’orage au grand regret des milliers de spectateurs. Ekaterina Gubanova en Amnéris, jalouse et amoureuse elle aussi, et Giacomo Prestia, habitué d’Orange, le grand prêtre Ramfis, sont tous deux à la hauteur de leur rôle.
L’orchestre National du Capitole de Toulouse est dirigé par Tugan Sokhiev ; les chœurs nombreux et puissants, d’Angers-Nantes-Opéra, dirigé par Sandrine Abello, de l’Opéra-Théâtre d’Avignon et des pays de Vaucluse, sous le direction d’Aurore Marchand, de l’Opéra de Nice, dirigé par Giulio Magnanini, de Tours, avec Emmanuel Trenque et l’ensemble vocal des Chorégies d’Orange , une chorégraphie dynamique et exceptionnelle ont animé et coloré le drame de leur présence, avec celle de figurants, et donné à cette œuvre, la vérité et la puissance qui lui sont nécessaires.
Une fois de plus à Orange, tout a contribué autour d’une excellente mise en scène, à faire de l’opéra un spectacle immense, un spectacle total.
Jacqueline Aimar

Prochain spectacle, Rigoletto, les 30 juillet et 2 août, 21h30.

Pierre Aimar
Mis en ligne le Dimanche 24 Juillet 2011 à 09:22 | Lu 1083 fois
Pierre Aimar
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