Communiqué de presse des Sentinelles - Avignon 2020

Le festival n'aura (peut-être) pas lieu ... mais nous n'en parlerons pas. Nous sommes le samedi 28 mars 2020 et officiellement, le Festival d'Avignon (In et Off) doit toujours se tenir au mois de juillet.


Avignon In et Off au carrefour © Pierre Aimar
Pour le In, Paul Rondin et Olivier Py communiquent sur le fait que le festival se tiendra normalement et qu'ils travaillent à trouver des solutions pour les répétitions des spectacles.

Pour le Off, plusieurs voix se font entendre.
Comme nous le répétons depuis longtemps, le Off n'est pas un festival, il n'est soumis à aucune direction et est dans l'incapacité de parler d'une seule voix.
Ce que dit AF&C (Avignon, Festival et Cies, l'association qui édite le catalogue du Off) par la voix de son président Pierre Beffeyte, c'est que l'association travaille à ce que tout puisse se faire pour « que la prochaine édition soit un moment de partage, de rencontre et de création ». Tout au plus, Pierre Beffeyte admet-il dans une interview du 25 mars au Dauphiné que les compagnies « devraient peut-être revoir leur stratégie et venir avec un spectacle déjà monté et non pas une création ».
De leur côté, certaines salles peu enclines à laisser filer leur manne habituelle ont relancé les appels d'offre pour que les compagnies puissent combler les créneaux laissés vacants par certaines compagnies démissionnaires.
Bref, pour presque tout le monde (le ministère de la culture, lui, ne s'est pas encore exprimé officiellement sur le sujet) il semble urgent d'attendre.
En ce qui concerne les compagnies de théâtre – puisque finalement on est quand même bien obligés d'en parler de ces gens-là – l'inquiétude est immense et le statu-quo insupportable.
Voilà pourquoi nous SENTINELLES décidons de prendre la parole aujourd'hui. Non pas pour faire des effets d'annonce sur une situation que, comme tout le monde, nous ne maîtrisons pas, mais pour tenter d'avoir un discours constructif, logique et responsable. Et en évitant d'être dans une posture de déni qui consisterait à dire : « prions tous ensemble pour que le festival ait lieu ».

PREMIÈRE HYPOTHÈSE : le In et le Off se tiendront aux dates habituelles. D'ici là tout sera rentré dans l'ordre, un traitement ou vaccin contre le coronavirus auront été trouvés et nous pourrons nous réunir comme tous les ans pour la grande fête du théâtre. Il y aura comme d'habitude des vainqueurs et des perdants. Ceux qui gagnent de l'argent continueront à en gagner, ceux-qui en perdent continueront à en perdre et le off pourra ensuite tranquillement voguer vers sa 55ème édition dans un moment de partage, de rencontre et de création.
C'est évidemment l'hypothèse que tout le monde souhaite (en tout cas dans sa première partie) et nous serions les premiers à nous en réjouir.

SECONDE HYPOTHÈSE : Tout n'est pas résolu. Le confinement n'est pas levé avant de longues semaines ou bien s'il l'est, les rassemblements de plus de 100 (50 ? 25?) personnes continuent à être interdits, l'école est prolongée jusqu'en juillet, les spectateurs décident dans un élan sanitaire et salvateur de ne pas relancer une épidémie en se rassemblant dans des espaces confinés, les programmateurs ont trois mois de retard à rattraper dans leurs communes et n'ont pas ou plus le temps et les moyens de venir à Avignon... Le In est annulé et le Off fait bien ce qu'il veut vu qu'il n'existe pas en tant que structure mais on voit bien que même maintenu, les compagnies risquent d'en payer le prix (le plus) fort.
Cette seconde hypothèse, disons-le, serait désastreuse pour les compagnies et tous les travailleurs qui gravitent autour. Elle le serait évidemment aussi pour tous les théâtres avignonnais dont certains ne se remettraient pas d'une année blanche.
Elle est pourtant, si l'on veut bien regarder les choses en face, l'hypothèse la plus vraisemblable à ce jour.
Et cette seconde hypothèse ouvre alors encore sur deux possibilités :
- soit le festival Off (puisque c'est principalement celui qui nous intéresse ici) ne peut LÉGALEMENT se tenir en raison d'une décision gouvernementale ou préfectorale) : nous osons espérer alors que les compagnies récupèreront l'intégralité de ce qu'elles ont déjà versé, les salles ne pouvant plus offrir le service pour lequel elles ont été payées. Aux théâtre de se retourner ensuite vers leurs tutelles pour ne pas avoir à souffrir elles-aussi de cette annulation.
- Soit le festival Off ne se tient pas de fait : faute de In, faute de spectateurs, fautes de professionnels, fautes d'organisation ou tout simplement parce que les compagnies n'auront pas eu le temps ni les moyens de répéter et arriveraient extrêmement fragilisées... et il s'agit là pour les compagnies de se montrer prudentes et vigilantes.

Voilà donc quelques conseils que nous pouvons donner aux compagnies qui ont prévu de jouer au Festival Off d'Avignon 2020 (et pardon d'avance pour ceux qui penseront que nous énonçons des évidences) :
Certaines compagnies ont les reins assez solides pour attendre encore quelques semaines pour prendre une décision ou même qu'une décision soit prise à plus haut niveau. Tant mieux si leur assise le leur permet.
Pour toutes les autres, celles qui doivent rapidement prendre des décisions pour ne pas voir leur navire sombrer, alors envisagez une annulation. Voyez quelles en seraient les conséquences économiques pour votre cie et s'il ne s'agirait pas là d'un moindre mal. Ne vous jetez pas de manière inconsidérée dans un hypothétique festival qui dans le meilleur des cas risque d'être réduit à peau de chagrin.
RELISEZ le contrat qui vous lie à la salle dans laquelle vous êtes censés jouer. Tous les contrats à Avignon sont différents, ils dépendent des théâtres, des compagnies. Mais il y est normalement forcément question d'annulation et des conditions afférentes.
Appelez le service juridique d'AF&C en leur soumettant votre contrat et en posant la question de l'annulation. C'est aujourd'hui à des juristes qu'il nous faut nous adresser si nous ne voulons pas nous retrouver le bec dans l'eau. Nous tenterons de notre côté d'obtenir le plus d'informations juridiques possibles et les tiendrons évidemment à votre disposition.
Ne signez AUCUN contrat aujourd'hui avec un théâtre qui chercherait (avec les meilleures intentions du monde) à combler quelques trous dans sa programmation.
Appelez le théâtre où vous êtes censés jouer et discutez des conditions en cas d’annulation, mais également de ce qui pourrait être modifiable si le festival se tient, vus les problèmes de trésorerie qui vont se poser pour énormément de compagnies (en raison notamment des annulations de dates vendues).
C'est sans doute le moment de reparler d'un RÉÉQUILIBRAGE DES RISQUES dont nous nous faisons les chantres ici depuis un long moment.

Voilà donc les quelques éléments que nous pouvons partager aujourd'hui. Rien de révolutionnaire, donc mais la certitude qu'il nous faut être d'une vigilance accrue dans une période noire pour nos métiers.

Avant de conclure, il faut le redire : nous ne jouons pas les compagnies contre les théâtres.
Si le festival devait ne pas se tenir, tout le monde souffrirait évidemment. Et il faudrait alors être tous solidaires. Nous savons que certains théâtres feraient tout leur possible pour amortir le choc pour les compagnies, en prenant leur part du désastre. Mais nous savons aussi que nos intérêts économiques ne sont pas toujours les mêmes et c'est pourquoi nous agirons toujours, pour notre part, avec et pour les compagnies.

A très vite, ensemble.
Les Sentinelles

Les Sentinelles, pour un festival équitable, responsable, artistique.

Les Sentinelles

Pierre Aimar
Mis en ligne le Samedi 28 Mars 2020 à 20:17 | Lu 1134 fois
Pierre Aimar
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