DANSEM. Questions de Danse, Michel Kelemenis, Théâtre des Bernardines, Marseille

Michel Kelemenis, talentueux chorégraphe marseillais formé par Roland Petit et Dominique Bagouet, futur directeur d'une somptueuse Maison pour la Danse en construction dans le quartier Saint-Mauront (Marseille 3ème), présentait, fin octobre, dans le cadre du festival DANSEM, au Théâtre des Bernardines, chapelle du Lycée Thiers, "Questions de Danse",


une manifestation de prestige composée de spectacles suivis de débats fort intéressants sur la recherche actuelle en danse contemporaine. Deux chorégraphes mahgrébins ouvraient le bal, suivis par six autres venus d'horizons divers.

Taoufiq Izeddiou, de Marrakech, ancien boxeur devenu danseur, présentait Aléeff (première lettre de l'alphabet arabe), une pièce sur l'identité homme-femme. Se jouant des équilibres du corps, expert en élévations puissantes suivies de chutes retentissantes sur le dos, le garçon se débonde furieusement à l'écoute d'un prêche d'Imam, puis réalise une longue danse tournante derrière son musicien joueur de gnawa, avance, recule, marquant la mesure en frappant le sol de pas nerveux, puis se métamorphose en prostituée de bas étage qui sort de son sac à main rouge une série de paires de lunettes multicolores qu'elle essaye, bouche bée, avant de se livrer à un french cancan endiablé sur une musique de bandonéon.

Nejib Ben Khalfallah, tunisien, danse Mnema avec quatre jeunes interprètes très racés : Osman Kilani, Nadia Waly et les deux frères Ayadi. Il s'agit, comme son titre l'indique, de visions de rêves traversées de fantasmes, voire même d'un cauchemar orchestré par un vieux pervers (Ben Khalfallah) qui traverse vivement le plateau en imperméable noir ouvert sur un slip transparent et des bottes, pour affoler un trio d'éphèbes solidaires qui s'adossent têtes contre épaules en figure de Lamentation, tandis qu'une jeune fille apeurée fait de timides apparitions dans de vives alternances de lumières et de nuit.

La suissesse Perrine Valli donne avec Myouto une nouvelle version du Jeune Homme et La Mort dans un déjeuner sur l'herbe où deux femmes (La Garce et La Mort) contemplent un jeune homme nu (Alexandre Da Silva) en quête d'identité sexuelle. Traversé de références à la Littérature (La Femme assise) ou à la peinture ("Je ne vois pas la Femme cachée dans la Forêt" de Magritte), ce ballet très lent, solennel, qui réduit sa narration au minimalisme d'une gestuelle abstraite inscrite dans un grand cadre d'acier qui délimite chaque tableau, relève d'une démarche poétique plus hermétique que troublante.

La Semeuse : à partir d'un texte éponyme de Fabrice Melquiot qui nous parle de la séparation amoureuse, l'Autrichien Christian Ubl danse avec Céline Romand le roman photo d'une relation sexuelle exténuée dans les jeux du désir. Parée comme un mannequin de luxe, en vêtements de Haute Couture, face à un homme nu dans un costume de plastique transparent, la danseuse-comédienne fait passer le texte de l'écrivain que le danseur illustre de signes arbitraires dans un solo éblouissant composé de projections de jambes et de bras, de chutes, de tours en l'air, après une lente évolution au ralenti avec son amante au son du célèbre tube populaire italien"Ti Amo".

Dans Guintche, métaphore d'être partout sur le nom d'un oiseau de Cap Vert dont Marlène Monteiro Freitas est originaire, la danseuse vêtue d'un maillot d'écailles argenté recouvert d'un truc en plumes violettes et d'un chemisier à volants en voile orange, se présente au son des trompettes et des percussions, comme un animal, singe ou perroquet, en suractivité permanente. Seule, face au public, jambes écartées en plié sur demi-pointes, arborant un rictus effroyable de masque nègre, le regard mobile, curieux ou terrifiant, dansant du ventre, avançant en reniflant, réalisant des tours de scène à petits pas ou basculant en saut périlleux, appelant au soulèvement d'une horde imaginaire par un geste remuant du bras ou des directs du droit, dans le style des boxeuses déchaînées, Marlène Monteiro Freitas réalise une performance de mime et de danse étonnante, ensorcelante, qui se situe indéniablement dans les options du Théâtre de la Cruauté d'Antonin Artaud.

Enfin, le solo de Thomas Lebrun, Six order pieces, s'harmonise parfaitement au décor de la belle chapelle baroque. Sur le Requiem de Kurt Weil, des percussions et une chanson allemande des années trente, le danseur grassouillet comme un curé de campagne, multiplie les poses de lamentation, les attitudes extatiques de dévotion dans des rectangles de lumière crépusculaire, cite la pantomime princière des grands ballets classiques, sol pointé du doigt, bras droit hissé, paume de la main ouverte, puis retrouve son âme d'enfant, bras ballants ou en couronne, port de tête impeccable, dans un festival de pirouettes à la fois comiques et émouvantes, pour rejeter l'hypothèse d'un environnement inquiétant d'ombres errantes. . .

Le plus réussi des spectacles de ces questions de danse, La Semeuse, se terminait par "A suivre". On aurait voulu que la formule fut reproduite à l'issue de tous les autres, tant ils nous semblent, comme des feuilletons, prometteurs de palpitantes aventures chorégraphiques.
Philippe Oualid

Théâtre des Bernardines. 26 Octobre-6 Novembre 2010

pierre aimar
Mis en ligne le Dimanche 7 Novembre 2010 à 13:09 | Lu 1232 fois
pierre aimar
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