Dans l’intimité d’une icône. L’autre là, la blonde. Vu au Théâtre du Balcon, Avignon, le 8 mars 2018

Marilyn Monroe est devenue une icône, un mythe. Sa mort mystérieuse, sa vie, ses passions ont fait couler beaucoup d’entre, noirci bien des pages. Mais jamais l’intimité de cette femme n’a été aussi bien traduite que dans la pièce d’Ivan Romeuf jouée par Marie line Rossetti dans ce splendide théâtre du Balcon : une création, une première en ce jeudi 8 mars 2018.



Quel bel hasard, quel magnifique symbole que cette représentation le jour de revendication des droits de la femme. Marilyn Monroe évoque si bien une certaine condition féminine bafouée. Cette pièce où elle relève la tête, consciente jusqu’au bout, la sert admirablement. Un moment de théâtre sublimé !
Fondé en 1983 par la Cie Serge Barbuscia, le Théâtre du Balcon s’est affirmé comme un lieu permanent et emblématique de la scène théâtrale avignonnaise. Serge Barbuscia est un « citoyen du monde ». Il a donc voulu un espace de création et de diffusion. Le Théâtre du Balcon a contribué à la découverte et à l’épanouissement de nombreux artistes, musiciens, comédiens, auteurs… qui ont su tisser la confiance d’un public exigeant et curieux.

« Vous m’apporterez une bouteille d’eau ! » dit-elle à une personne en coulisse en entrant en scène. Elle est là, seule, en robe noire très chic et escarpins. Les cheveux blonds au brushing parfait caressent l’épaule. Une femme très soignée, raffinée même ; à coup sûr, quelqu’un habitué au luxe. Blasée peut-être car elle s’enveloppe d’un peignoir bleu, un peu trop grand pour elle. Elle n’a pas pris la peine de le nouer. C’est saugrenu, irrationnel, un peignoir sur une robe de soirée. Peut-être a-t-elle froid. Froid ? Le peignoir ne l’enveloppe qu’à moitié ! Mais que fait-elle assise sur ce beau fauteuil tapissier, un collier de diamants au cou assorti à ses pendants ? Elle parle, lui parle, se parle.
Et la salle frémit.

Cette femme est blessée, blessée de solitude, de ragots, blessée par les hommes, meurtrie par la vie. Une intelligence à fleur de peau, la fierté d’être encore, d’être ‘elle’ enfin ! Pas l’autre là, la blonde.
Elle murmure ? Non impossible ! La voix arrive claire, nette, jusqu’au dernier rang de ce magnifique théâtre du balcon. Par quel truchement le son parcourt-il la salle ? Un monologue ? Pas vraiment puisque elle s’adresse à l’autre là, la blonde ! Pas un dialogue bien sûr car l’autre ne lui répond pas !
Le doute qui s’est installé se dissipe peu à peu. Est-ce possible ? On la reconnait, ou du moins on pense la reconnaitre. C’est bien elle, la blonde, mais pas l’autre, elle, la vraie, Norma Jean, fragile, tendre, dépossédée de tous ses démons, sublime, entière. Elle apparaît un peu perdue, comme en transit, et l’on pressent pourtant qu’elle ne bougera plus de là. Elle s’y sent bien, loin des coups tordus, de la démarche de vamp sexy, des films où on la cantonnait dans des rôles de ‘ravissante idiote’, de ses amours, des ‘Pom Pom Pidou’…Elle n’a rien perdu de sa féminité, de son sex-appeal, de sa douceur. Mais elle est seule, avec pour unique protection la chaleur éphémère de ce peignoir de velours. Si la robe virevolte encore, si les lèvres sont rouges, le maquillage parfait, le port altier, la voix suave, ce n’est presque plus Marilyn ou si peu. Juste ce qu’il faut de Marilyn pour la moquer, la narguer, la défier.
Elle se livre, Norma Jean, sans s’abandonner tout-à-fait, elle se libère. Avec légèreté, humour, finesse, intelligence, elle invective la Marilyn d’un temps qui ne reviendra pas ! Celle à qui on prêtait l’amour de la bouteille, l’adorable lascive, la belle écervelée : « Tu t’es laissée avoir par tous ces ploucs, tous ces porcs ». Mais elle ne lui en veut pas Norma, à cette Marilyn bien trop naïve. Elle la comprend, lui pardonne même, comme on pardonne à un enfant, avec tendresse. Elle constate, elle règle les comptes avec sa vie, avec la vie. Si la vérité qu’elle se chuchote est parfois cynique, Norma Jean est toujours tendre. Elle essaie de se dévêtir de ce double qui la hante, l’emprisonne. Elle parle, parle, remplit ce vide de paroles sussurées.
La salle est comme happée par cette femme et sa solitude. Pas un souffle pour effleurer le silence. Où est-elle ? Se pose-t-on même la question ? Aucune importance ! Un sentiment d’impuissance, de tendresse, de compassion, d’empathie nous envahit. On n’y peut rien. Elle n’y peut rien.
La vérité de quelqu’un, on peut seulement en partager des fragments. Ainsi, on est presque toujours seul. Au mieux, peut-être, si on écoutait, on pourrait découvrir la solitude d’un autre…»

Nous sommes voyeurs plongés dans des parcelles de vie qui coulent devant nous. Qu’entendons-nous ? Serait-ce le voyage qui glissa le personnage vers son métier d’actrice et dont la plus grande inquiétude est de chavirer dans la folie ?
Et la bouteille d’eau que l’on oublie de lui apporter, qu’elle demande à plusieurs reprises, dans le vide absolu de ce moment d’existence. Nous savons, nous, que l’on n’apportera jamais la bouteille d’eau. Nous savons, nous, qu’au très petit matin, Norma sera retrouvée sur son lit, nue, morte. Sur la table de nuit, des flacons dont Marilyn aurait avalé tous les cachets.
A cet instant précis, Norma Jean ne le sait pas encore.

Ivan Romeuf a mis en scène plus de 160 pièces qu’il a également jouées et dont il a imaginé, pour certaines, éclairage et décors. Il poursuit son travail avec une recherche méticuleuse de l’excellence, une envie permanente de rester à l’écoute et en éveil sur un monde perpétuellement en mouvement.
Avec cette nouvelle création, Ivan Romeuf propose une rencontre sur le fil avec une âme furieusement féminine et terriblement écorchée. Un moment intense de théâtre qui nous nourrit d’un autre être. La mise en scène épurée, les décors d’une simplicité absolue : un fauteuil, une table avec quelques cahiers à la couverture rouge et une chaise participent de la sensation d’intimité et de partage.
Marie Line Rossetti est Norma Jeane. Pas de grandiloquence, pas de gestes théâtraux chez cette artiste. Le texte est intimiste, parlé à mi-voix. On est dans l’entre-soi. On pénètre immédiatement, à vif, dans le sujet et dans le contexte de la pièce. La comédienne interprète le rôle avec une intensité profonde, une sensibilité de tous les instants. "Elle est" Norma. Elle la porte, la transcende. L’actrice vibre avec son personnage, s’identifie à elle par tous les pores de sa peau. C’est une Marylin-Norma qui se dresse devant nous, fine, élégante, sensuelle, perdue, mais vengée, et désormais, à jamais délicieusement rebelle !
Danielle Dufour-Verna

Retrouvez "L’autre là, la blonde" au Théâtre Toursky
Les vendredi 6 et samedi 7 avril 2018 à 21h
Réservations : 04 91 02 58 35

Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Dimanche 11 Mars 2018 à 19:22 | Lu 390 fois
Danielle Dufour-Verna
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