Découverte : La Toussaint en Guadeloupe, fête des morts et des lumières. Un étonnant mélange de catholicisme et d'hindouisme

Le temps d’une semaine autour du 1er novembre, tous les guadeloupéens trouvent le chemin des cimetières pour fêter les disparus. Cela commence par un nettoyage en règle de la tombe, éventuellement le rafraîchissement des peintures, afin que la famille puisse se réunir dans la nuit de la Toussaint autour de la tombe illuminée par de nombreuses bougies.


En Guadeloupe, la Toussaint est un événement national.

En France métropolitaine, c’est la fête des fleuristes et la tradition est toujours vive : il faut faire l’effort de porter un chrysanthème sur la tombe des chers disparus, en vitesse et sans perdre trop de temps. C’est l’occasion d’un des plus formidables déplacements automobile de l’année ce qui donne l’impression d’accomplir un devoir collectif majeur. « Dieu que nous étions nombreux à honorer nos morts » peuvent dire ceux qui ont sacrifié une partie du week-end à ce devoir de mémoire. Mais cette journée du 1er novembre reste une fête individuelle.
Tout commence lors de la semaine précédant la fête catholique par un astiquage magistral des cimetières de l’île. Les services municipaux mettent les bouchées doubles pour que les parties communes soient rénovées et propres.
Dans certains cimetières, comme à Morne-à-l’Eau, les tombes recouvertes de carrelages subissent très peu les outrages de l’air tropical fortement chargé d’humidité. Ce qui n’exclut pas que l’on s’attache à arracher la moindre mauvaise herbe et à procéder à un ménage intensif de la dernière demeure des parents disparus. Une tombe bien nettoyée est le signe que l'on s'occupe de ses morts.
La grande préparation entraîne une importante circulation aux alentours des cimetières. Les bouchons y sont fréquents durant toute la semaine mais ne déclenchent aucun mouvement d’impatience. Il ne viendrait à personne l’idée de manifester un quelconque énervement dans cet engorgement dévoué au culte des morts. Le temps de vivre est pour un temps réglé sur le temps du souvenir.

La Toussaint, fête de la lumière et nuit des illuminations

Les nuits qui règnent sur la Toussaint offrent un spectacle lumineux, osons l’écrire, féérique. Des milliers de bougies sont allumées sur toutes les tombes avec pour symbolique forte de représenter la vie.
C’est la « nuit des clindindins », le nom en créole des lucioles, insectes nocturnes et lumineux des tropiques qui enchantent les enfants à la nuit tombée. Les cimetières, pour toute la nuit, sont un superbe lieu de lumière au cœur des ténèbres. En effet, il n’y a pas d’éclairage public dans les allées et, ce qui d’ordinaire est un trou d’ombre profonde dans la ville, se transforme en un théâtre illuminé à l’ancienne.
C’est du reste bien d’un théâtre dont il s’agit. Le thème de la tragédie est certes celui de la mort mais les divers acteurs jouent dans des répertoires très variés et en puisant leur inspiration dans des cultures différentes.

Fête chrétienne, fête indienne, fête laïque, une trinité fraternelle et de bon ton

La Guadeloupe est une terre de cultures mosaïques. Africains, Indiens du sud de l’Inde, orientaux, européens, mêlent leurs traditions autour du culte des morts. Croyants ou laïques fêtent avec la même ferveur le souvenir des disparus. Contrairement à la morosité et la tristesse qui règnent dans les cimetières en France métropolitaine à cette occasion, l’ambiance est ici vraiment bon enfant.
La famille se réunit autour de la tombe pour évoquer le souvenir des disparus tout en mangeant et en buvant le rhum local. Rien de triste dans ces propos, d’autant plus que l’on discute rapidement de tout, que l’on s’interpelle de tombe à tombe, que l’on invite des amis ou des voisins à s’asseoir un instant.
Des prières, certainement, mais surtout beaucoup d’échanges entre membres de la famille ou entre connaissances. D’autant plus que tout le monde se connaît sur l’île, et c’est bien là que réside le ciment sociologique sur lequel se construit depuis des décades l’identité guadeloupéenne.

Une fête dans la fête : la célébration du Semblani

Le Semblani est une cérémonie hindouiste originaire de l’Inde du Sud, sui intervient à la même période que la Toussaint, et succède pour les Indiens au Dipavali, la " fête de la Lumière ". C’est l’occasion pour les familles d’origine indienne de décorer la maison avec des bougies posées tout autour de l’habitation.
Les 60.000 guadeloupéens d’origine de Pondichéry, de Malabar, de la côte de Coromandel ou de villes comme Calcutta ont depuis quelques années affirmé leurs origines, leurs traditions et leur religion. Les temples hindouistes ont fleuri dans les campagnes où les cultes sont régulièrement pratiqués.
La fête du Semblani a lieu à la même époque que la Toussaint. La Fête de la Lumière et la fête de tous les saints se conjuguent harmonieusement.
Le Semblani a pour objet principal un repas préparé selon le rite du Pachel autour d’une chapelle privée et se compose de sept colombos et de divers plats qu’aimaient les disparus.
Lorsque ce cérémonial est terminé, la maison est quittée en prenant soin de la fermer durant quelques instants, pour laisser les morts goûter au repas.

La Toussaint est un moment privilégié pour découvrir la Guadeloupe. Un climat de paix s’instaure autour du devoir de chacun de fêter les disparus. Les gens se parlent encore plus facilement qu’à l’ordinaire, ils s’invitent à partager quelques mets près de la tombe, s’offrent à boire, évoquent l’an tan lontan (le temps jadis), et passent une bonne partie de la nuit à se raconter des souvenirs, à évoquer la vie des disparus. Puis à rire pour un bon mot, une anecdote savoureuse ou croustillante.
Comme partout, le fil des heures traverse tous les sentiments : recueillement, souvenir, émotions, larmes, confidences, déclamation, éclats de voix, rires et emportements. La vie passe, la vie est passée, la vie continue.
Pierre Aimar

Photos © Pierre Aimar

pierre aimar
Mis en ligne le Dimanche 5 Octobre 2008 à 04:34 | Lu 10820 fois
pierre aimar
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