Dialogues des Carmélites © Opéra d'Avignon
Intemporalité des massacres de masse
La pièce de Bernanos qui fournit un découpage cinématographique exemplaire (le film de Philippe Agostini sorti en 1961 en fournit un bel exemple), d'une parfaite progression dramatique, raconte simultanément le martyre des carmélites de Compiègne et l'aventure individuelle de Blanche de la Force se confondant au dernier tableau en une scène admirable scandée par le couperet de " l'Abbaye de Monte-à-Regret ".
Dans cet opéra qui est autant texte que musique, comme Pelléas, Poulenc emprunte beaucoup on le sait à Moussorgsky et Puccini mais n'évite pas certains clichés. Son langage musical n'a lui rien de bien révolutionnaire, l'orchestration restant toutefois claire, jamais chargée, même dans les épisodes dramatiques qui brassent cruauté et souffrance, dérision, tendresse et humour...
Dans un lieu scénique à la simplicité enfantine, oppressant dans sa blanche structure de bloc opératoire propice à toutes les expériences de la vie ou de la mort, on retrouve, dans la mise en scène épurée à l'extrême d'Alain Timàr - qui en a décontenancé plus d'un malgré ces projections poétiques, nauséeuses ou intergalactiques - l'énergie, le rythme du docudrame, celui d'une tempête cérébrale au beau contraste entre la fureur sanguinaire de la rue et le calme clos du Carmel.
Point de reconstitution historique. Intemporalité des meurtres de masse pour une soi-disant juste cause populaire. Tout en gommant les rugosités, les effets d'un texte avant tout confidentiel, mesuré, Alain Timàr privilégie judicieusement le style ouaté, presque fauve de ces dialogues d'espérance, d'amour et de terreur.
La scène finale ? Seize flashes, seize coups de fouet tranchants comme la lame du Grand Rasoir National... pour un air de déjà vu ailleurs (Keller, Carsen etc...). Et attendue comme le loup blanc, petite bataille d'Hernani au rideau final entre conservateurs et modernes.
Devant tant de conviction générale, d'enthousiasme communicatif et de larmes versées aux notes ultimes, on renoncera exceptionnellement à entrer dans des considérations vocales de détail.
Montagne de conscience abattue par la mort, dans une sobriété de moyens et d'effets totalement bouleversante, sans grave poitrinés à l'extrême, d'une sensibilité toute aristocratique, Marie-Ange Todorovitch renouvelle la quasi infernale Madame de Croissy. Ici ce n'est pas la voix qui meurt, c'est l'âme également.
Lui répond, dans un même élan de renouveau, la Blanche de Ludivine Gombert. Chacune de ses prestations nouvelles est confirmation d'un talent immense. De Blanche elle offre une vision idéale, incarnée : la fragile et rayonnante jeunesse, l'angoisse, la sérénité ; tout est traduit par un timbre charnu, une aisance totale de la tessiture.
Gorgée de douceur et de bon sens populaire, La Nouvelle Prieure de Catherine Hunold se montre parfaite de sincérité, d'assurance et de poids psychologique. En digne héritière des Crespin ou Lublin, la voix, impériale, visionnaire, est d'une rare splendeur, car sincère, ardente.
La Mère Marie de Blandine Folio Peres, timbre dur, de métal, un rien frêle pour un rôle où brillaient jadis les plus illustres mezzos de notre temps, est présence presque fanatique. Alors que l'aigu radieux de l'espiègle Sarah Gouzy, plane, angélique, comme surnaturel jusque dans l'innocence de son jeu.
La cohorte des autres soeurs, menée par la Mathilde de Coline Dutilleul et la Jeanne d'Isabelle Guillaume, n'appelle que des applaudissements.
Les hommes, ici, ne sont qu'introduction ou instants fugaces. Plaisir de relever les présences suffocantes de Fréderic Caton et Rémy Mathieu en père et fils de La Force, de Raphaël Brémard en Aumônier pétri d'humanité, du Commissaire hautain, glacial comme une porte de Conciergerie campé par Alfred Bironien et du Geôlier aussi lisse qu'un imperméable de la Gestapo porté par Romain Bockler.
Cette ferveur, cet élan, cette spiritualité unique dans la musique française, on la trouve également dans la fosse. Samuel Jean fait sonner (dans le bon sens du terme) l'Orchestre Régional Avignon-Provence, sec, dru, âpre et insuffle à son Poulenc une énergie rare malgré quelques légères asymétries entre chant et musique.
Christian Colombeau
Dans cet opéra qui est autant texte que musique, comme Pelléas, Poulenc emprunte beaucoup on le sait à Moussorgsky et Puccini mais n'évite pas certains clichés. Son langage musical n'a lui rien de bien révolutionnaire, l'orchestration restant toutefois claire, jamais chargée, même dans les épisodes dramatiques qui brassent cruauté et souffrance, dérision, tendresse et humour...
Dans un lieu scénique à la simplicité enfantine, oppressant dans sa blanche structure de bloc opératoire propice à toutes les expériences de la vie ou de la mort, on retrouve, dans la mise en scène épurée à l'extrême d'Alain Timàr - qui en a décontenancé plus d'un malgré ces projections poétiques, nauséeuses ou intergalactiques - l'énergie, le rythme du docudrame, celui d'une tempête cérébrale au beau contraste entre la fureur sanguinaire de la rue et le calme clos du Carmel.
Point de reconstitution historique. Intemporalité des meurtres de masse pour une soi-disant juste cause populaire. Tout en gommant les rugosités, les effets d'un texte avant tout confidentiel, mesuré, Alain Timàr privilégie judicieusement le style ouaté, presque fauve de ces dialogues d'espérance, d'amour et de terreur.
La scène finale ? Seize flashes, seize coups de fouet tranchants comme la lame du Grand Rasoir National... pour un air de déjà vu ailleurs (Keller, Carsen etc...). Et attendue comme le loup blanc, petite bataille d'Hernani au rideau final entre conservateurs et modernes.
Devant tant de conviction générale, d'enthousiasme communicatif et de larmes versées aux notes ultimes, on renoncera exceptionnellement à entrer dans des considérations vocales de détail.
Montagne de conscience abattue par la mort, dans une sobriété de moyens et d'effets totalement bouleversante, sans grave poitrinés à l'extrême, d'une sensibilité toute aristocratique, Marie-Ange Todorovitch renouvelle la quasi infernale Madame de Croissy. Ici ce n'est pas la voix qui meurt, c'est l'âme également.
Lui répond, dans un même élan de renouveau, la Blanche de Ludivine Gombert. Chacune de ses prestations nouvelles est confirmation d'un talent immense. De Blanche elle offre une vision idéale, incarnée : la fragile et rayonnante jeunesse, l'angoisse, la sérénité ; tout est traduit par un timbre charnu, une aisance totale de la tessiture.
Gorgée de douceur et de bon sens populaire, La Nouvelle Prieure de Catherine Hunold se montre parfaite de sincérité, d'assurance et de poids psychologique. En digne héritière des Crespin ou Lublin, la voix, impériale, visionnaire, est d'une rare splendeur, car sincère, ardente.
La Mère Marie de Blandine Folio Peres, timbre dur, de métal, un rien frêle pour un rôle où brillaient jadis les plus illustres mezzos de notre temps, est présence presque fanatique. Alors que l'aigu radieux de l'espiègle Sarah Gouzy, plane, angélique, comme surnaturel jusque dans l'innocence de son jeu.
La cohorte des autres soeurs, menée par la Mathilde de Coline Dutilleul et la Jeanne d'Isabelle Guillaume, n'appelle que des applaudissements.
Les hommes, ici, ne sont qu'introduction ou instants fugaces. Plaisir de relever les présences suffocantes de Fréderic Caton et Rémy Mathieu en père et fils de La Force, de Raphaël Brémard en Aumônier pétri d'humanité, du Commissaire hautain, glacial comme une porte de Conciergerie campé par Alfred Bironien et du Geôlier aussi lisse qu'un imperméable de la Gestapo porté par Romain Bockler.
Cette ferveur, cet élan, cette spiritualité unique dans la musique française, on la trouve également dans la fosse. Samuel Jean fait sonner (dans le bon sens du terme) l'Orchestre Régional Avignon-Provence, sec, dru, âpre et insuffle à son Poulenc une énergie rare malgré quelques légères asymétries entre chant et musique.
Christian Colombeau