Cannes, le 21 mai 2012
Nanni Moretti, je suis très heureuse de pouvoir vous remettre aujourd’hui ces insignes de commandeur des Arts et des Lettres. Votre talent et votre créativité s’expriment en effet de multiples façons depuis plus d’une trentaine d’années. Votre histoire avec Cannes est une histoire longue et riche. En 1978, il réalise Ecce Bombo qui raconte les rapports difficiles d’un étudiant avec son entourage. Gilles Jacob qui vient de prendre ses fonctions de Délégué général du Festival de Cannes, décide de le programmer en sélection officielle car il pressent déjà le devenir du réalisateur Nanni Moretti.
C’est à ce moment là que commence l’histoire de Nanni Moretti avec Cannes. En effet, six de ses films seront sélectionnés en compétition officielle du Festival de Cannes, il obtiendra le prix de la mise en scène en 1994 pour Journal Intime, et la Palme d’or en 2001 pour La chambre du fils.
En 2004, la Quinzaine des Réalisateurs lui rend hommage en lui décernant le Carrosse d’or en hommage à « Un italien qui a su rendre l’honneur à son pays par la qualité d’oeuvres singulières de ses films, ses prises de positions publiques et son courage politique » déclare à cette occasion Pascal Thomas, alors délégué Général de la Quinzaine.
Mais il y sera également présent à Cannes en 1997 comme membre du jury sous la présidence de Isabelle Adjani, à l’occasion du cinquantième anniversaire, en 2003 pour une leçon de cinéma, et cette année, en 2012, comme Président du jury du 65ème anniversaire.
Un artiste total
Vous avez réussi à exercer tous les métiers, à posséder toute la palette du cinéma, à vous exprimer sur tous les terrains artistiques : acteur, réalisateur, producteur, distributeur, exploitant, grâce à votre société fondée en 1986, la Sacher Film. Initiative particulièrement louable : vous avez ainsi souhaité, dans un moment de crise du cinéma Italien, donner aux jeunes cinéastes qui débutaient la chance que vous-même aviez eue Un artiste au monde, un artiste politique Dans vos oeuvres, vous avez souvent semblé parler de vous, au premier abord. C’est votre présence qui donne à votre cinéma sa cohérence. Mais c’est en fait pour mieux parler des autres, et de ce qui vous entoure. Pour évoquer, parfois, les souffrances intimes, comme dans « la Chambre du Fils », qui montre à quel point le deuil et la tragédie peuvent séparer les survivants, ceux qui s’aiment et restent. Pour interroger, souvent, cette Italie que vous aimez, que nous aimons ; pour évoquer les crises qui ébranlaient « il bel Paese ». Vous n’avez pas hésité à vous engager publiquement au tournant des années 2001/2002. Comment oublier ces rondes citoyennes, ces « girotondi » impulsées notamment par vous, face au pouvoir de l'époque? Votre film « Le Caïman », grand succès critique et public, est un autre témoignage de votre engagement. Comme l’a écrit Serge Toubiana, à travers votre cinéma, tel un sismographe, vous avez raconté l’histoire de l’Italie de ces trente dernières années. Alors certes, cher Nanni Moretti, vous êtes pleinement engagé dans le monde qui vous entoure. Mais au-delà de ce rapport au monde, vous êtes aussi un immense créateur formel.
Un artiste magicien
Une séquence de votre « Journal Intime », pour lequel vous avez obtenu le prix de la mise en scène en 1994 à Cannes, a marqué à jamais les cinéphiles :
Je pense bien sûr à ce long travelling vous filmant en Vespa à travers les rues de Rome déserte en plein mois d’août, jusqu’à la plage d’Ostie. Et en fond sonore, une composition de Keith Jarrett.
Depuis lors, on ne peut plus voir une Vespa à Rome sans entendre Keith Jarrett, tout comme on ne peut plus écouter Keith Jarrett sans s’imaginer dans les rues de Rome.
La marque des grands artistes, c’est leur capacité à se saisir d’une oeuvre ou d’un objet préexistants et à se l’approprier. Tant et si bien que ce morceau de Keith Jarrett et cette Vespa nous renvoient désormais à vous, Nanni Moretti.
Et nous vous accompagnons dans ce long trajet, nous nous arrêtons avec vous sur cette plage d’Ostie, nous nous approchons de l’indicible et avec vous, prenons dans nos bras tremblants le corps martyrisé de Pier Paolo Pasolini, immense cinéaste, poète, romancier, dramaturge : la quintessence de l’artiste total.
Pasolini, un autre artiste au monde, un autre artiste engagé, un autre artiste politique, que je voudrais citer en conclusion, comme un écho à la conclusion de ce travelling mythique tiré de votre « Journal Intime ».
Je sais. Mais je n'ai pas de preuves. Ni même d'indices. Je sais parce que je suis un intellectuel, un écrivain [...] qui rassemble les morceaux désorganisés et fragmentaires de toute une situation politique cohérente et qui rétablit la logique là où semblent régner l'arbitraire, la folie et le mystère. Tout cela fait partie de mon métier et de l'instinct de mon métier.
Vous avez accepté de présider le Festival de Cannes, disant que la France avait toujours considéré le cinéma avec attention et respect. Mais c’est bien nous, cher Nanni Moretti, qui vous regardons aujourd’hui avec cette même attention et ce même respect devant votre oeuvre, votre engagement et votre amour du cinéma.
Vous êtes, pour toujours, une page vibrante de notre « journal intime »
Cher Nanni Moretti, au nom de la République Française, nous vous faisons Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres.
Nanni Moretti, je suis très heureuse de pouvoir vous remettre aujourd’hui ces insignes de commandeur des Arts et des Lettres. Votre talent et votre créativité s’expriment en effet de multiples façons depuis plus d’une trentaine d’années. Votre histoire avec Cannes est une histoire longue et riche. En 1978, il réalise Ecce Bombo qui raconte les rapports difficiles d’un étudiant avec son entourage. Gilles Jacob qui vient de prendre ses fonctions de Délégué général du Festival de Cannes, décide de le programmer en sélection officielle car il pressent déjà le devenir du réalisateur Nanni Moretti.
C’est à ce moment là que commence l’histoire de Nanni Moretti avec Cannes. En effet, six de ses films seront sélectionnés en compétition officielle du Festival de Cannes, il obtiendra le prix de la mise en scène en 1994 pour Journal Intime, et la Palme d’or en 2001 pour La chambre du fils.
En 2004, la Quinzaine des Réalisateurs lui rend hommage en lui décernant le Carrosse d’or en hommage à « Un italien qui a su rendre l’honneur à son pays par la qualité d’oeuvres singulières de ses films, ses prises de positions publiques et son courage politique » déclare à cette occasion Pascal Thomas, alors délégué Général de la Quinzaine.
Mais il y sera également présent à Cannes en 1997 comme membre du jury sous la présidence de Isabelle Adjani, à l’occasion du cinquantième anniversaire, en 2003 pour une leçon de cinéma, et cette année, en 2012, comme Président du jury du 65ème anniversaire.
Un artiste total
Vous avez réussi à exercer tous les métiers, à posséder toute la palette du cinéma, à vous exprimer sur tous les terrains artistiques : acteur, réalisateur, producteur, distributeur, exploitant, grâce à votre société fondée en 1986, la Sacher Film. Initiative particulièrement louable : vous avez ainsi souhaité, dans un moment de crise du cinéma Italien, donner aux jeunes cinéastes qui débutaient la chance que vous-même aviez eue Un artiste au monde, un artiste politique Dans vos oeuvres, vous avez souvent semblé parler de vous, au premier abord. C’est votre présence qui donne à votre cinéma sa cohérence. Mais c’est en fait pour mieux parler des autres, et de ce qui vous entoure. Pour évoquer, parfois, les souffrances intimes, comme dans « la Chambre du Fils », qui montre à quel point le deuil et la tragédie peuvent séparer les survivants, ceux qui s’aiment et restent. Pour interroger, souvent, cette Italie que vous aimez, que nous aimons ; pour évoquer les crises qui ébranlaient « il bel Paese ». Vous n’avez pas hésité à vous engager publiquement au tournant des années 2001/2002. Comment oublier ces rondes citoyennes, ces « girotondi » impulsées notamment par vous, face au pouvoir de l'époque? Votre film « Le Caïman », grand succès critique et public, est un autre témoignage de votre engagement. Comme l’a écrit Serge Toubiana, à travers votre cinéma, tel un sismographe, vous avez raconté l’histoire de l’Italie de ces trente dernières années. Alors certes, cher Nanni Moretti, vous êtes pleinement engagé dans le monde qui vous entoure. Mais au-delà de ce rapport au monde, vous êtes aussi un immense créateur formel.
Un artiste magicien
Une séquence de votre « Journal Intime », pour lequel vous avez obtenu le prix de la mise en scène en 1994 à Cannes, a marqué à jamais les cinéphiles :
Je pense bien sûr à ce long travelling vous filmant en Vespa à travers les rues de Rome déserte en plein mois d’août, jusqu’à la plage d’Ostie. Et en fond sonore, une composition de Keith Jarrett.
Depuis lors, on ne peut plus voir une Vespa à Rome sans entendre Keith Jarrett, tout comme on ne peut plus écouter Keith Jarrett sans s’imaginer dans les rues de Rome.
La marque des grands artistes, c’est leur capacité à se saisir d’une oeuvre ou d’un objet préexistants et à se l’approprier. Tant et si bien que ce morceau de Keith Jarrett et cette Vespa nous renvoient désormais à vous, Nanni Moretti.
Et nous vous accompagnons dans ce long trajet, nous nous arrêtons avec vous sur cette plage d’Ostie, nous nous approchons de l’indicible et avec vous, prenons dans nos bras tremblants le corps martyrisé de Pier Paolo Pasolini, immense cinéaste, poète, romancier, dramaturge : la quintessence de l’artiste total.
Pasolini, un autre artiste au monde, un autre artiste engagé, un autre artiste politique, que je voudrais citer en conclusion, comme un écho à la conclusion de ce travelling mythique tiré de votre « Journal Intime ».
Je sais. Mais je n'ai pas de preuves. Ni même d'indices. Je sais parce que je suis un intellectuel, un écrivain [...] qui rassemble les morceaux désorganisés et fragmentaires de toute une situation politique cohérente et qui rétablit la logique là où semblent régner l'arbitraire, la folie et le mystère. Tout cela fait partie de mon métier et de l'instinct de mon métier.
Vous avez accepté de présider le Festival de Cannes, disant que la France avait toujours considéré le cinéma avec attention et respect. Mais c’est bien nous, cher Nanni Moretti, qui vous regardons aujourd’hui avec cette même attention et ce même respect devant votre oeuvre, votre engagement et votre amour du cinéma.
Vous êtes, pour toujours, une page vibrante de notre « journal intime »
Cher Nanni Moretti, au nom de la République Française, nous vous faisons Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres.