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Guillaume Tell vise juste et frappe fort à l'Opéra de Monte-Carlo. Par Christian Colombeau

L'opéra fleuve et ultime de Rossini en version presque intégrale


Le gratin du chant international réunit, pour cinq heures de musique qui passent comme une lettre à la poste

Guillaume Tell © Opéra de Monte-Carlo 2015
Guillaume Tell © Opéra de Monte-Carlo 2015
Aussi curieux que cela puisse paraître, le Guillaume Tell de Rossini, bien que très rarement à l’affiche des scènes lyriques, a toujours joui d’une certaine renommée, son esthétisme convenant parfaitement au goût du public d’hier et d’aujourd’hui.
La renaissance du Maître de Pesaro, voici trente ans, aura été également salutaire pour cette œuvre longue, pesante et complexe. En fait, « Il signor vacarmo », et ici plus qu’ailleurs, jette les bases du grand opéra, son génie consistant alors à y déjouer les pièges tout en donnant l’impression d’y tomber.
L’écriture, toute de finesse et de vitalité, est d’une légèreté insoupçonnée, mais révèle toutefois une complexité incroyable. Rossini s’amuse ouvertement à confronter toutes les écoles et arrive même à paraphraser son propre style tout en ouvrant le chemin à Verdi et Wagner.

Le style est très nouveau, pathétique, et par moments, osons le mot : idyllique.
Autre nouveauté : l’insertion des chants populaires suisses. De plus, petit scandale pour l’époque, tout ce qu’on attendait de Rossini et de son répertoire de morceaux de bravoure était absent : les fameux crescendos, les éternels finales en cadence parfaite… Le grand opéra historique (que marquera plus tard Meyerbeer) venait de naître !

Sanglée de cuir, de fer, de cuivre, pleine de bruit et de fureur, la mise en scène qu’a réalisée Jean-Louis Grinda pour son Opéra de Monte-Carlo ne cherche à aucun moment à donner une « lecture » historique ou idéologique (quoique liberté et oppression resteront toujours d’actualité) mais éclaire de belle manière ce long opéra sous un jour nouveau, avec respect, et enchaîne les scènes dans une imagerie luxueuse et haletante qui ne dérange aucun conformisme.
Dans la beauté des décors mouvants et efficaces comme toujours d’Eric Chevalier, quelques tableaux - la scène de la pomme, le serment du Rütli, l’hymne final - quelques éclairages habiles de Laurent Castaingt et les costumes de Françoise Raybaud achèvent de nous transporter dans une machine à remonter le temps.

Nicola Alaimo, dans le rôle-titre, trouve le ton juste de ce révolté populaire au cœur droit. Sa voix au timbre sombre dit sa détermination et son engagement dramatique, comme son large phrasé déploient une profonde dimension héroïque.
L’imposant baryton italien, dans un français irréprochable, se joue sans vergogne des fa et sol aigus qui parsèment sa partition. Son Tell est bien à l’image de ces deux valeurs essentielles aujourd’hui encore au peuple helvétique : famille et patrie.
Celso Albello (Arnold de Melchtal) rayonne comme un lever de soleil sur le Lac Léman. Ses aigus, solides comme un coffre du Crédit Zurichois, un médium séduisant alla Gedda, ne pouvaient que déboucher sur un « Asile héréditaire » survolté et chevaleresque à souhait et pour lequel à la création Duprez avait inauguré son ut de poitrine.
Mais c’est surtout Annick Massis dans le rôle de Mathilde qui a fait passer la plus profonde émotion sur la représentation avec des piani caressants, un legato, un phrasé superbes. Pour les envolées stratosphériques mettez dans un ordinateur les élans de Crespin, la douceur d’une Guiot ou Sarrocca, saupoudrez avec un zeste des plus illustres italiennes dans cette panouille décorative et le tour est joué.
Le reste de la distribution avec notamment un Jemmy (Julia Novikova) vif comme un feu follet et un Gessler (Nicolas Courjal) vocalement anguleux à souhait, terrifiant dans son cynisme de nazillon de sous- préfecture, noir comme un compte bancaire secret, était très homogène.
Habitués des lieux, les Cavallier, Mechain, Gabriel, Ermelier faisaient plus que de la figuration intelligente : voix, présences, conviction… L’esprit d’équipe, on ne fera jamais mieux.
Dans la fosse, Gian-Luigi Gelmetti impose une conception large et soignée, sait ménager des plages d’intensité différentes et dirige avec fougue un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo flamberge au vent et les somptueux Chœurs comme toujours irréprochables.
Quasi beethovenien, le final où les suisses rendent grâce Dieu dans un rayonnement de lumière a soulevé l’enthousiasme du public monégasque et international, tout heureux de pouvoir vibrer à l’unisson avec l’arbalétrier le plus célèbre de l’histoire. Qui, parole de montreusien, reste une légende…
Christian Colombeau

Christian Colombeau
Mis en ligne le Dimanche 25 Janvier 2015 à 11:41 | Lu 428 fois

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