Les interprètes © Pierre Aimar
Dernier chapitre dans la pénombre très sombre où les neuf lecteurs, concentrés et recueillis, en cercle ou demi-cercle évoquent, appuyés parfois par le son rauque d’un violoncelle, les réflexions de l’empereur qui prennent alors un sens bien plus fort. Il est dur d’être un homme qui meurt et plus encore un homme responsable, conscient et lucide, chargé de passé et d’histoire, et d’amours même. Hadrien rédige une longue lettre adressée à son héritier, à celui qu’il met à sa place Marc-Aurèle.
Les acteurs lecteurs, voix et tons différents, hommes et femmes, donnent par la diversité de leur diction, de leur accent même, une vie précise au texte de Yourcenar, fait de réflexions : « construire c’est collaborer avec la terre, c’est retrouver les sources sous les pierres » ; c’est encore envisager le temps « des mains qui n’existent pas encore caresseront les fûts des colonnes, des profusions de colonnes de marbre blanches et roses ». C’est éprouver aussi des regrets : « Je me sentais responsable de la beauté du monde, je voulais que tout fonctionne sans accroc » ; « Toute misère, toute brutalité étaient à éviter comme autant d’insultes au beau corps de l’humanité.» Le texte révèle tout : « ce qu’un homme a cru être, ce qu’il a voulu être, ce qu’il fut. »
A la recherche du sens de ce monde où nous vivons, Hadrien a « offert une nuit tout entière dans le désert de Syrie, sous la vue du ciel et de toutes les constellations ». Sans doute faut-il voir en parallèle avec nous, notre rêve de voyager sur la lune, accompli il y a maintenant un demi-siècle, un rêve de cette pénétration de l’homme dans le grand cycle de l’univers, à la recherche de clés pour comprendre… ou plus vulgairement, car nos temps sont vulgaires, consacrés au dieu fric : à la recherche de métaux précieux…
Dans le même temps, il pleure son amour, lui qui a de toute évidence préféré l’amour à la guerre, l’amour, en la personne d’Antinoüs, ce bel amant de vingt ans, qui meurt mystérieusement noyé dans le Nil et dont le souvenir, l’évocation, laissent en lui une profonde tristesse. « Il avait dû se sentir bien peu aimé pour croire la mort inévitable »…
Maintenant Hadrien est malade, il se meurt ; il souffre, il hésite. « La mort est un cimetière abandonné où gisent sans odeur les gens qu’on a aimés. »
Le violoncelle appuie alors de sa plainte une sorte de mélopée qui chante la douleur…
Cette lecture, vivante et lente, musicale par les voix diverses et appuyée sur un chant grave mais pas funèbre, a rendu à cet empereur, bien éloigné de notre temps, une qualité de présence, une proximité de voisinage dans ce beau lissé blanc des colonnes toutes voisines, le long des allées dallées qui lui livrent un passage jusqu’à nous. Car il est là, tout proche avec Sabine son épouse au Musée Théo Desplans et, en copie, dans une niche voisine du Nymphée.
Le festival fêtait aussi son XXe anniversaire, XXe et dernier.
Car il s’arrête.
Le Festival de Théâtre antique disparaît, trop coûteux à organiser, alors qu’il est si rare et si nécessaire à la culture. Dans une époque qui se révèle souvent inculte et parfois sauvagement barbare dans son actualité. N’aurait-elle pas eu encore besoin des leçons du passé ? D’un passé qui ne fut pas toujours sage mais qui a toutefois su nous amener jusqu’à aujourd’hui.
Le Festival de Théâtre Antique a célébré son dernier empereur et c’est grandement dommage.
Jacqueline Aimar
Les acteurs lecteurs, voix et tons différents, hommes et femmes, donnent par la diversité de leur diction, de leur accent même, une vie précise au texte de Yourcenar, fait de réflexions : « construire c’est collaborer avec la terre, c’est retrouver les sources sous les pierres » ; c’est encore envisager le temps « des mains qui n’existent pas encore caresseront les fûts des colonnes, des profusions de colonnes de marbre blanches et roses ». C’est éprouver aussi des regrets : « Je me sentais responsable de la beauté du monde, je voulais que tout fonctionne sans accroc » ; « Toute misère, toute brutalité étaient à éviter comme autant d’insultes au beau corps de l’humanité.» Le texte révèle tout : « ce qu’un homme a cru être, ce qu’il a voulu être, ce qu’il fut. »
A la recherche du sens de ce monde où nous vivons, Hadrien a « offert une nuit tout entière dans le désert de Syrie, sous la vue du ciel et de toutes les constellations ». Sans doute faut-il voir en parallèle avec nous, notre rêve de voyager sur la lune, accompli il y a maintenant un demi-siècle, un rêve de cette pénétration de l’homme dans le grand cycle de l’univers, à la recherche de clés pour comprendre… ou plus vulgairement, car nos temps sont vulgaires, consacrés au dieu fric : à la recherche de métaux précieux…
Dans le même temps, il pleure son amour, lui qui a de toute évidence préféré l’amour à la guerre, l’amour, en la personne d’Antinoüs, ce bel amant de vingt ans, qui meurt mystérieusement noyé dans le Nil et dont le souvenir, l’évocation, laissent en lui une profonde tristesse. « Il avait dû se sentir bien peu aimé pour croire la mort inévitable »…
Maintenant Hadrien est malade, il se meurt ; il souffre, il hésite. « La mort est un cimetière abandonné où gisent sans odeur les gens qu’on a aimés. »
Le violoncelle appuie alors de sa plainte une sorte de mélopée qui chante la douleur…
Cette lecture, vivante et lente, musicale par les voix diverses et appuyée sur un chant grave mais pas funèbre, a rendu à cet empereur, bien éloigné de notre temps, une qualité de présence, une proximité de voisinage dans ce beau lissé blanc des colonnes toutes voisines, le long des allées dallées qui lui livrent un passage jusqu’à nous. Car il est là, tout proche avec Sabine son épouse au Musée Théo Desplans et, en copie, dans une niche voisine du Nymphée.
Le festival fêtait aussi son XXe anniversaire, XXe et dernier.
Car il s’arrête.
Le Festival de Théâtre antique disparaît, trop coûteux à organiser, alors qu’il est si rare et si nécessaire à la culture. Dans une époque qui se révèle souvent inculte et parfois sauvagement barbare dans son actualité. N’aurait-elle pas eu encore besoin des leçons du passé ? D’un passé qui ne fut pas toujours sage mais qui a toutefois su nous amener jusqu’à aujourd’hui.
Le Festival de Théâtre Antique a célébré son dernier empereur et c’est grandement dommage.
Jacqueline Aimar
La dernière prestation d'Annie Bastide-Blazy, fondatrice et présidente du festival
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