Hauterives : Ferdinand Cheval, sculpteur de rêves

Quand on voit la petite silhouette de l’homme couronné de sa casquette et chaussé de croquenots fatigués, ce qu’on ne devine pas ce sont les rêves étranges et démesurés qui devaient hanter son crâne, s’agiter dans son cerveau et qui ont fini par déborder de son imagination donnant cet invraisemblable édifice.


Ce grand rêve du facteur

Le Facteur Cheval
Quand on voit la petite silhouette de l’homme couronné de sa casquette et chaussé de croquenots fatigués, ce qu’on ne devine pas ce sont les rêves étranges et démesurés qui devaient hanter son crâne, s’agiter dans son cerveau et qui ont fini par déborder de son imagination donnant cet invraisemblable édifice. On l’a classé en architecture naïve, qualifié d’art brut parce qu’il faut tout nommer et caractériser. Mais l’œuvre déborde des qualificatifs ; mise en forme pendant trente-deux ans de 1879 à 1912, elle a de quoi surprendre. Car elle échappe à toutes les normes, elle déborde d’un rêve d’exotisme sur un autre, sautant d’un continent à un lointain pays, elle dévore le temps et raccourcit l’espace, mêlant des peuples et des univers étrangers l’un à l’autre, porteuse de tant de messages et d’idées qu’il a bien fallu la nommer Palais Idéal.
Né du hasard d’une rencontre entre le Facteur et un… caillou, le Palais a mis du temps à se faire, sur un assez vaste terrain non loin des rives de l’Herbasse, cette rivière qu’on imagine verte, couchant des herbes flottantes dans son courant tranquille.

« Un jour du mois d’avril 1879 en faisant ma tournée de facteur […] je marchais très vite lorsque mon pied accrocha quelque chose qui m’envoya rouler quelques mètres plus loin… Je fus très surpris de voir que j’avais fait sortir de terre une espèce de pierre à la forme bizarre, à la fois si pittoresque que je regardais autour de moi. Je vis qu’elle n’était pas seule. Je la pris et l’enveloppais dans un mouchoir de poche, et l’apportais soigneusement avec moi me promettant bien de profiter des moments que mon service me laisserait libres pour en faire provision ».
Est-ce un signe du destin que cette étrange rencontre ? Toujours est-il
« qu’à partir de ce moment, je n’eus plus de repos matin et soir. Je partais en chercher ; quelquefois je faisais 5 à 6 kilomètres et quand ma charge était faite je la portais sur mon dos […]»

Difficile d’être facteur ou les petites camionnettes jaunes

Il n’est pas encore venu le temps des petites camionnettes jaunes qui sillonnent les routes apportant vœux et impôts, publicités sous plastique mou, petits paquets et lettres d’amour. Les seules qu’on attende vraiment ! Pas même le temps du vélo à sacoches qu’on repère devant les maisons. Le facteur marche à pied et la tournée du Facteur Cheval (il mérite bien ses majuscules) mesurait 30 kilomètres. Notre époque qui redoute un peu les corvées à pied me permet d’imaginer qu’il devait s’organiser au gré des destinataires, raccourcir la tournée, sauter des portes et des maisons lorsqu’il n’y avait rien… Mais il paraît que non ; il faisait chaque jour le trajet complet, posant le courrier et prenant les lettres en partance, transmettant même messages et nouvelles. Il était, paraît-il toujours chargé. Mais écrivait-on beaucoup dans ces campagnes de la Drôme ?
Il n’y avait ni Internet ni mail ni encore de téléphone et ce facteur à pied au bord des routes, sous le soleil d’été brûlant de la Drôme, (bien avant le réchauffement climatique), sous les pluies drues de l’automne et du printemps et dans les jours de neige, les pieds lourds de la boue des sentiers, j’espère qu’il était parfois pris à bord d’une carriole qui lui faisait faire un bout de trajet… jusqu’à la ferme suivante, là-bas, tout au bout du chemin plein d’ornières. C’est long trente kilomètres chaque jour ! et sait-on comme c’est monotone ? Il avouait parfois lui-même que cette monotonie, où les pas s’accumulent après les pas chaque jour dans les mêmes chemins et sur les mêmes routes, menaient tout droit à la folie.

« Que faire, en marchant perpétuellement dans le même décor, à moins que l’on ne songe ? pour distraire mes pensées, je construisais en rêve un palais féerique… »

Des cailloux pour un Palais

Un véritable héros ce facteur, comme pas mal de ses confrères mais bien plus encore, car le soir, il repart chercher les cailloux repérés (peut-être en ramenait-il de petits dans sa besace), et aussi le dimanche. Mais il porte un grand rêve. Notre époque appelle vilainement cela, être motivé par un projet. Un grand rêve qui l’a bien souvent fait passer dans le village pour bizarre, demi -fou, dérangé, cinglé… le vocabulaire ne manque pas en la matière.

« Critiqué par les gens du pays, mais encouragé par les visiteurs étrangers, je ne me décourageais pas. »
Avait-il au-delà de son rêve, un plan, un schéma initial en tête comme il le dit, ou a-t-il placé jour après jour au gré des envies ces pans de murs qui s’enchaînent aux autres comme par magie, en ces temps où par la conquête des colonies, tous les exotismes parvenaient en noir et blanc et en sépia avec les cartes postales des horizons les plus lointains ?
Et il les voyait en direct ces cartes postales ! L’ont-elles inspiré assez ou a-t-il improvisé autour de leurs images à partir du matériau des chemins et des bois, de ces cailloux surgis, qui allaient soudain se faire messagers de sa pensée. Car on ne peut dénier derrière cette architecture complexe mais toujours lucide, au travers des passages, escaliers et terrasses, derrière ces figures d’animaux réels ou mythiques, une culture étrange et une vraie pensée, non pas due au seul hasard.

« Je commençais une grotte et une seconde cascade de manière que ma grotte se trouve entre les deux… l’entrée est gardée par un groupe d’animaux tels que ours, boa, crocodile, lion, éléphant et autres animaux de ce genre toujours trouvés dans la terre ainsi que des troncs d’arbre. »

Le Palais Idéal, art brut, art naïf, art premier ?

Pensée qui apparaît aussi au travers des phrases naïves accrochées ça et là au coin d’un mur et qui relancent la réflexion.
Ce château -parfois il en semble un- bondit au ciel, affirme des fois et des espérances, mais aussi des espoirs. Il jaillit en bosses de pierres et en reliefs étonnants, il est un cri dans la façon de s’exprimer. Un cri si fort que notre temps en reçoit encore les échos.

On a classé ce monument sorte de folie, en art brut ou art naïf, on a même parlé d’art premier quand naissait le musée du Quai Branly. Difficile à classifier tant il est unique et rare, et jaillissement de créativité que rien n’a retenu.
Et l’on est sûr de ne pas oublier la silhouette si caractéristique du petit homme à la brouette qui affirme avec lucidité dans une lettre de 1905 :

« Fils de paysan , je veux vivre et mourir pour prouver que dans ma catégorie il y a aussi des hommes de génie et d’énergie. Vingt-neuf ans je suis resté facteur rural. Le travail fait ma gloire et l’honneur mon seul bonheur ; au présent voici mon étrange histoire. Où le songe est devenu quarante ans après une réalité. »

Son œuvre s’achève en 1922 par la construction, au cimetière d’Hauterives, d’un tombeau pour lui et les siens, par lequel il exprime sa volonté de repos… et peut-être son rêve légitime de ne pas être oublié, Le Tombeau du Silence et du Repos sans Fin.
Jacqueline Aimar

Le Palais Idéal, art brut, art naïf, art premier ?

Le Palais Idéal
Pensée qui apparaît aussi au travers des phrases naïves accrochées ça et là au coin d’un mur et qui relancent la réflexion.
Ce château -parfois il en semble un- bondit au ciel, affirme des fois et des espérances, mais aussi des espoirs. Il jaillit en bosses de pierres et en reliefs étonnants, il est un cri dans la façon de s’exprimer. Un cri si fort que notre temps en reçoit encore les échos.

On a classé ce monument sorte de folie, en art brut ou art naïf, on a même parlé d’art premier quand naissait le musée du Quai Branly. Difficile à classifier tant il est unique et rare, et jaillissement de créativité que rien n’a retenu.
Et l’on est sûr de ne pas oublier la silhouette si caractéristique du petit homme à la brouette qui affirme avec lucidité dans une lettre de 1905 :

« Fils de paysan , je veux vivre et mourir pour prouver que dans ma catégorie il y a aussi des hommes de génie et d’énergie. Vingt-neuf ans je suis resté facteur rural. Le travail fait ma gloire et l’honneur mon seul bonheur ; au présent voici mon étrange histoire. Où le songe est devenu quarante ans après une réalité. »

Son œuvre s’achève en 1922 par la construction, au cimetière d’Hauterives, d’un tombeau pour lui et les siens, par lequel il exprime sa volonté de repos… et peut-être son rêve légitime de ne pas être oublié, Le Tombeau du Silence et du Repos sans Fin.
Jacqueline Aimar

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pierre aimar
Mis en ligne le Jeudi 17 Janvier 2008 à 04:50 | Lu 934 fois
pierre aimar
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