Histoires de châteaux et d’abbaye à Beauvoir en Royans, Château d’Avignon, Abbaye de Monmajour

Trois anecdotes sur trois lieux qui éclairent d'une autre façon la visite de lieux historiques.


Beauvoir, 2 000 fenêtres, du bling-bling et la faillite

Commençons par le château de Beauvoir en Royans. De la route nationale qui relie Valence (Drôme) à Grenoble (Isère) avec un peu de chance on peut apercevoir un pan de mur en ruine. A condition de ne pas être trop concentré sur la coduite de votre automobile. Il y a tant de panneaux d’interdiction de toute sorte qu’il est quasi impossible de profiter des paysages. Ainsi passe-t-on au pied de Beauvoir en Royans durant des années sans apercevoir quoi que ce soit, d’autant plus que la municipalité n’a pas encore signalé par un paneau publicitaire 4x3 l’intérêt de faire un détour de 3 km pour découvrir le lieu où s’est terminée l’indépendance du Dauphiné au XIVe siècle.

Humbert II, dernier Dauphin du Viennois et trop bling-bling

Ce dernier Dauphin du Viennois était très bling-bling et rien n’était trop beau pour un seigneur peu enclin aux choses de la guerre. A vingt ans, à la mort brutale de son frère ainé, il est amené à gouverner. Débute alors une époque de construction fastueuse de ce qui sera bientôt le “Versaille” du Dauphiné. Dame, ne comptait-on pas 2.000 fenêtres au château ?

Grand train de vie et caisses vides

Immenses constructions, chapelle démesurée, train de vie et de cour fastueux, cela à un coût ... exorbitant in fine. Urbain II est en quasi banqueroute et obligé d’emprunter 30.000 florins au pape Benoît II. Non sans avoir auparavant extorqué les Juifs, les Lombards et les Toscans de ses Etats sous le prétexte d’usure et de contrats usuriers.
Les caisses restèrent vides, la principaute gagée, et, horreur ultime, Humbert II excommunié !
Le pape, en homme d’affaires avisé proposa de racheter la principauté pour le quart de sa valeur (150 000 florins au lieu de 550 000), ce que refusa Urbain II. Le roi de France Philippe VI rafla la mise et voilà comment le Dauphiné perdit son indépendance et permit au royaume de France de se trouver aux portes de Chambéry et des Savoie.
Moralité : du bling-bling, peut-être, mais pas trop car la dette publique a des limites.

Château d’Avignon, le souffle de Jules Verne

La construction du domaine du château d'Avignon est l'œuvre de Jean-François d'Avignon (1694-1770), originaire du Comtat Venaissin. Au XIXe siècle, Louis Noilly-Prat (1845-1932), célèbre négociant en vins, achète le domaine en 1893. Un domaine, excusez du peu, de 21.000 hectares ! Noilly-Prat a le projet de créer une entreprise agricole dotée des dernières technologies que ce soit pour aménager le château, les dépendances et les ateliers techniques.
Dès 1895, les différents bâtiments disposent de l’électricité, de l’eau courante, de l’eau chaude, du chauffage central ! A noter qu’il faudra attendre les années 1970 pour que pratiquement toutes les maisons en France soient équipées en chauffage et de salle de bains.
Propriétaire et employés ont accès à ce qui était considéré à l’époque comme un luxe ... inutile. Rappelons que Rodin à la même époque meurt de froid dans son appartement privé de charbon.

Une exploitation agricole ultra moderne en 1895
Noily-Prat exige les meilleures technologies dans tous les domaines. Le problème de l’irrigation est résolu de manière magistrale : l’eau est pompée dans le Rhône qui passe à l’arrière du château à moins de 50 m. Pour cela, c’est une pompe de 700 m3/h qui est installée pour alimenter les bassins d’épuration et les roubines (ainsi sont nommés les canaux d’irrigation en Camargue) qui desservent les 21.000 hectares.
Le choix de la pompe s’avèrera judicieux : en 2011, c’est toujours la même pompe qui est en service ! Un exploit à relever à notre époque où l’industrie capitaliste a établi l'obsolescence programmée. On a coutume de mettre en avant l’ampoule électrique inventée par Adolphe Chaillet qui éclaire 24 heures sur 24 la caserne de pompiers de Livermore (Californie) depuis 1901 ! Le 110 e anniversaire a été fêté en grande pompe en juin dernier.

Terres salines, Mésopotamie, Egypte, Camargue, même destin ?

A notre arrivée, l’immense parc est un véritable lac. De fortes pluies sont-elles la cause de cette inondation ? «Pas du tout, indique le conservateur, nous inondons volontairement le parc pour réduire la salinité de la terre qui est responsable de la mort des platanes».
Grâce au système d’irrigation mis en place à la fin du XIXe siècle, il est aisé de protéger les terres du domaine du fléau qu’est la montée du sel. Une chance qu’a laissé filer la Mésopotamie de l’Antiquité qui, après avoir irrigué à grande échelle son territoire, n’a pas su entretenir ses canaux ce qui a entraîné la salinisation des terres cultivables et ... la chute de sa civilisation. Il en est de même en Egypte où le barrage d’Assouan construit par les Russes n’apporte plus les inondations saisonnières qui enrichissaient les terres du delta. Cette absence entraîne à la fois la salinisation et la stérilité des terres, la modification des fonds marins au-delà du delta, l’élévation du niveau de la mer. A terme, malgré l’édification de digues côtières, une grande partie du delta sera sous les eaux salées.

L’abbaye de Monmajour, une carrière de pierres bon marché

Après la révolution de 1789, l’abbaye de Monmajour est confisquée au clergé et vendue aux enchères en 1791 à Elisabeth Roux-Chatelard pour la somme dérisoire de 62.000 livres. Celle-ci s’empressa de vendre en pièces détachées charpentes, boiseries, cheminées et pierres de taille. A tel point que le conseil municipal d’Arles reprocha à cette dame ce saccage. «Je ne fais que détruire le symbole de l’oppression que nous avons subi pendant des siècles», se justifia-t-elle.
Même les barbares qui mirent bas Rome et la civilisation Antique ne détruisirent les monuments et symboles de la puissance impériale. Il est vrai qu’à Rome nombre de constructions étaient en pierre de taille assemblées difficiles à «démonter». A Monmajour, l’abbaye mauriste est batie de murs modernes composés de deux assemblages de petites pierres de taille - extérieur et intérieur - dont le vide est garni de remplissage de tout venant. Il est aisé par la suite de desceller les pierres de taille sans trop nuire à la solidité du gros œuvre. 
Le Trophée d'Auguste à La Turbie, construit en seules pierres de taille monumentales a résisté au temps, aux pilleurs de pierre et à Louis XIV dont les artilleurs ne purent en venir à bout.
Construire pour durer ? Les Romains connaissaient la recette et eurent trouvé incongru l'obsolescence programmée.
Pierre Aimar

Pierre Aimar
Mis en ligne le Dimanche 24 Juillet 2011 à 10:15 | Lu 685 fois
Pierre Aimar
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