Hommage à Loïs Belton, une grande amie de la musique... par Patrice Boinet, président des « Amis de la musique en Charolais, Brionnais, Bourbonnais »

Son pas résolu résonnait dans les rues de Charolles. Dans l’église, pendant les concerts, elle déambulait tranquillement dans les travées et prenait des photos pour les archives et les journaux. Nous avions fini par la prendre pour un roc inaltérable. Pourtant, après avoir jeté toutes ses forces dans un ultime combat perdu d’avance, Loïs Belton a pris congé de nous samedi dernier. Les deux mots qui nous viennent sont la tristesse et l’admiration.


Loïs Belton © DR
Son itinéraire de vie fut singulier. Partie de Nouvelle-Zélande, elle travailla comme musicienne en Europe puis s’installa en Provence, où un doctorat universitaire de littérature française fit d’elle une « pointure » incollable. Mais c’est finalement pour la musique ancienne qu’elle opta. Elle se consacra à la flûte à bec et la flûte traversière baroque (le traverso) après les avoir étudiées avec les plus grands maîtres. Elle participa donc activement au renouveau de l’interprétation de la musique baroque sur instruments d’époque. Elle en acquit une maîtrise des traités unique : elle connaissait son Quantz et son CPE Bach comme personne. Même ses plus éminents collègues la consultaient régulièrement !

Elle était une partenaire musicale redoutable car rien n’échappait à la vigilance de son oreille et elle avait réponse à tout ; elle écoutait apparemment sans broncher , semblait regarder ailleurs et laissait tomber le verdict assassin qui montrait qu’elle avait perçu le moindre détail douteux qu’on pensait anodin. Les partitions qu’elle travaillait étaient littéralement disséquées. Il était hors de question de les produire en public, que ce soit sur une grande scène ou dans une petite ville, pour elle, c’était la même chose, sans les avoir travaillées deux ans à raison de deux après-midis hebdomadaires. Le résultat était à la hauteur de ses exigences. Quand on jouait avec elle, il était impossible d’avoir peur, après cette épreuve d’endurance et de patience. Certes, malheur aux médiocres ou aux esprits brouillons ! Ils ne résistaient pas longtemps… Le jeu en valait toutefois la chandelle car on apprenait énormément et cet exercice était extrêmement enrichissant. De nombreux concerts et enregistrements jalonnèrent sa carrière de flûtiste et attestent de sa musicalité et de sa virtuosité.

Loïs Belton ne pouvait laisser indifférent. Son éthique de vie, à la recherche constante du mieux possible, en faisait un être d’exception, un rien énigmatique pour le commun des mortels car elle s’investissait toujours corps et âme dans ce qu’elle entreprenait, fut-ce au détriment de sa santé. Dans son enseignement, elle traitait les élèves comme ses partenaires musicaux. Elle apprenait tout de suite aux petits enfants à se comporter comme des professionnels aguerris ; chaque note du morceau devait être maîtrisée, ainsi que les « coups de langue » et une tenue parfaite du corps. Quelqu’un a dit d’elle qu’elle était « le seul professeur à pouvoir faire travailler les étudiants trois mois sur une seule mesure... » Mais cela marchait ! Rares étaient ceux qui se décourageaient car elle était avec eux d’une patience sans limite. La récompense venait après les auditions ou les examens : les élèves prenaient d’assaut les magnifiques buffets qu’elle avait préparés avec les parents. Parfois, elle organisait des concours festifs peu banals (concours de chapeaux en légumes, concours de gâteaux, bals, etc) Sa classe en prenait une saveur particulière ; les différences avec les autres classes de flûte à bec étaient évidentes.
Les programmes d’audition étaient rédigés avec autant de soin que si les élèves s’étaient produits Salle Pleyel. Elle passait des heures (des nuits parfois) à leur rédaction, à l’affût de la moindre faute ou d’une impropriété.

On pouvait la juger hautaine, froide et inaccessible lorsqu’elle était totalement concentrée sur l’objectif qu’elle poursuivait car alors personne n’existait plus. Ce perfectionnisme qu’elle mettait en tout faisait d’elle une grande anxieuse. Mais sa sensibilité à fleur de peau ne demandait qu’à exploser à la première occasion venue. Elle était capable d’« encaisser » de nombreux coups sans rien laisser paraître, mais elle essuyait facilement des larmes devant une œuvre d’art, un magnifique orgue ou pendant un concert. Elle avait un péché mignon ; elle était très gourmande, en dépit du régime qu’elle s’imposait. Elle disait elle-même qu’elle avait un « estomac d’autruche » et se moquait allègrement des collègues qui avaient des problèmes digestifs. Les jattes de crème fraîche ou les gâteaux avaient une espérance de vie très limitée. Et qu’un verre de vin lui soit proposé, elle ne crachait pas dessus et on pouvait passer toute une soirée à rire aux éclats. Loïs Belton aimait la vie.

Sa famille et elle quittèrent la Provence pour s’installer à Charolles, petit village gaulois satisfait de n’avoir à s’occuper que de petites histoires gauloises… La vie musicale du Charolais-Brionnais à la fin du siècle dernier était aussi paisible que son bocage. Très vite, Loïs Belton en devint un personnage incontournable. Intervenant à la messe, elle se mit à l’orgue avec la même hargne qu’elle avait mise dans l’étude de la flûte, au point de pouvoir jouer en quelques années les plus grandes œuvres du répertoire. Sur un orgue électrique qui tombait régulièrement en panne elle entreprit de convaincre les paroissiens qu’on peut entendre Bach ou Couperin au cours d’un office sans être voué à l’enfer et les anti-cléricaux, que l’orgue est aussi un instrument de musique profane et qu’il ne mène pas forcément directement au confessionnal. Tout mettre en œuvre pour doter l’église de Charolles d’un vrai orgue s’imposa très rapidement comme une évidence. Dès lors, tel un hussard qui part en campagne, elle attira et fédéra sous sa bannière des personnes d’horizons les plus divers, de parcours les plus différents. Cette équipe, on pourrait même parler de véritable famille en l’occurrence, organisa sous sa houlette de multiples concerts et des voyages de manière à constituer peu à peu une cagnotte, qui d’ailleurs constitua plus tard une bonne partie du financement de l’orgue actuel. Chacun eut pendant cette grosse dizaine d’années, l’impression de vivre une expérience humaine inégalable. Qui n’a pas participé aux voyages-découvertes d’un ou trois jours ne peut concevoir l’atmosphère qui y régnait. Tout s’enchaînait avec subtilité : des auditions d’orgue aux visites touristiques en passant par les restaurants pré-choisis avec le plus grand soin.. Jusqu’au dernier voyage à Haguenau, où l’on entendit pour la première fois un tuyau de l’orgue alors en pièces détachées dans l’atelier de Quentin Blumenroeder. Mais avant cet aboutissement, que de nuits passées à examiner les divers projets, les rapports plus ou moins positifs, les alinéas cachés, les réglementations les plus absurdes et contraignantes, et souvent la mauvaise volonté des décideurs quand il s’agit de culture. Que de désillusions lorsqu’un refus administratif ou un doute municipal venait tout remettre à plat : il fallait alors presque repartir à zéro quand le but semblait si proche ! Monter un orgue ne se fait pas à coup de baguette magique : on ne peut imaginer ce que Loïs Belton a vécu et affronté pendant quatorze ans, temps qu’il aura fallu pour passer d’une idée jugée saugrenue, à une réalisation artistique admirée dans toute l’Europe musicale. Puissent les élus le comprendre… et respecter son œuvre… On l’espère ! Car l’orgue qu’a réalisé Quentin Blumenroeder pour Charolles est désormais un monument, « le » monument qu’il manquait à ce village pour attirer certes les mélomanes, mais également les touristes : on vient l’écouter mais on vient aussi pour le voir. La dépense fut importante, mais elle est largement comblée par ce que cet orgue rapporte maintenant. Argument bien peu politique…

Cette synergie s’est concrétisée dans la création de l’association « les Amis de l’orgue de Charolles ». Elle reçut l’aide et les conseils précieux du regretté Henri Delorme. Dans la période de « pré-arrivée de l’orgue », de très nombreux concerts ont permis au public de découvrir des musiciens confirmés comme des jeunes talents. On a entendu du luth, de la viole gambe, du clavecin, du chant à Charolles ! L’association a fait entrer la musique ancienne au musée du Hiéron de Paray le Monial, et a créé un public fidèle et lui-même exigeant. Nous en avons pris le relai lorsque l’orgue a été installé. Rien de notre saison musicale parodienne n’aurait été possible si le terrain avait pas été aussi bien préparé par les « Amis de l’orgue ».Nous nous sommes habitués à tous ces cabas remplis de légumes le mercredi matin, lors des « concerts du marché ».Notre association a copié cette idée originale à travers les « apéritifs-concerts » du vendredi matin. Le succès éclatant de la saison d’orgue a rayonné sur tout le Charolais-Brionnais car le succès attire le succès. Toutes nos associations musicales savent tout ce qu’elles doivent à Loïs Belton et à l’association des « Amis de l’orgue ». Chacune a pour but d’offrir des activités tout au long de l’année, d’abord pour le public local et non pour quelques privilégiés faisant une apparition estivale de quelques jours. Un vrai public existe désormais. Le Charolais-Brionnais est maintenant un foyer musical.

L’œuvre de Loïs Belton est achevée ; Elle a atteint son but, qui semblait autrefois une idée folle. Elle a soulevé des montagnes pour notre satisfaction à tous . Nous lui en sommes infiniment reconnaissants. Il nous reste à en être dignes. Elle avait décidé depuis très longtemps que sa mort ne donnerait lieu à aucun hommage. Elle savait que ce que le musicien a le plus de mal à interpréter, c’est le silence. C’est ce silence qu’elle nous a demandé de respecter lors de ses obsèques, paradoxalement sans musique. Ce vœu très ancien nous a laissé la liberté d’évoquer en nous les meilleurs souvenirs.

Comme musicienne, Loïs devait bien sûr fournir un CV qu’on imprimait sur les programmes.
Voici le sien. Il était peu courant et surprenait toujours les organisateurs :
« Loïs Belton a une grande aversion pour les notes biographiques qui sont de rigueur dans son métier. L’on a pu savoir néanmoins qu’elle a fait ses études musicales en Nouvelle-Zélande (son pays d’origine), en France et en Suisse. »

Quelques influences déterminantes :
Alfred Deller (manœuvres automobiles).
Barthold Kuijken (comment survivre en camping britannique).
Scott Ross (psychologie des oiseaux).
Richard Levitt (bouillabaisse).
Wieland Kuijken (tactique au baby-foot et nains de jardin).
Gustav Leonhardt (crus de Châteauneuf du Pape).

Patrice Boinet, président des « Amis de la musique en Charolais, Brionnais, Bourbonnais ».


Patrice Boinet
Mis en ligne le Lundi 18 Janvier 2021 à 02:39 | Lu 364 fois
Patrice Boinet
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