L’Ange de Feu, de Serge Prokofiev, inclassable et bouleversant, Opéra de Lyon, du 11 au 23 octobre 2016

L’Ange de feu, composé entre 1918 et 1927, aura dû attendre plus d’un quart de siècle pour trouver un public, d’abord au Théâtre des Champs-Élysées, en 1954, en français et en concert, puis à la Fenice de Venise l’année suivante, et pour une fois on comprend bien pourquoi cette œuvre hors norme a connu un tel sort.


Ce n’est pas tellement que l’œuvre poserait des difficultés exceptionnelles (elle demande certes des moyens importants, mais elle ne dure que deux heures, et bien des œuvres du début du XXe siècle sont autrement plus complexes) : la grande difficulté, c’est ce que raconte l’œuvre, cette histoire échevelée de possession, d’amours idéaux en même temps que charnels, où on croise un alchimiste, des religieuses, une magicienne, et même Faust et Méphistophélès en piètre état. Le livret qu’il s’est écrit à partir d’un roman russe des années 1900 donne à Prokofiev bien des occasions d’écrire une musique brillante, colorée, souvent acide et ironique, mais aussi parcourue par une angoisse sourde : l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, sous la direction de ce grand connaisseur du répertoire du XXe siècle qu’est Kazushi Ono, est devant un beau défi.

Exploration d’une âme tourmentée

Il aurait été facile à Benedict Andrews d’en mettre plein la vue, tant la musique et le livret peuvent donner
de prétextes au déploiement des effets scéniques les plus spectaculaires. Il a préféré s’intéresser de beaucoup plus près au personnage central, celui de Renata, chantée à Lyon par la très prometteuse Ausrine Stundyte. Renata est traumatisée par son enfance, par des événements dont l’opéra ne nous livre que des bribes – Freud n’est pas loin, mais nous ne sommes pas ici dans un drame psychologique classique, façon Tennessee Williams : le spectateur n’est pas un observateur neutre, c’est par les yeux de Renata que Prokofiev montre ce monde décadent. Admirable directeur d’acteurs, Andrews dessine sans en rajouter cet environnement grotesque et inquiétant, en donnant à toutes les figures de ce cabinet des horreurs des traits individuels pleins d’humour ; mais l’essentiel, ici, c’est Renata : découvrir la nature précise du traumatisme subi intéresse beaucoup moins le metteur en scène que l’exploration de son psychisme. Une nuée de jeunes filles entre enfance et adolescence en sont en quelque sorte la matérialisation, entre compassion et distance, entre mimétisme et dérision, en même temps qu’image d’une pureté originelle que Renata ne peut racheter.

Distribution

Direction musicale : Kazushi Ono
Mise en scène : Benedict Andrews
Dramaturgie : Pavel B. Jiracek
Décors : Johannes Schütz
Costumes : Victoria Behr
Lumières : Diego Leetz

Ruprecht : Laurent Naouri
Renata : Ausrine Stundyte
L’Hôtesse : Margarita Nekrasova
Voyante / Mère supérieure : Mairam Sokolova
Jakob Glock : Vasily Efimov
Agrippa von Nettesheim / Méphistophélès : Dmitry Golovnin
Faust : Taras Shtonda
Serviteur / L’Aubergiste : Ivan Thirion
Inquisiteur : Almas Svilpa

Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon

Les dates

Octobre 2016
Mardi 11 20h
Jeudi 13 20h
Samedi 15 20h
Lundi 17 20h
Mercredi 19 20h
Vendredi 21 20h
Dimanche 23 16h

Pierre Aimar
Mis en ligne le Lundi 5 Septembre 2016 à 09:00 | Lu 717 fois
Pierre Aimar
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