L'enfant et les Sortilèges. Stravinsky et Ravel mis en espace à Monte-Carlo

Illustrer une suite de ballet de Stravinsky et la féerie enfantine de Ravel dans la même soirée, il fallait oser. Pari réussi par l'originalité de l'approche, la pertinence du propos.


Un concept vidéo superflu

En lever de rideau voici d'abord venir les facéties de Pétrouchka, scènes burlesques en quatre tableaux.
Pétrouchka, c'est le Polichinelle russe, pantin grotesque et maladroit qui n'est pas si éloigné du Pierrot-Pasquarello italien.
La musique joue constamment sur deux degrés. Tantôt lyrique, tantôt parodique, elle utilise un orchestre foisonnant, aux couleurs tranchées, refusant l’incantatoire, ne négligeant aucun détail de couleur, avec juste cette touche irrésistible de tension, de nerf, ou ça et là quelques clairs-obscurs à l’impalpable mystère. Le chef : bonsoir Maestro, bonjour Monsieur Kazuki Yamada... de la jeunesse, de la fraîcheur, du dynamisme, un chef qui sait désarticuler son orchestre qui décapent cette partition d’une énergie rare, où résonnent les influences des musiques populaires d’Europe, de Russie et d’Orient.
La bitonalité rend l'œuvre plus chaleureuse. Tout est consacré dans la pantomime exacerbée, le staccato militariste supervisé à l'extrême par un réel legato, vraie décortication de l'instrumentation.

Même en version de concert L'enfant et les Sortilèges substitue encore et toujours à la féerie vue par les yeux émerveillés de l’enfance, une sorte de cauchemar magique, psychédélique, animalier, mené tambour battant par quelques domestiques rancuniers, gentiment sadiques, envers un sale môme gâté.

On sait que L’Enfant et les Sortilèges nous parle de la cruauté instinctive des enfants. Mais là s’arrête la comparaison. Colette, la librettiste, s’intéresse plutôt à l’âme des objets et l’anime, donnant à son récit une allure presque surréaliste, au sens propre d’un réalisme sublimé. De plus, la musique de Ravel prend plaisir à illustrer avec tact et malice ce "poème des métamorphoses" comme l’appelait Vladimir Jankélévitch.

Avec autant de rôles solistes, un chœur d'adulte et un chœur d'enfants, pour seulement cinquante minutes de musique, là encore, Ravel n'y est pas allé de main morte ! Pourtant, sous des apparences de simplicité enfantine, éclatent son art des contrastes, son humour distancié, bref, un petit chef-d'œuvre d'équilibre et d'esprit. Des objets qui prennent vie, un enfant passant par une infinie palette d’émotions... C'est cette légèreté et cette délicatesse qui en font une œuvre hors norme car offrant tour à tour poésie, magie, humour, nostalgie, le tout servi par une orchestration grandiose.

Impossible de citer tous les chanteurs ou d’adresser un seul reproche sérieux au plateau réuni pour l’occasion. Annick Massis raflant presque tout dans son triple rôle de Feu / Princesse / Rossignol et Camille Poul dans le rôle de l’Enfant, est simplement parfaite. Les Devos, Pasturaud, Méchin, Piolino, Duhamel et Bolleire faisant plus que de la figuration intelligente...

Merci à Grégoire Pont pour le concept vidéo qui nous semble superflu pour cet ouvrage qui se suffit à lui-même.
Au final, un très beau moment de plaisir intense.

Gérard-G. Léopold di Offite
Mis en ligne le Lundi 28 Novembre 2016 à 09:13 | Lu 138 fois
Gérard-G. Léopold di Offite
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