La Belle époque de Massenet, expositions à la Bibliothèque nationale de France et l’Opéra national de Paris du 14 décembre 2011 au 13 mai 2012

À l’occasion du centenaire de la mort de Jules Massenet, de la nouvelle production à l’Opéra Bastille de Manon et de la reprise de L’Histoire de Manon au Palais Garnier, la Bibliothèque nationale de France et l’Opéra national de Paris consacrent une exposition dans les espaces de la Bibliothèque-musée de l’Opéra au compositeur phare de la Belle époque.


Au travers d’une centaine de pièces – tableaux, dessins, maquettes de décors et de costumes, partitions, photographies, costumes, affiches et documents d’archives –, l’exposition célèbre le centenaire de la mort de celui qui réussit au théâtre une synthèse unique des arts et de la musique. En effet, bien loin de se cantonner à son seul rôle de compositeur, il s’intéresse à tout, contrôle tout et impose sa vision picturale et scénographique aux directeurs de théâtres, aux décorateurs et aux metteurs en scène. Pour la création d’Esclarmonde à l’Opéra-Comique, en 1889, il fait non seulement dessiner l’affiche du spectacle par l’un des plus grands illustrateurs de son temps, Eugène Grasset, mais il demande aussi à cet artiste de doter la partition de pages d’ouverture et d’un frontispice somptueux ; enfin et surtout, il l’invite également à concevoir une partie des décors. Si Esclarmonde révèle donc un homme de théâtre accompli, visionnaire dans son approche esthétique de la scène et symbolisant à merveille l’esprit de la Belle époque, d’autres grands succès jalonnent la carrière du compositeur : Manon et Werther, mais aussi Le Cid, Thaïs, Grisélidis, Cendrillon, Le Jongleur de Notre-Dame, Chérubin…
De la création du Roi de Lahore au Palais Garnier en 1877 jusqu’à sa mort en 1912, Massenet (1842-1912) domine donc la vie lyrique française. Ses oeuvres sont représentées sur les scènes du monde entier et le compositeur y incarne l’élégance et la sensualité françaises, d’autant qu’il aime à mettre en valeur le talent des plus belles cantatrices de son temps : Sibyl Sanderson, Rose Caron, Lucienne Bréval, Marie Heilbronn ou Lucy Arbell. Autorité musicale, professeur recherché et aimé, Massenet a pour élève Alfred Bruneau, Gustave Charpentier, Ernest Chausson? George Enescu, Reynaldo Hahn ou Gabriel Pierné. Même Claude Debussy, qui n’a pas été de ceux-là, ne cache pas son admiration pour le compositeur...
Les documents exposés proviennent principalement des collections de l’Opéra national de Paris et de la Bibliothèque nationale de France mais également du Centre national du costume de scène de Moulins, de l’Opéra de Saint-Étienne, du musée d’Orsay, de la Mutuelle nationale des artistes de Pont-aux-Dames et de la Villa Médicis.
Cette exposition est organisée dans le cadre des Commémorations nationales 2012.

Jules Massenet

Après de brillantes études musicales, Jules Massenet (1842-1912) remporte le Premier Grand Prix de Rome en 1863. Soutenu par l’influent compositeur Ambroise Thomas, qui a été son professeur au Conservatoire, il donne deux ouvrages lyriques à l’Opéra-Comique : La Grand’Tante, en 1867, et Don César de Bazan, en 1872. Toutefois, c’est son premier éditeur et l’un de ses plus fidèles soutiens, Georges Hartmann, qui lui ouvre les portes d’une carrière théâtrale en faisant créer à ses frais, en 1873, au Théâtre de l’Odéon, son « drame sacré » Marie-Magdeleine. L’oeuvre est un triomphe et lui permet de donner Le Roi de Lahore à l’Opéra de Paris en 1877. Élu à l’Académie des Beaux-Arts en 1878 à la suite de ce succès, Massenet domine alors la création lyrique pendant un quart de siècle. En dépit de ce parcours brillant qui le mène aux plus hautes fonctions et aux plus hautes distinctions, l’homme reste une énigme. En effet, Massenet peut apparaître comme un personnage mondain et superficiel, comme un homme à femmes, comme un compositeur officiel aimant par dessus tout le succès et les honneurs. Et pourtant, derrière cette image que ses ennemis ont diffusée à l’envie, Massenet se révèle être un homme torturé qui déteste son prénom, un solitaire en proie à la mélancolie, un anxieux qui n’ose pas assister aux premières de ses oeuvres, un homme nerveux et superstitieux qui évite soigneusement de donner le chiffre 13 à l’un des feuillets de ses manuscrits, un travailleur impénitent rivé dès le réveil à sa table de travail, un bon père de famille qui ne quitte que contraint et forcé son foyer pour se rendre à quelque fête officielle…

Massenet et le théâtre

Animé par l’envie de plaire, Massenet propose une esthétique originale qui est le fruit de la synthèse de formes anciennes, que demande une partie du public, et de formes musicales et dramaturgiques nouvelles, qui satisfont ses ambitions artistiques. Si Massenet sait donc trouver dans sa musique un point d’équilibre quasi parfait entre tradition et innovation, il soigne aussi tout particulièrement le choix de ses livrets. Il travaille surtout avec trois librettistes, Louis Gallet, Jules Claretie et Henri Cain, mais ne se montre ni exclusif, ni très fidèle : il fait appel à vingt-sept librettistes pour trente oeuvres lyriques de son catalogue… Cette variété des talents doit éviter la monotonie pour le public, mais garantir aussi au compositeur une totale indépendance vis-à-vis de ses collaborateurs et donc sa primauté en cas de litige sur des questions artistiques ou esthétiques. S’il sacrifie plusieurs fois à l’exotisme qui plaît par-dessus tout avec Le Roi de Lahore, Esclarmonde, Hérodiade et Le Mage, Massenet s’attache toutefois à diversifier les sujets de ses livrets (chroniques de moeurs, grandes figures littéraires, religion), leurs sources (récits mythologiques et historiques, légendes, contes, romans, nouvelles, pièces de théâtre) et leurs cadres historiques : l’Antiquité pour Ariane, Bacchus, Roma et Cléopâtre, le Moyen Âge pour Grisélidis et Le Jongleur de Notre-Dame, le XVIIIe siècle qu’il affectionne tout particulièrement pour Chérubin, Thérèse, Manon ou Werther, la période qui lui est contemporaine pour Sapho et La Navarraise. Le compositeur rapporte que cette variété est le meilleur moyen, pour lui, « d’éviter la monotonie », mais sans doute souhaite-t-il aussi toujours surprendre le public et provoquer ainsi son intérêt et sa curiosité.

Massenet et ses interprètes

« Quelle joie enivrante d’écrire des ouvrages, des rôles, pour des artistes qui réaliseront votre rêve ! » Dans ses Souvenirs, Massenet ne manque pas une occasion de dire son admiration pour les chanteurs et les « cantatrices tragédiennes » et de souligner tout ce qu’il doit à ses interprètes. Il se plaît même à rappeler que certains n’ont pas été étrangers au processus créatif lui-même et il n’est pas rare qu’il aille jusqu’à faire contresigner le manuscrit autographe d’une oeuvre par l’interprète qui l’a inspiré : Emma Calvé pour Sapho et La Navarraise, Lucien Fugère pour Don Quichotte, Sibyl Sanderson pour Esclarmonde, Lucy Arbell pour Thérèse. Massenet donne aussi tous ses soins à la distribution et exige des théâtres une clause dans ses contrats qui lui laisse une grande liberté quant au choix de ses interprètes. Les indisponibilités de chanteurs mettent toutefois le compositeur devant un cruel dilemme : remettre les représentations d’une oeuvre ou renoncer à l’interprète primitivement choisi ? Ainsi, pour la création du Mage à l’Opéra, il destine le rôle principal à Jean de Reszké qui rompt brutalement son contrat avec l’Opéra de Paris. Par ailleurs, bien des vedettes de la troupe de l’Opéra sont indisponibles pour la période pendant laquelle doit avoir lieu la création de l’oeuvre. Massenet choisit aussi de différer la création de son opéra pour obtenir de meilleurs chanteurs.

L’atelier du compositeur

Élève de Massenet au Conservatoire, Alfred Bruneau consacre un livre à son maître plus de vingt ans après la mort de ce dernier. En se souvenant des visites qu’il rendait à Massenet, il livre un témoignage émouvant et saisissant de l’intimité du compositeur au travail : « Ceux d’entre nous que Massenet destinait au Concours de Rome, il les invitait généreusement le dimanche à passer la matinée chez lui, rue du Général-Foy, afin de les initier aux mystères de l’orchestre. […] Mon coeur battait dès que je commençais à gravir l’escalier qui me conduisait à l’appartement du «patron». […] Je pénétrais jusqu’à sa chambre à coucher - il n’eut jamais de cabinet de travail ; il dormait peu et, dès qu’il s’éveillait, avant l’aube, il quittait son lit pour s’asseoir dans [son] fauteuil […] et je le trouvais devant son bureau-piano […]. Il ne portait pas encore la robe rouge et la calotte pourpre qu’il adopta pour le confort de sa réclusion obstinée et qui le faisaient ressembler à un juvénile cardinal. Il passait sur sa chemise de nuit un ample vêtement quelconque où il savait être à l’aise, s’empressait de commencer sa besogne quotidienne. Il approchait alors de la quarantaine, gardait ses allures de gamin, ne nous opprimait, pas plus chez lui qu’à la classe, du joug de son autorité. Je n’étais point fier, néanmoins, en posant sur la tablette du meuble, aujourd’hui vénérable, mes feuillets épars. Il les lisait, les approuvait ou les condamnait avec la même bonne humeur et, quand il avait un doute, cherchait de ses deux mains tâtonnantes, à l’éclaircir sur le clavier, caché là... »

Pratique

Bibliothèque nationale de France - Bibliothèque-musée de l’Opéra
Palais Garnier - à l’angle des rues Scribe et Auber - Paris 9e

Pierre Aimar
Mis en ligne le Jeudi 3 Novembre 2011 à 15:40 | Lu 754 fois
Pierre Aimar
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