La Clémence de Titus © DR
Rien n'est plus difficile que de trouver le ton, le rythme, l'essence de « La Clemenza di Tito ». Tout paraît si statique avec cet ouvrage où les récitatifs encombrants de l'opéra seria enlisent l'action et où les airs ont souvent l'allure de morceaux de concert...
Voilà bien un opéra... qui n'en est sans doute pas un, mais plutôt une fresque, regard intérieur, contrainte, absence. Oserons-nous dire que Mozart, composant l'oeuvre en trois semaines, semble ne pas beaucoup aimer ces personnages de carton-pâte en proie à l'ambition, à la grandeur, mais sans passion véritable ? Comme si à travers quelques moments de génie (l'incendie du Capitole entre autres), endormant l'orchestre dans une lente mort, il soulignait ainsi l'absence des êtres à eux-mêmes.
Voilà de plus une œuvre pas si facile que cela à mettre en scène. Ici plus que jamais sont soulignés de manière très évidente les limites d'un genre auquel le compositeur n'a jamais réellement cru.
Du livret assez faible de Metastase – qui s'inspire bien sûr du Cinna de Pierre Corneille et de la Berénice de Racine – David Mac Vicar (le spectacle est présenté en coproduction avec Aix en Provence et Toulouse) a su créer une action, retrouver une vérité.
Sa régie relit La Clemenza de fond en comble pour laisser la place à la modernité, dans un jeu réglé comme une austère chorégraphie. Tous se heurtent, vivent, s'entredéchirent avec une vérité hallucinante qui ne laisse aucun temps mort, dans un péplum intemporel, pudique et stylisé, où la course vers le pouvoir de Vitellia devient un moment de toutes les époques de notre culture.
Chaque personnage, dans ce brassage de références, semble non pas se définir par les indications du livret mais plutôt par sa nature intime, sa propre expression musicale. Pas une inflexion de la partition qui ne trouve son pendant dans la gamme infinie des gestes, des ombres, des figures de la scène. Et tous apparaissent alors dans leur nudité émotive, dans leur fragilité humaine, dans toute la confrontation des sentiments opposés qui les meurtrissent.
Les costumes de Jenny Tiramani et les décors mouvants de Bettina Neuhaus donnent un prolongement insoupçonné et à la musique une profondeur et une dimension renouvelées. Comme pour mieux nous renvoyer nos angoisses, nos absences, nos peurs, nos fantasmes.
Dirigé comme un acteur, chaque interprète donne une telle intensité à son personnage qu'on oublie quelques minimes griefs vocaux.
Kate Aldrich, scéniquement très crédible, défend son Sextus avec une vaillance et un culot monstres, les vocalises sont légères, toujours musicales et fort bien contrôlées. Fascinante Prima Donna !
La Vitellia de Teresa Romano retrouve l’impérieux vertige qui l’emporte quand elle dit adieu à ses espoirs et avoue son crime. Emportant tout sur son passage, d’une violence presque racinienne, elle assume sans vergogne les difficiles changements de registre dans une gamme de réjouissantes couleurs.
La belle Clémence Barrabé donne à Servilia toute la grâce et la candeur requises. Plaisir également de découvrir en Annio une Christine Tocci mutine et efficace.
Une fois dit que Josef Wagner fait de Publius non pas une panouille, mais un vrai rôle de second, il faudra saluer bien bas, mais alors vraiment bien bas le ténor Paolo Fanale. Jolie découverte (merci Maurice Xiberras) à réentendre au plus vite !
Mettez dans un ordinateur les voix des Wunderlich, Dermota, Gedda etcetera, etcetera… mélangez, mixez, secouez délicatement, saupoudrez de brio dans les vocalises, d’aigus bien timbrés, de délicates nuances avec une once de legato d’impériale noblesse et vous avez le Titus idéal.
Aux saluts une ovation à l’aune de son talent : immense.
Avec Marc Shanahan, la musique assume entièrement sa fonction génitrice de la dramaturgie. Sous sa baguette, un peu retenue d’abord, puis plus enflammée, colorée, nerveuse, rageuse, sanguine, l’Orchestre, en grande forme, est l’écrin de ce somptueux plateau pour un triomphe mérité qui rapproche curieusement la « Clémence » du sombre univers de « Don Giovanni ».
On pouvait alors quitter Marseille en emportant dans le cœur cette grande déploration, cette voie vers l’opéra moderne que Mozart cherchait de toutes ses forces.
Christian Colombeau
Voilà bien un opéra... qui n'en est sans doute pas un, mais plutôt une fresque, regard intérieur, contrainte, absence. Oserons-nous dire que Mozart, composant l'oeuvre en trois semaines, semble ne pas beaucoup aimer ces personnages de carton-pâte en proie à l'ambition, à la grandeur, mais sans passion véritable ? Comme si à travers quelques moments de génie (l'incendie du Capitole entre autres), endormant l'orchestre dans une lente mort, il soulignait ainsi l'absence des êtres à eux-mêmes.
Voilà de plus une œuvre pas si facile que cela à mettre en scène. Ici plus que jamais sont soulignés de manière très évidente les limites d'un genre auquel le compositeur n'a jamais réellement cru.
Du livret assez faible de Metastase – qui s'inspire bien sûr du Cinna de Pierre Corneille et de la Berénice de Racine – David Mac Vicar (le spectacle est présenté en coproduction avec Aix en Provence et Toulouse) a su créer une action, retrouver une vérité.
Sa régie relit La Clemenza de fond en comble pour laisser la place à la modernité, dans un jeu réglé comme une austère chorégraphie. Tous se heurtent, vivent, s'entredéchirent avec une vérité hallucinante qui ne laisse aucun temps mort, dans un péplum intemporel, pudique et stylisé, où la course vers le pouvoir de Vitellia devient un moment de toutes les époques de notre culture.
Chaque personnage, dans ce brassage de références, semble non pas se définir par les indications du livret mais plutôt par sa nature intime, sa propre expression musicale. Pas une inflexion de la partition qui ne trouve son pendant dans la gamme infinie des gestes, des ombres, des figures de la scène. Et tous apparaissent alors dans leur nudité émotive, dans leur fragilité humaine, dans toute la confrontation des sentiments opposés qui les meurtrissent.
Les costumes de Jenny Tiramani et les décors mouvants de Bettina Neuhaus donnent un prolongement insoupçonné et à la musique une profondeur et une dimension renouvelées. Comme pour mieux nous renvoyer nos angoisses, nos absences, nos peurs, nos fantasmes.
Dirigé comme un acteur, chaque interprète donne une telle intensité à son personnage qu'on oublie quelques minimes griefs vocaux.
Kate Aldrich, scéniquement très crédible, défend son Sextus avec une vaillance et un culot monstres, les vocalises sont légères, toujours musicales et fort bien contrôlées. Fascinante Prima Donna !
La Vitellia de Teresa Romano retrouve l’impérieux vertige qui l’emporte quand elle dit adieu à ses espoirs et avoue son crime. Emportant tout sur son passage, d’une violence presque racinienne, elle assume sans vergogne les difficiles changements de registre dans une gamme de réjouissantes couleurs.
La belle Clémence Barrabé donne à Servilia toute la grâce et la candeur requises. Plaisir également de découvrir en Annio une Christine Tocci mutine et efficace.
Une fois dit que Josef Wagner fait de Publius non pas une panouille, mais un vrai rôle de second, il faudra saluer bien bas, mais alors vraiment bien bas le ténor Paolo Fanale. Jolie découverte (merci Maurice Xiberras) à réentendre au plus vite !
Mettez dans un ordinateur les voix des Wunderlich, Dermota, Gedda etcetera, etcetera… mélangez, mixez, secouez délicatement, saupoudrez de brio dans les vocalises, d’aigus bien timbrés, de délicates nuances avec une once de legato d’impériale noblesse et vous avez le Titus idéal.
Aux saluts une ovation à l’aune de son talent : immense.
Avec Marc Shanahan, la musique assume entièrement sa fonction génitrice de la dramaturgie. Sous sa baguette, un peu retenue d’abord, puis plus enflammée, colorée, nerveuse, rageuse, sanguine, l’Orchestre, en grande forme, est l’écrin de ce somptueux plateau pour un triomphe mérité qui rapproche curieusement la « Clémence » du sombre univers de « Don Giovanni ».
On pouvait alors quitter Marseille en emportant dans le cœur cette grande déploration, cette voie vers l’opéra moderne que Mozart cherchait de toutes ses forces.
Christian Colombeau