Quand Garnier se prend pour le Bolchoï
Le rêve et la folie de Hermann, héros de l’histoire, sont confrontés avec une analyse psychologique d’une hantise. L’idée maîtresse de l’oeuvre, le conflit entre l’homme et le destin, entre la vie et la mort correspondait bien alors à l’état psychique du compositeur.
Le romantisme fantastique, la progression de la métamorphose méphistophélique d’Hermann, le puits sans fond dans lequel il se jette sous l’effet de l’obsession et de la névrose, la mécanique prométhéenne qui le dévore: autant de thèmes abordés dans cette production, non pas simple mise en image par Guy Joosten qui ne sent jamais le bigoudi ou la charentaise car vraie création théâtrale. Les costumes de Jorge Jara et les décors de Johannes Leiacker sont originaux, somptueux dans leur glaciale simplicité.
Joosten semble être remonté aux sources littéraires, au petit conte diabolique de Pouchkine où l’ivresse du jeu exclut tout autre sentiment et mène à la folie. On le sait, Tchaïkovski donne au héros Herrmann une dimension à la fois plus sentimentale et plus humaine. Ici il aime pour de bon Lisa, qui n’est plus la pupille malheureuse de la comtesse aux trois cartes, mais sa petite-fille. C’est pour elle qu’il veut percer le secret qui devrait lui donner les moyens de l’épouser. Egaré par sa passion des jeux, de l’amour, des hasards, il ne supportera pas de perdre là où il avait cru détenir la certitude de gagner. Son suicide dans une insoutenable indifférence générale sera inévitable.
« Prima La Musica ! ». C’est bien elle qui l’emporte dans le tourbillon que lève pour elle Dimitri Jurowski. En terrain conquis d’avance, le moscovite embrase ce cauchemar d’un damné. Sous sa baguette Tchaïkovski prend feu et rutile comme un diamant noir. Impossible de résister au torrent qu’il déclenche.
Avec ces chœurs immenses (on les dirait tous sortis des bords de la Volga) qui se reçoivent comme des uppercuts en pleine poitrine, le cast est unique, sidérant.
Impossible d’adresser un reproche sérieux à qui que ce soit.
Une première à l’Opéra de Monte-Carlo qui restera dans les annales. Si après un Wagner de belle facture en janvier dernier, Garnier se prend maintenant pour une annexe du Bolchoï, il y a vraiment quelque chose de réjouissant dans la Principauté.
Jean-François Lapointe, campe un Prince Eletsky de classe supérieure, luxueux, superbe, grandiose. En un air à tirer les larmes et une forte silhouette intelligemment croquée ailleurs, le baryton s’impose sans peine. Voilà un Onéguine en puissance !
Dimitri Ulianov (Tomsky) Adrian Sampetrean (Sourine), la ribambelle de petits rôles tous difficiles mais bien en place, finement bien dessinés, ne méritent que des éloges.
Barbara Haveman en Lisa bouleversante et pathétique est au meilleur de sa forme. Eva Powdles, comtesse impériale et droite comme un « i » décati éblouit par sa présence, son jeu, son humour aussi.
Mais la vedette du spectacle reste Vladimir Galouzine qui s’est, semble-t-il, identifié corps et âme au personnage de Hermann qu’il chante depuis près de vingt ans. Un sacerdoce. Malgré trois-cent cinquante représentations, la voix n’a rien perdu de sa puissance ni de sa souplesse, de ses couleurs, elle s’est même enrichie on dirait. Son jeu halluciné de vieil enfant fragile et désemparé reste jusqu’à présent inégalé.
Christian Colombeau
24 avril 2009
Le romantisme fantastique, la progression de la métamorphose méphistophélique d’Hermann, le puits sans fond dans lequel il se jette sous l’effet de l’obsession et de la névrose, la mécanique prométhéenne qui le dévore: autant de thèmes abordés dans cette production, non pas simple mise en image par Guy Joosten qui ne sent jamais le bigoudi ou la charentaise car vraie création théâtrale. Les costumes de Jorge Jara et les décors de Johannes Leiacker sont originaux, somptueux dans leur glaciale simplicité.
Joosten semble être remonté aux sources littéraires, au petit conte diabolique de Pouchkine où l’ivresse du jeu exclut tout autre sentiment et mène à la folie. On le sait, Tchaïkovski donne au héros Herrmann une dimension à la fois plus sentimentale et plus humaine. Ici il aime pour de bon Lisa, qui n’est plus la pupille malheureuse de la comtesse aux trois cartes, mais sa petite-fille. C’est pour elle qu’il veut percer le secret qui devrait lui donner les moyens de l’épouser. Egaré par sa passion des jeux, de l’amour, des hasards, il ne supportera pas de perdre là où il avait cru détenir la certitude de gagner. Son suicide dans une insoutenable indifférence générale sera inévitable.
« Prima La Musica ! ». C’est bien elle qui l’emporte dans le tourbillon que lève pour elle Dimitri Jurowski. En terrain conquis d’avance, le moscovite embrase ce cauchemar d’un damné. Sous sa baguette Tchaïkovski prend feu et rutile comme un diamant noir. Impossible de résister au torrent qu’il déclenche.
Avec ces chœurs immenses (on les dirait tous sortis des bords de la Volga) qui se reçoivent comme des uppercuts en pleine poitrine, le cast est unique, sidérant.
Impossible d’adresser un reproche sérieux à qui que ce soit.
Une première à l’Opéra de Monte-Carlo qui restera dans les annales. Si après un Wagner de belle facture en janvier dernier, Garnier se prend maintenant pour une annexe du Bolchoï, il y a vraiment quelque chose de réjouissant dans la Principauté.
Jean-François Lapointe, campe un Prince Eletsky de classe supérieure, luxueux, superbe, grandiose. En un air à tirer les larmes et une forte silhouette intelligemment croquée ailleurs, le baryton s’impose sans peine. Voilà un Onéguine en puissance !
Dimitri Ulianov (Tomsky) Adrian Sampetrean (Sourine), la ribambelle de petits rôles tous difficiles mais bien en place, finement bien dessinés, ne méritent que des éloges.
Barbara Haveman en Lisa bouleversante et pathétique est au meilleur de sa forme. Eva Powdles, comtesse impériale et droite comme un « i » décati éblouit par sa présence, son jeu, son humour aussi.
Mais la vedette du spectacle reste Vladimir Galouzine qui s’est, semble-t-il, identifié corps et âme au personnage de Hermann qu’il chante depuis près de vingt ans. Un sacerdoce. Malgré trois-cent cinquante représentations, la voix n’a rien perdu de sa puissance ni de sa souplesse, de ses couleurs, elle s’est même enrichie on dirait. Son jeu halluciné de vieil enfant fragile et désemparé reste jusqu’à présent inégalé.
Christian Colombeau
24 avril 2009