La Dispute de Marivaux, par La Comédie Française, au Théâtre Toursky, Marseille. Par Philippe Oualid

La Dispute est la pièce la plus "métaphysique" de Marivaux. Pour savoir qui de l'homme ou de la femme a donné le premier l'exemple de l'inconstance, un Prince a fait élever, à l'écart du monde, deux garçons et deux filles. Parvenus à l'âge adulte, ils vont, quand la pièce commence, se rencontrer pour la première fois et reconnaître la différence des sexes.


La Dispute, de Marivaux @ Cosimo Mirco Magliocca


Au fil de vingt scènes, l'auteur fait coïncider la découverte du monde environnant et de l'amour par ces innocents cobayes, sous le regard attentif du prince et de sa maîtresse. . . qui, par ailleurs conçoivent toute cette expérimentation comme un moyen infaillible d'apprendre si l'âme primitive, éclairée par les lumières de la seule Nature, équivaut à une terre vierge. Mais comme ces enfants parlent déjà la langue subtile de Marivaux, on constate progressivement que l'objet de la représentation consiste moins à satisfaire des chercheurs qu'à dénoncer la perversité conjuguée de la Nature et de la Société.
Point n'était besoin, dès lors, de les donner à voir à la manière de Chéreau, comme des enfants sauvages, en conflit avec un langage désarticulé, dans un spectacle satanique conçu pour indigner les spécialistes de l'écrivain. La direction d'acteurs de Muriel Mayette qui s'inspire à juste titre de la commedia dell'arte, se trouve donc ici exemplaire. Dans un décor d'Yves Bernard, assemblage de hautes planches de bois qui ressemble à l'intérieur d'une citerne, Joséphine de Meaux(Eglé) et Clément Hervieu-Léger(Azor), deux jeunes comédiens exceptionnellement doués, adoptent d'abord un comportement de marionnettes bécasses avant de se révéler amoureux l'un de l'autre avec grâce et préciosité dans le jeu des miroirs et des portraits.
La plaisante querelle des coquettes, Eglé et Adine(Véronique Vella), la passion bouffonne de Mesrin (Nazîm Boudjenah) pour Adine, la sympathie qu'éprouvent l'un pour l'autre les deux garçons en sautant de joie, l'inconstance de Mesrin et d'Eglé, restituent à la verve comique tous ses droits en gommant heureusement toute visée sadienne dans la présence des géoliers noirs maussades (Bakary Sangaré et Eebra Tooré) ou des voyeurs, Jean-Baptiste Malartre (Le Prince) et Sylvia Bergé (Hermiane) qui suivent à la lorgnette le spectacle, d'une loge. L'apparition inattendue, à la fin de la pièce, d'un couple d'amants fidèles, interrompt subitement réflexions et plaisanteries.
On peut regretter l'ajout d'un prologue à la fois long et monotone, constitué d'un collage de propos et de dialogues extraits de La Double Inconstance, du Jeu de L'Amour et du Hasard, ou de La Seconde Surprise de L'Amour, mais, dans l'ensemble, la mise en scène dynamique de cette Dispute dans les ravissants costumes de Virginie Merlin, trouve sans difficulté la fraîcheur et le rythme qui lui conviennent.
Créée à la Comédie Française, le 19 Octobre 1744, en hommage au nouvel académicien qu'était Marivaux, la pièce, copieusement sifflée par le public d'habitués du théâtre, ne fut jouée qu'une seule fois. On attribua les raisons de cet échec au caractère invraisemblable du sujet et à l'étroitesse de goût des spectateurs. Au Théâtre Toursky, fin Janvier 2010, La Dispute a rencontré un accueil poli et respectueux, accompagné parfois de murmures d'admiration auxquels les Comédiens Français ont paru sensibles.
Philippe Oualid

La Dispute de Marivaux, par La Comédie Française
Mise en scène de Muriel Mayette
Théâtre Toursky. Marseille. 29-30 Janvier 2010
Tournée en France jusqu'au 9 Avril 2010

pierre aimar
Mis en ligne le Vendredi 5 Février 2010 à 22:45 | Lu 6343 fois
pierre aimar
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