La Vivandière de Benjamin Godard renaît de ses cendres au Festival Radio France de Montpellier 2013 ! par Serge Alexandre

Découvrir une belle endormie procure toujours une intense joie, un peu comme un premier baiser : tel est le cas de cette vivandière de ce compositeur français oublié de nos jours à tort écrite en 1894 achevée par Paul Vidal et jouée à titre posthume en 1895 à l’Opéra-Comique et obtint un vibrant succès lors de sa création. La créatrice Marie Delna en fût l’artisane. On sort de cette Vivandière avec le plaisir d’avoir entendu une œuvre rare et singulière. C’est souvent le cas avec le Festival Radio France. Ici on vient y écouter des œuvres oubliées en version de concert lorsqu’il s’agit d’opéras… C’était l’un des évènements lyriques de cet été des festivaliers 2013.


Opéra-Berlioz @ Marc Ginot
Depuis sa création ce sont des dizaines d’œuvres qui ont pu renaître sous l’impulsion de l’ancien directeur tellement regretté René Koering dont le magnifique étranger de Vincent d’Indy. Le livret un peu faiblard d’Henri Cain relate l’histoire de Marion la Vivandière qui était la blanchisseuse du régiment, véritable fée toujours prête à donner. La Vivandière évoquera pour certains La célèbre fille du régiment de Donizetti. Son bataillon vient camper sous les murailles du Château de Rieul où demeure le marquis de Rieul et ses deux fils et une orpheline du nom de Jeanne. En voyant la Vivandière, un des deux fils Georges renie tout son passé royaliste pour s’enrôler dans les rangs républicains. Il y sera suivi par Jeanne qu’il aime en secret. Un an passé, nous retrouvons le couple en Vendée. Georges est devenu sergent. La guerre touche à sa fin. Cet opéra correspondait au goût de l’époque par sa thématique patriotique. Le premier acte se situe aux alentours de Nancy après les victoires républicaines inaugurées par Valmy ce qui n’est pas fortuit au moment où en 1893 une partie de la Lorraine devenait allemande !
Ce dernier ouvrage lyrique du maître regretté, auteur de plus de deux cent œuvres dont le sublime concerto romantique pour violon et orchestre ou l’opéra Jocelyn sur un poème de Lamartine marie le comique au tragique sans dialogues.
Benjamin Godard est du monde d’hier. Cet ouvrage regorge de belles mélodies enflammées offrant au drame un caractère passionnel… Dans la lignée de Carmen de Bizet, Samson et Dalila de Saint-Saëns, Werther de Massenet, l’œuvre offre un rôle superbe et écrasant vocalement pour la mezzo-soprano.
Marylin Horne enregistra pour Erato jadis le fameux air « Viens avec nous, petit ! » sans pouvoir réaliser son rêve de pouvoir incarner Marion sur la scène.
Au Corum, Norah Gubish l’a fait… La mezzo-soprano française à la voix ample dotée d’un timbre de velours possède toutes les qualités vocales pour venir à bout d’une partition fort dramatique et exigeante sur toute l’étendue du registre. Elle sait se montrer captivante et elle s’investit totalement en Marion. On peut louer la force expressive de l’interprétation de l’artiste transcendant la belle berceuse du premier acte. Comme à son habitude, la diction est exemplaire. Plus centraux les emplois des jeunes amoureux Georges trouve en Florian Laconi une voix de ténor saine et ensoleillée où l’interprète se montre très à l’aise dans les aigus. La soprano Omo Bello se montre émouvante en Jeanne même si un léger vibrato reste à surveiller. Fort convaincant Alexandre Duhamel offre une belle voix de baryton au sergent La Balafre. Le capitaine Bernard a trouvé son interprète idéal avec Étienne Dupuis à la voix profonde et toujours intelligible. Seul Franck Ferrari remplaçant Jean-Marie Frémeau dans le rôle du marquis de Rieul semble en retrait vocalement. L’émission souffre d’une relative instabilité ici. Louons cependant cette distribution homogène à la diction exemplaire ! Souhaitons qu’une maison de disque enregistre cette vivandière avec la même distribution…
On a connu le chef d’orchestre Patrick Davin plus investi musicalement. Il maintient cependant l’équilibre nécessaire entre les solistes, le chœur superbe et l’excellent Orchestre National de Montpellier. Il parvient seulement par instant à restituer le souffle romantique de la partition. L’enthousiasmant accueil du public du Festival témoigne que cet ouvrage mériterait de figurer dans nos maisons lyriques aux côtés des sempiternels Roméo et Juliette, Faust de Gounod, Carmen et Les pêcheurs de perle de Bizet… À quand pourrons-nous redécouvrir le Jocelyn ou les guelfes de Benjamin Godard ?
La musique de Godard mérite en tous cas mieux que l’avis de certains musicologues aigris ayant collé l’étiquette de musicien de salon au compositeur qui fût en son temps l’élève de Reber et de Vieuxtemps ! Le Festival pour 2013 affiche une belle réussite avec plus de 110350 spectateurs à Montpellier et sa région. Rappelons que sur les 189 manifestations 90% sont entrée libre ! De quoi laisser songeur…
Serge Alexandre

Pratique

Pour réécouter le concert enregistré par France Musique : www.francemusique.fr/emission/le-concert-du-soir/2012-ete/festival-radio-france-montpellier-la-vivandiere-benjamin-godard-07-24-2013-00-00
Pour découvrir des oeuvres de Godard, je vous conseille vivement les deux concertos pour violon et orchestre enregistrés par la brillante violoniste Chloé Hanslip chez Naxos 8.570554 ou les œuvres pour piano et orchestre en deux volumes par l’excellent pianiste Victor Sangiorgio chez Dutton.

Pierre Aimar
Mis en ligne le Samedi 10 Aout 2013 à 15:53 | Lu 225 fois
Pierre Aimar
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