Entre sexe et meurtre, Chostakovitch signe sa plus belle partition
Le schéma est classique : telle Madame Bovary, Katerina, mal mariée, morte d’ennui, cède au premier bellâtre venu, empoisonne son beau-père, élimine son mari, épouse ensuite son amant. Arrêtés le jour des noces, ils seront déportés en Sibérie. Elle se noiera dans la Neva, entraînant avec elle sa nouvelle rivale…
Créé à Leningrad en 1934 avec beaucoup de succès, joué un peu partout sur la planète la même année (l’ouvrage sera donné deux cent fois en deux ans !), c’est le Petit Père des Peuples, Staline himself, qui déclenchera deux ans plus tard la bataille de l’opéra.
Assistant à une représentation, il s’offusque de la crudité érotique de certains passage, de la violence satirique de la musique et fait écrire dans la Pravda un article fustigeant le compositeur sitôt déclaré « ennemi du peuple ».
Le musicien est sommé d’édulcorer le texte, d’arrondir les angles musicaux, bref de remanier l’œuvre qui deviendra Katerina Ismailova en 1963 à la Scala de Milan…
Par chance, c’est la première version qui est présentée sur la scène de Garnier dans la production importée du Teatr Wielki de Poznan. Volons à l’essentiel.
Les décors de Diego Siliano ? Des espaces clos qui oppressent l’homme.
La mise en scène de Marcelo Lombardero ? Très cinématographique, dans un dramatisme forcené et une pornographie de tous les instants, une lente progression des sentiments vers leur jaillissement incontrôlé, une dénonciation acharnée du triste et sempiternel schéma de la banalité quotidienne, de l’éternelle destruction du couple, de la « victimisation » phallocrate. Dès le lever de rideau, on devine que les passions couvent dans le foyer des Ismailov, bien avant que la sexualité insatisfaite de l’héroïne soit rallumée. Mais, la violence et l’érotisme ne sont que deux éléments de cet opéra : la superstition religieuse, l’humour grotesque et même la compassion trouvent ici leur juste place.
Encore une fois, c’est autour de Katerina que tout le drame tourne, et le rôle demande une présence dramatique foudroyante. La grande, la belle, l’unique, la formidable Nicola Beller Carbone ne pouvait être un meilleur choix.
Inquiétante, d’un magnétisme puissant, elle entre entièrement dans le personnage dès la première mesure, telle une tigresse meurtrière sans remords car délivrée de ses inhibitions, l’enlève dans une sorte d’assomption vocale et théâtrale, domine sans peine les ambitus de sa partition et reçoit une ovation à l’aune de son talent : immense.
Les autres protagonistes ne lui furent pas inférieurs.
Alexei Tikhomirov, d’une grossière animalité, de sa voix de bronze, donne un relief saisissant au terrible beau-père sadique et lubrique.
Beau comme il n’est pas permis, Misha Didyk au timbre puissant et souple, campe un vaniteux Serguei, lui apportant un juste mélange de brutalité sauvage et de tendresse humaine.
Ludovit Ludha s’impose sans peine dans les deux courtes scènes précédant son assassinat. Saisissantes silhouettes également avec la Sonietka de Maïram Sokolova, le policier merveilleusement pompeux de Grigori Soloviov, le Pope plus vrai que nature, libidineux, faux-derche porté sur la Dive Bouteille d’Alexander Teliga, ou cette pauvre Aksinia de Carole Wilson violée comme dans les meilleurs films classés X, portant sur ses épaules toute la misère sexuelle d’un peuple brimé et frustré.
Avec les chœurs de l’Opéra, superlatifs, qui sonnent comme la phalange du Bolchoï et les Chœurs de de l’Armée Rouge réunis (Stefano Visconti peut être fier de son travail), tous les seconds rôles seraient à citer.
Les interludes musicaux jouent un rôle très important et demandent toutes les forces virtuoses de l’orchestre. La précision rythmique et ce caractère d’amère ironie, dont la musique de Chostakovitch est tant imprégnée, ne pouvaient être mieux interprétés qu’avec Jacques Lacombe.
Avec délectation, le québécois, dirigeant pour la première fois cet opéra fleuve, dès les premières mesures acides de l’apocalyptique partition met en branle le mécanisme pervers d’un monde privé de sentiment.
Dans une tension et une lucidité impressionnantes, le Philharmonique de Monte-Carlo construit d’énormes structures sonores assourdissantes dans les moments paroxystiques, tout en mettant en lumière le comique grinçant de certains épisodes.
Pour une fête lubrique, violente, crue, sadique, sanguinolente, sans pitié, de la première à la dernière note.
Christian Colombeau
Créé à Leningrad en 1934 avec beaucoup de succès, joué un peu partout sur la planète la même année (l’ouvrage sera donné deux cent fois en deux ans !), c’est le Petit Père des Peuples, Staline himself, qui déclenchera deux ans plus tard la bataille de l’opéra.
Assistant à une représentation, il s’offusque de la crudité érotique de certains passage, de la violence satirique de la musique et fait écrire dans la Pravda un article fustigeant le compositeur sitôt déclaré « ennemi du peuple ».
Le musicien est sommé d’édulcorer le texte, d’arrondir les angles musicaux, bref de remanier l’œuvre qui deviendra Katerina Ismailova en 1963 à la Scala de Milan…
Par chance, c’est la première version qui est présentée sur la scène de Garnier dans la production importée du Teatr Wielki de Poznan. Volons à l’essentiel.
Les décors de Diego Siliano ? Des espaces clos qui oppressent l’homme.
La mise en scène de Marcelo Lombardero ? Très cinématographique, dans un dramatisme forcené et une pornographie de tous les instants, une lente progression des sentiments vers leur jaillissement incontrôlé, une dénonciation acharnée du triste et sempiternel schéma de la banalité quotidienne, de l’éternelle destruction du couple, de la « victimisation » phallocrate. Dès le lever de rideau, on devine que les passions couvent dans le foyer des Ismailov, bien avant que la sexualité insatisfaite de l’héroïne soit rallumée. Mais, la violence et l’érotisme ne sont que deux éléments de cet opéra : la superstition religieuse, l’humour grotesque et même la compassion trouvent ici leur juste place.
Encore une fois, c’est autour de Katerina que tout le drame tourne, et le rôle demande une présence dramatique foudroyante. La grande, la belle, l’unique, la formidable Nicola Beller Carbone ne pouvait être un meilleur choix.
Inquiétante, d’un magnétisme puissant, elle entre entièrement dans le personnage dès la première mesure, telle une tigresse meurtrière sans remords car délivrée de ses inhibitions, l’enlève dans une sorte d’assomption vocale et théâtrale, domine sans peine les ambitus de sa partition et reçoit une ovation à l’aune de son talent : immense.
Les autres protagonistes ne lui furent pas inférieurs.
Alexei Tikhomirov, d’une grossière animalité, de sa voix de bronze, donne un relief saisissant au terrible beau-père sadique et lubrique.
Beau comme il n’est pas permis, Misha Didyk au timbre puissant et souple, campe un vaniteux Serguei, lui apportant un juste mélange de brutalité sauvage et de tendresse humaine.
Ludovit Ludha s’impose sans peine dans les deux courtes scènes précédant son assassinat. Saisissantes silhouettes également avec la Sonietka de Maïram Sokolova, le policier merveilleusement pompeux de Grigori Soloviov, le Pope plus vrai que nature, libidineux, faux-derche porté sur la Dive Bouteille d’Alexander Teliga, ou cette pauvre Aksinia de Carole Wilson violée comme dans les meilleurs films classés X, portant sur ses épaules toute la misère sexuelle d’un peuple brimé et frustré.
Avec les chœurs de l’Opéra, superlatifs, qui sonnent comme la phalange du Bolchoï et les Chœurs de de l’Armée Rouge réunis (Stefano Visconti peut être fier de son travail), tous les seconds rôles seraient à citer.
Les interludes musicaux jouent un rôle très important et demandent toutes les forces virtuoses de l’orchestre. La précision rythmique et ce caractère d’amère ironie, dont la musique de Chostakovitch est tant imprégnée, ne pouvaient être mieux interprétés qu’avec Jacques Lacombe.
Avec délectation, le québécois, dirigeant pour la première fois cet opéra fleuve, dès les premières mesures acides de l’apocalyptique partition met en branle le mécanisme pervers d’un monde privé de sentiment.
Dans une tension et une lucidité impressionnantes, le Philharmonique de Monte-Carlo construit d’énormes structures sonores assourdissantes dans les moments paroxystiques, tout en mettant en lumière le comique grinçant de certains épisodes.
Pour une fête lubrique, violente, crue, sadique, sanguinolente, sans pitié, de la première à la dernière note.
Christian Colombeau