Une mise en scène héroïque d'Alain Ollivier
Il n'y a pas lieu de résumer ici Le Cid que tous nos lecteurs savent par coeur. On peut dire cependant que ces jeux de l'amour et de l'honneur caractéristiques du théâtre espagnol du Siècle d'Or, qui transposent des rapports établis dans le roman de chevalerie entre le Roi,le Héros et la Princesse, sont appréciés particulièrement sous le règne de Louis XIII, dans une France chevaleresque où les métaphores amoureuses et guerrières s'entrecroisent continuellement dans les conversations des salons ou à la Cour. Mais aussi que la violente querelle faite à Corneille par ses confrères jaloux et les doctes de la naissante Académie Française lançait la lutte décisive contre le genre baroque de la tragi-comédie qui ne respectait pas la Poétique d'Aristote et péchait à la fois contre la vraisemblance et les bienséances : ici,en l'occurrence, un procès de moralité intenté à Chimène par Georges de Scudéry (une fille d'honneur n'épouse pas le meurtrier de son père) et une accusation de plagiat des Mocedades del Cid de Guillen de Castro. Cette Querelle sera en outre pour Richelieu l'occasion d'affirmer son rôle dans le contrôle de la vie littéraire,et en même temps, un parti pris contre Corneille dont la pièce peut être comprise comme une apologie du duel et une célébration de l'Espagne en guerre avec la France à un moment critique de la Guerre de Trente ans.
Alain Ollivier, ancien élève d'Alain Cuny et de Georges Wilson, met en scène la seconde version du Cid, la version de 1660 revue et corrigée par Corneille en fonction des critiques "enveloppées de fleurs" des Académiciens, sous-titrée"tragédie", avec une élégance et un goût qui rappellent les représentations du TNP et de la Comédie Française des années cinquante. Ici, les personnages déclament avec conviction et sans précipitation aucune, leurs tirades lyriques, leurs monologues, leurs répliques virulentes, dans des poses statiques, mais leurs gestes, leurs postures, leurs déplacements, relèvent de la chorégraphie classique. Le soufflet du Comte, l 'étreinte de Rodrigue par le Roi participent encore d'un comportement mimé, et souvent les tableaux d'ensemble de la cour se figent comme dans un cabinet de figures de cire.
A la place du fameux décor à compartiments de la création, masqués par des tapisseries ou des rideaux selon les modalités de l'action, la scénographie de Daniel Janneteau (une palissade de bois gris pourvue de trois ouvertures, en guise de paysage de Séville) réduit le plateau à une partie commune appartenant successivement aux différents lieux particuliers : maison de Chimène, rue, place publique, salle du trône du Palais Royal, appartement de l'Infante. C'est dommage ! Mais la beauté des costumes de Florence Sadaune, inspirés de toiles de Vélasquez ou de gravures d'Abraham Bosse, le fait aisément oublier.
L'interprétation des principaux acteurs,en revanche, est à tous égards,excellente. Elle intègre en effet à l'héroïsation sublime des personnages, les passions, les souffrances, les battements de coeur, et fait accéder au tragique tout ce que la déclamation excessive ou précieuse peut véhiculer de ridicule. Bruno Sermonne représente ainsi un Don Diègue entêté qui manifeste avec une intransigeance absolue son dévouement aux lois de l'honneur familial, à son Roi plus bonhomme qu'autoritaire (Fabrice Farchi), et à l'Etat. En défiant le Comte arrogant et vaniteux (Renan Carteaux), il n'hésite point à faire courir à son fils Rodrigue un danger mortel que le fougueux garçon (Thibault Corrion) brave avec une générosité qui met son énergie morale au service de son devoir. Devant Chimène (Claire Sermonne), écorchée vive dont la sensibilité est mise à rude épreuve, le héros cornélien garde constamment l'estime de soi-même dans un comportement singulier de rêveur éveillé qui parvient à concilier l'alliance du libre arbitre et de la grâce divine. Il a d'ailleurs été récompensé pour ce rôle par le grand prix de la Critique dramatique.
Ainsi,grâce à une impeccable direction d'acteurs, ce brillant spectacle exalte dans son ensemble les secrètes richesses du Cid, participe heureusement du prestige du Français cultivé, et plonge le public dans un charme indéfinissable.
Philippe Oualid.
LE CID de Corneille
Mise en scène d'Alain Ollivier
Théâtre du Gymnase du 25 au 29 Novembre 2008.
Alain Ollivier, ancien élève d'Alain Cuny et de Georges Wilson, met en scène la seconde version du Cid, la version de 1660 revue et corrigée par Corneille en fonction des critiques "enveloppées de fleurs" des Académiciens, sous-titrée"tragédie", avec une élégance et un goût qui rappellent les représentations du TNP et de la Comédie Française des années cinquante. Ici, les personnages déclament avec conviction et sans précipitation aucune, leurs tirades lyriques, leurs monologues, leurs répliques virulentes, dans des poses statiques, mais leurs gestes, leurs postures, leurs déplacements, relèvent de la chorégraphie classique. Le soufflet du Comte, l 'étreinte de Rodrigue par le Roi participent encore d'un comportement mimé, et souvent les tableaux d'ensemble de la cour se figent comme dans un cabinet de figures de cire.
A la place du fameux décor à compartiments de la création, masqués par des tapisseries ou des rideaux selon les modalités de l'action, la scénographie de Daniel Janneteau (une palissade de bois gris pourvue de trois ouvertures, en guise de paysage de Séville) réduit le plateau à une partie commune appartenant successivement aux différents lieux particuliers : maison de Chimène, rue, place publique, salle du trône du Palais Royal, appartement de l'Infante. C'est dommage ! Mais la beauté des costumes de Florence Sadaune, inspirés de toiles de Vélasquez ou de gravures d'Abraham Bosse, le fait aisément oublier.
L'interprétation des principaux acteurs,en revanche, est à tous égards,excellente. Elle intègre en effet à l'héroïsation sublime des personnages, les passions, les souffrances, les battements de coeur, et fait accéder au tragique tout ce que la déclamation excessive ou précieuse peut véhiculer de ridicule. Bruno Sermonne représente ainsi un Don Diègue entêté qui manifeste avec une intransigeance absolue son dévouement aux lois de l'honneur familial, à son Roi plus bonhomme qu'autoritaire (Fabrice Farchi), et à l'Etat. En défiant le Comte arrogant et vaniteux (Renan Carteaux), il n'hésite point à faire courir à son fils Rodrigue un danger mortel que le fougueux garçon (Thibault Corrion) brave avec une générosité qui met son énergie morale au service de son devoir. Devant Chimène (Claire Sermonne), écorchée vive dont la sensibilité est mise à rude épreuve, le héros cornélien garde constamment l'estime de soi-même dans un comportement singulier de rêveur éveillé qui parvient à concilier l'alliance du libre arbitre et de la grâce divine. Il a d'ailleurs été récompensé pour ce rôle par le grand prix de la Critique dramatique.
Ainsi,grâce à une impeccable direction d'acteurs, ce brillant spectacle exalte dans son ensemble les secrètes richesses du Cid, participe heureusement du prestige du Français cultivé, et plonge le public dans un charme indéfinissable.
Philippe Oualid.
LE CID de Corneille
Mise en scène d'Alain Ollivier
Théâtre du Gymnase du 25 au 29 Novembre 2008.