Le Misanthrope de Molière au Théâtre de La Criée, Marseille, par Philippe Oualid

Dans Le Misanthrope, Molière porte son effort au plus haut pour rapprocher la comédie du théâtre sérieux.


le Misanthrope © B Enguerand
Il met en scène un atrabilaire, Alceste, qui ne pouvant mettre sa franchise en accord avec le scepticisme souriant de Philinte, le bel esprit d'Oronte, la pruderie d'Arsinoé et la coquetterie de Célimène, décide d'aller vivre loin du monde, de « fuir dans un désert l'approche des humains ». . . Ici Molière s'emploie à ne pas concentrer l'action autour d'un personnage exclusif. Les principaux se partagent successivement le premier plan: tous prétendent à une profondeur psychologique, à une complexité humaine qui exclut les seconds rôles. Aussi est-il vain de chercher qui a tort et qui a raison. Chaque personnage a sa part de vérité, et c'est dans cette perspective d'indétermination morale qu'ils prennent toute leur valeur.

Molière accentue cependant l'aspect ridicule d'Alceste, complaisant envers soi-même, criant un peu trop fort son impatience. Mais Le Misanthrope est aussi une défense de soi-même contre les pièges de la féminité et de la mondanité. A la fin de la pièce, Alceste sort grandi de l'épreuve et il a presque réussi à changer le genre littéraire de la pièce dont il est le héros: au canevas comique s'est superposé une sorte de paradoxe sur les mirages sociaux et les mystères de la communication. Une telle esthétique est proche de celle du drame.

Rien de tel dans le spectacle de Jean-François Sivadier qui se présente comme une parodie burlesque de représentation classique, se donne sur une scène dévastée par les coulées de lave d'un volcan en éruption et devant un amoncellement de chaises d'un établissement scolaire sinistré ! Tous les rôles sont interprétés dans un esprit de dérision stupide avec pléthore de numéros de pantomime de cinéma muet, une déclamation hystérique de l'alexandrin ou un matraquage sonore des douze syllabes. . . Nicolas Bouchaud est un Alceste en kilt écossais, furieux, excessif, fulminant, Nora Krief, une Célimène ridicule, Christèle Tual une Arsinoé surgie d'un mauvais roman précieux, et les petits marquis Acaste et Clitandre (Stephen Butel et Christophe Ratandra) des strip-teaseurs grotesques. Oronte (Cyril Bothorel) ressemble à un transsexuel et Philinte (Vincent Guédon) à un play boy.

On ne sait que penser de cette mise en scène qui prend prétexte de la brillante comédie de Molière pour illustrer un monde de démence dans un dix-septième siècle de bande dessinée. Ici le méchant cabotinage des acteurs se trouve abandonné au cabotinage encore plus exécrable du réalisateur. Un spectacle déroutant en définitive qui plait aux adolescents, mais ne peut que soulever de nombreuses réserves pour le public cultivé.
Philippe Oualid

Le Misanthrope de Molière,
Mise en scène de Jean-François Sivadier
Théâtre de La Criée, du 17 au 18 Avril 2014
Auditorium du Parc Chanot (Marseille)

Pierre Aimar
Mis en ligne le Vendredi 18 Avril 2014 à 17:34 | Lu 762 fois
Pierre Aimar
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