© La Criée
Animé d'un scrupule analogue, son fiancé Dorante a pris la place de son valet Arlequin. Tandis que le travestissement des maîtres conduit à de violentes crises intérieures avant qu'ils ne jettent le masque, celui des valets ignorant leur commune situation de subordination et se déclarant spontanément leur amour, est l'occasion de scènes profondément comiques. Jusqu'à la révélation finale, le marivaudage permet le jeu compliqué des sentiments, crée un climat de communication ambiguë qui dure jusqu'à ce que la sensibilité parvienne à s'exprimer directement, mais il fournit aussi la démonstration de la supériorité naturelle des maîtres dans l'art du paraître. . .
Galin Stoev qui avait présenté, en février dernier, à la Criée, Danse Delhi d'Ivan Viripaev, dramaturge russe contemporain, met en scène pour les Comédiens Français, ce chef-d'oeuvre de Marivaux. Prenant le texte au sérieux, mais s'avouant gêné, au cours d'un débat avec Françoise Rubellin, spécialiste de la dramaturgie de Marivaux, par l'extrême subtilité de cette langue du XVIIIème siècle qu'il ne percevait pas dans sa traduction bulgare, il met donc l'accent sur l'inversion de la hiérarchie des classes plus que sur la leçon sentimentale de la pièce, en dévoilant de préférence la cruauté d'un renversement social éphémère. Peu attiré par l'univers ludique de la Commedia dell'arte, Galin Stoev se contente de parsemer de quelques intermèdes chorégraphiques burlesques, un jeu de concessions que tentent de négocier des êtres surpris par le désir sous le regard de piliers d'une société avide de conservation, dans un décor sans âme de vérandas à roulettes, meublées de chaises de salle d'attente, devant des panneaux tapissées d'un motif de pastel de fleurs roses et bleues.
Silvia et Dorante vivent ici une véritable crise d'identité dans laquelle chacun se trouve démuni et désorienté. Silvia (Léonie Simaga) a opté pour un look de servante d'hôtel brésilienne très sexy, sur des bottes à talons-aiguilles. Authentique dans le malaise physique qui s'empare d'elle dès que son système de valeurs se trouve bouleversé, elle fait coïncider constamment son discours et son intériorité. Dorante (Alexandre Pavloff) raide, compassé, discret dans son costume noir de cosaque, se décompose et se destructure au fur et à mesure qu'il doit s'exprimer comme Bourguignon. Hypernerveux, surexcité, tourmenté, vociférant mécaniquement, cet homme de quarante ans vit une épreuve douloureuse, à la fois sentimentale et sociale, en faisant dans cette maison bourgeoise, l'expérience de la condition de valet.
Arlequin (Noam Morgenstern)ne joue ni dans la tradition italienne, ni dans le style désinvolte du Français, et campe plutôt un valet hâbleur, rusé dans l'intonation, mais paralysé dans le geste. Lisette (Suliane Brahim) se montre le plus souvent gaie et spirituelle. N'éprouvant aucune difficulté à jouer le rôle de sa maîtresse dans un costume de princesse, elle bouffonne souvent en prenant des poses grotesques de tragédienne, en faisant des gestes emphatiques, ou en se livrant à des mimiques et des contorsions ridicules.
Meneur du jeu, Monsieur Orgon (Gérard Giroudon), toujours revêtu d'une robe de chambre, se montre hautain avec Dorante, mais affectueux avec Arlequin ou Lisette, et père débonnaire avec Silvia. Quant à Mario, le frère de Silvia (Pierre Hancisse), c'est étrangement le clou du spectacle. Technicien déguisé en hippie, versé dans la mécanique, il mesure les ouvertures des portes ou construit des "machines matrimoniales" explosives. Mais chez ce second amoureux qui joue aussi le rôle de rival jaloux, les taquineries ne se caractérisent par aucune méchanceté.
Malheureusement, on atteint le tournant final, la mise à nu du jeu des représentations, en constatant que l'équilibre interne entre l'univers verbal et l'univers gestuel des valets et des maîtres n'est pas respecté par les principaux interprètes sujets à des fautes de goût, et que ce spectacle, si plaisant soit-il, ne donne jamais à partager cet idéal marivaudien de « la diction directe, légèrement voilée, cette espèce de nuage dont l'auteur enveloppe le discours des acteurs pour permettre aux spectateurs de démêler la valeur de ce qu'ils disent ». . .
Philippe Oualid
Galin Stoev qui avait présenté, en février dernier, à la Criée, Danse Delhi d'Ivan Viripaev, dramaturge russe contemporain, met en scène pour les Comédiens Français, ce chef-d'oeuvre de Marivaux. Prenant le texte au sérieux, mais s'avouant gêné, au cours d'un débat avec Françoise Rubellin, spécialiste de la dramaturgie de Marivaux, par l'extrême subtilité de cette langue du XVIIIème siècle qu'il ne percevait pas dans sa traduction bulgare, il met donc l'accent sur l'inversion de la hiérarchie des classes plus que sur la leçon sentimentale de la pièce, en dévoilant de préférence la cruauté d'un renversement social éphémère. Peu attiré par l'univers ludique de la Commedia dell'arte, Galin Stoev se contente de parsemer de quelques intermèdes chorégraphiques burlesques, un jeu de concessions que tentent de négocier des êtres surpris par le désir sous le regard de piliers d'une société avide de conservation, dans un décor sans âme de vérandas à roulettes, meublées de chaises de salle d'attente, devant des panneaux tapissées d'un motif de pastel de fleurs roses et bleues.
Silvia et Dorante vivent ici une véritable crise d'identité dans laquelle chacun se trouve démuni et désorienté. Silvia (Léonie Simaga) a opté pour un look de servante d'hôtel brésilienne très sexy, sur des bottes à talons-aiguilles. Authentique dans le malaise physique qui s'empare d'elle dès que son système de valeurs se trouve bouleversé, elle fait coïncider constamment son discours et son intériorité. Dorante (Alexandre Pavloff) raide, compassé, discret dans son costume noir de cosaque, se décompose et se destructure au fur et à mesure qu'il doit s'exprimer comme Bourguignon. Hypernerveux, surexcité, tourmenté, vociférant mécaniquement, cet homme de quarante ans vit une épreuve douloureuse, à la fois sentimentale et sociale, en faisant dans cette maison bourgeoise, l'expérience de la condition de valet.
Arlequin (Noam Morgenstern)ne joue ni dans la tradition italienne, ni dans le style désinvolte du Français, et campe plutôt un valet hâbleur, rusé dans l'intonation, mais paralysé dans le geste. Lisette (Suliane Brahim) se montre le plus souvent gaie et spirituelle. N'éprouvant aucune difficulté à jouer le rôle de sa maîtresse dans un costume de princesse, elle bouffonne souvent en prenant des poses grotesques de tragédienne, en faisant des gestes emphatiques, ou en se livrant à des mimiques et des contorsions ridicules.
Meneur du jeu, Monsieur Orgon (Gérard Giroudon), toujours revêtu d'une robe de chambre, se montre hautain avec Dorante, mais affectueux avec Arlequin ou Lisette, et père débonnaire avec Silvia. Quant à Mario, le frère de Silvia (Pierre Hancisse), c'est étrangement le clou du spectacle. Technicien déguisé en hippie, versé dans la mécanique, il mesure les ouvertures des portes ou construit des "machines matrimoniales" explosives. Mais chez ce second amoureux qui joue aussi le rôle de rival jaloux, les taquineries ne se caractérisent par aucune méchanceté.
Malheureusement, on atteint le tournant final, la mise à nu du jeu des représentations, en constatant que l'équilibre interne entre l'univers verbal et l'univers gestuel des valets et des maîtres n'est pas respecté par les principaux interprètes sujets à des fautes de goût, et que ce spectacle, si plaisant soit-il, ne donne jamais à partager cet idéal marivaudien de « la diction directe, légèrement voilée, cette espèce de nuage dont l'auteur enveloppe le discours des acteurs pour permettre aux spectateurs de démêler la valeur de ce qu'ils disent ». . .
Philippe Oualid