Le marketing et l'huile de coude au secours de l'Opéra de Montréal. Par Pierre Aimar

En 2005, l'opéra de Montréal affiche un déficit de 2 millions de dollars. La menace de fermeture est imminente pour le 15e plus important opéra sur les 150 que compte l'Amérique du Nord.
2010. La maison est sauvée. Responsable : Pierre Vachon, journaliste musicologue, qui a apporté des méthodes nouvelles pour attirer de nouveaux spectateurs.



Pierre Vachon © Yves Renaud
« La perte de nos abonnés et qui persistent encore, est tout simplement le décès ou la maladie de nos abonnés ». C'est par cette boutade que Pierre Vachon définit la maladie qui a failli emporter l'Opéra de Montréal en 2005.
Il a fallu innover pour construire une nouvelle image de l'opéra tout en bousculant les traditions d'immobilisme qui pétrifient ordinairement un petit monde habitué à vivre sur l'Olympe et fort éloigné de la société ordinaire.

Justement, Pierre Vachon, à sa prise de fonction de la direction Communication et Marketing de l'Opéra de Montréal, a rajouté Education et Projets spéciaux à sa carte de visite. L'ex journaliste de radio spécialisé en musique a convaincu son équipe qu'il fallait descendre dans la rue et "recruter" un par un les nouveaux spectateurs. « Vaste projet », aurait dit Charles de Gaulle s'il eut été encore de ce monde.
Le directeur possède plusieurs cordes à son arc. Musicien, il a étudié le violon au Conservatoire ; pendant une dizaine d'années il a été traducteur. C'est aussi un fin musicologue titulaire d'un doctorat dont sa thèse porte sur Robert Schumann. Il est par la suite recruté par Radio-Canada au sein de laquelle il est animateur culturel.

Faire sortir l'opéra de sa tour d'ivoire
On a longtemps compté sur le seul prestige de l'opéra pour en assurer sa promotion, que ce soit au Québec ou en France. Nathalie Dessay aurait un jour déclaré « Je fais un métier de vieux pour les vieux », phrase terrible qui dessine avec une exquise cruauté la réalité des publics d'opéras. Des vieux qui s'effacent avec une tranquille régularité des listes des abonnés.
La démarche de Pierre Vachon une fois les paramètres définis a été d'appliquer au "produit" opéra les règles classiques du marketing pour le "placer" dans en bonne position parmi la foison d'offres culturelles, de divertissement et de loisirs.

Des karaokés "opéra" dans le métro !
Cela il fallait l'oser. Que le karaoké amuse la foule du samedi soir qui s'essayent à chanter (faux) des chansons de variétés, cela se conçoit. Mais que l'on ose jeter en pâture les grands airs du répertoire pour des karaokés dans les couloirs du métro de Montréal doit faire dresser les cheveux sur la tête des "puristes". Pourtant, dans un passé pas si lointain, une foule de 300 000 personnes chantait le « Va pensiero... » de Nabucco ... dans la rue, lors des obsèques de Verdi. Sacré karaoké.
Juste retour des choses, la foule du métro est séduite par les "amateurs" qui participent aux karaokés organisés par l'Opéra de Montréal. Ira-t-elle à l'Opéra ?

Quatre chanteurs de l'Opéra se produisent au marché Jean-Talon
Plus gonflé, quatre chanteurs de l'Opéra ose chanter en plein marché alors que tout un chacun est occupé à remplir son cabas et à mille lieux des ors d'un opéra. Et ça marche ! Bien sûr, Bizet et Carmen permettent d'emporter l'adhésion de tous et même des plus concentrés sur le prix des salsifis.
Regards amusés, applaudissements, la partie est-elle gagnée ? De nouveaux spectateurs sont-ils acquis à l'Opéra de Montréal ?

Pour Pierre Vachon, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Il faut aller chercher les nouveaux spectateurs les uns après les autres, où qu'ils se trouvent.
En 2010, il faut se battre énormément pour avoir une petite place au soleil car la concurrence "culturelle" ou de loisirs est immense. La personne lambda n'a que l'embarras du choix pour satisfaire sa vie de loisirs. Aux différents loisirs d'être plus attractifs que l'autre.

L'opéra doit combattre un des plus importants handicaps : son image élitiste à laquelle sont accrochés les clichés de belles toilettes et de tenue de soirée pour les hommes. Ce handicap est, dans l'esprit des gens qui ne vont pas à l'opéra, solidement installé. Combien de fois avons-nous affranchi des personnes hésitantes qui nous demandaient : "Comment doit-on s'habiller pour assister à une représentation à l'Opéra ?". Le pire est que nos interlocuteurs étaient des enseignants (certes, français). On imagine facilement ce que peuvent craindre les gens moins instruits.

Changer l'image de l'opéra, aller chercher les jeunes

C'est par des campagnes d'affichages au graphisme très moderne, des actions dans la rue, des partenariats avec des magazines de loisirs plutôt "branchés" jeunes, des projets en milieu scolaire, la création d'opéra par des jeunes (écriture du texte, de la musique, eéalisation des décors et des costumes) et chantés par des jeunes (10-12 ans), que le profil des abonnés s'est rapidement modifié. Et ça paye : chez les 18-30 ans les abonnements ont rapidement progressé de 45 %.

Le Québec, un terreau fertile

"Les artistes internationaux représentent 20 % des artistes programmés dans une saison, fait remarquer Pierre Vachon, et 80 % sont des artistes Québécois de haut-niveau car il y a ici beaucoup d'école de chanteur et donc beaucoup de chanteur de qualité. Notre école de perfectionnement d'art lyrique permet chaque année à 10 à 12 chanteurs de décrocher leur diplôme et surtout de bénéficier d'un engagement de 1 à 3 ans pour jouer des petits rôles."

Conclusion ? L’Opéra de Montréal est aujourd’hui la 15e plus importante maison d’opéra en Amérique du Nord sur 150. Pas mal, non ?
Pierre Aimar


pierre aimar
Mis en ligne le Lundi 11 Octobre 2010 à 23:27 | Lu 1619 fois
pierre aimar
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