Le retour de la conférence, un tableau disparu, Musée Gustave Courbet, Ornans, du 12 décembre 2015 au 18 avril 2016

Une exposition inédite sur une œuvre «scandaleuse» de Gustave Courbet : Le retour de la conférence, un tableau disparu. Caricature, ironie, satire…Et liberté d’expression !


L’exposition-dossier propose une déambulation artistique et chronologique retraçant pour la première fois en détails le parcours tumultueux et encore mystérieux de ce tableau qui aurait été acquis par un catholique exalté pour le détruire vers 1900, date où on en perd sa trace.
À travers près de 60 œuvres et documents jusqu’alors peu étudiés, les préoccupations de Gustave Courbet sur le réalisme, la vérité, l’anticléricalisme, la liberté d’expression, l’emprise du pouvoir religieux sur l’État et l’intransigeance des ultramontains se dévoilent enfin.

L’exposition permet de comprendre l’importance de cette œuvre dans la carrière du peintre et l’impact qu’elle a pu avoir auprès de ses contemporains. Elle évoque aussi le milieu saintongeais que Gustave Courbet fréquente assidûment en 1862 et 1863 et où il réalise la toile.

La réception critique de l’œuvre (elle aurait même été refusée au Salon des refusés) et sa présentation au Salon de Gand en Belgique en 1868, concluent le propos.
Pour la première fois depuis sa disparition, Le Retour de la conférence réapparaît, en agrandissement photo, dans ses dimensions d’origine (2,30 m x 3,30m)…montrant ainsi l’effet saisissant qu’elle a pu provoquer à l’époque.

«Le degré de liberté que nous accorde notre temps…»

Le Retour de la conférence exprime le caractère profondément républicain et anticlérical de Gustave Courbet qui a voulu « savoir » à travers cette œuvre « le degré de liberté que nous accorde notre temps ».
L’artiste, qui jure « de ne jamais peindre, fût-ce grand comme la main, dans le seul but de plaire à quelqu’un ou de vendre », entend prouver avec ce tableau, comme il le clame lui-même, « la férocité de son indépendance et de son individualité ».

Qu’ils soient munis de pinceaux ou de stylos, de nombreux peintres et dessinateurs mettent leur art au service de leurs convictions. À travers Le Retour de la conférence, Gustave Courbet permet d’aborder les questions de satire, de censure et de liberté d’expression, toujours au cœur de l’actualité.
Co-organisée par le musée Courbet et l’Institut Courbet

Le retour de la conférence, un tableau disparu

En 1862, Gustave Courbet compose dans le plus grand secret, en Saintonge, une peinture destinée à créer le scandale, Le Retour de la conférence, qui met en scène des curés rentrant d’une « conférence », réunion de prêtres.
Avec ce « tableau capital » – selon ses propres mots – il s’attaque ouvertement à l’Église catholique et à l’autoritarisme du régime de Napoléon III, dont les artistes subissent les contraintes dans leur liberté d’expression. Courbet écrit lui-même en 1863 : « J’avais voulu savoir le degré de liberté que nous accorde notre temps. ».
L’œuvre n’apparaissant ni au Salon officiel, ni au Salon des Refusés, d’où elle aurait été exclue pour immoralité, Courbet peut donc mettre son programme en action : reproduire et diffuser l’œuvre par tous les moyens existants et s’assurer ainsi un véritable instrument politique contestataire et promotionnel de son art.

L’œuvre connaît une suite de rebondissements dont certains pans demeurent encore incertains aujourd’hui, comme sa disparition au début du XXe siècle, qui serait attribuée à l’acte volontaire d’un fervent catholique.
Le Retour de la conférence divise les opinions, même parmi les amis de Courbet, et sera finalement peu apprécié par la critique de l’époque. La postérité ne s’attardera pas non plus sur cette œuvre dérangeante. Les historiens de l’art l’étudieront peu car perçue davantage comme une caricature ou une satire que comme une œuvre à part entière.
C’est cette histoire méconnue que propose de dévoiler cette exposition, depuis l’élaboration de l’œuvre dans les environs de Saintes, jusqu’à ses expositions publiques à Paris et à Gand en Belgique tout en mettant en évidence les enjeux qui ont pu traverser la création de cette peinture éminemment subversive en son temps.

L’histoire d’un tableau disparu

Dès le mois de décembre 1862, Courbet écrit à Léon Isabey : « Dans ce moment je fais un tableau capital pour l’exposition prochaine. […] C’est le tableau le plus grotesque qu’on n’aura jamais vu en peinture. » Puis, en février 1863, il redoute son refus au Salon : « Je fais un tableau extraordinaire pour l’exposition nouvelle. Comme il ne sera peut-être pas reçu, je n’envoie que celui-là au lieu de trois pour les mettre en demeure de me refuser ou de m’accepter à cette exposition. »
La correspondance met en évidence les stratégies qui animent le peintre. Il précise en février 1863 : « Si on me refuse, on pourra faire voir ce tableau et gagner beaucoup d’argent. »

Courbet affirme : « J’avais fait ce tableau pour qu’il soit refusé. J’ai réussi… ». Mais, aucune archive ne nous permet aujourd’hui de dire qu’il a bien présenté son tableau au jury du Salon de 1863. Certains auteurs prétendent qu’il n’y aurait pas été admis pour cause « d’outrage à la morale religieuse », tout comme il aurait été exclu du Salon des Refusés.
Gustave Courbet concrétise alors son projet : faire reproduire l’œuvre pour mieux la diffuser, l’exposer dans son atelier – où l’on se presse pour la voir –, et organiser sa tournée dans les grandes villes européennes et même au-delà, en Amérique.

Si le projet d’itinérance n’aboutit finalement pas, en 1866, grâce aux éditeurs Alfred Cadart et Jules Luquet, l’œuvre est présentée à New York où elle provoque également le scandale.
En 1868, il envoie le tableau au Salon de Gand, en Belgique, où il est accroché dans un espace distinct avec trois autres œuvres licencieuses.

Conservé par Courbet jusqu’à sa mort, il est vendu pour la première fois lors de la succession de l’artiste, le 9 décembre 1881. Selon Charles Léger, dans le Bulletin de la vie artistique paru en 1920, le tableau réapparaît au début du XXe siècle à la galerie Georges Petit où il est acheté pour être détruit. L’acquéreur : un «financier» se disant heureux d’avoir acheté cette «cochonnerie » pour la détruire, déclare le tableau «infâme, impie et scandaleux».
Les témoignages dont on dispose aujourd’hui sont un dessin, deux esquisses préparatoires (Kunstmuseum de Bâle, Suisse, et collection particulière), des photographies de la peinture originale, des copies d’époque ainsi que des gravures.

Une critique politique

Le 23 avril 1863, Gustave Courbet écrit à Albert de la Fizelière : «J’avais voulu savoir le degré de liberté que nous accorde notre temps. J’avais envoyé un tableau de curés, bien senti : Le Retour de la conférence. Ça correspondait pas mal avec l’insulte que l’empereur m’a faite l’an passé, d’autre part avec ce qui se passe vis-à-vis des cléricaux.»

D’après l’historien de l’art Georges Riat, «l’insulte» évoquée par Courbet serait le rappel de deuxième médaille infligé au peintre au Salon de 1861. Mais Roger Bonniot, autre spécialiste de Courbet, évoque quant à lui l’hypothèse d’une liste de propositions pour la légion d’honneur, dans laquelle Napoléon III aurait rayé le nom de Gustave Courbet.

Concernant les cléricaux, Courbet fait allusion aux luttes politiques qui se déroulent alors en vue des élections législatives de 1863. En effet, le début du Second Empire est marqué par de nombreuses mesures favorables à l’Église catholique telles que l’augmentation du budget des cultes, la construction de nouvelles églises, les cardinaux admis au Sénat…
À partir de la campagne d’Italie en 1859, qui constitue une menace pour le pouvoir temporel du pape, et la progressive libéralisation du régime, ce soutien connaît une désaffection et crée des tensions dans tout le pays. Ainsi, un courant anticlérical se développe à partir de 1860, c’est dans ce contexte que Courbet réalise ce tableau.

L’œuvre constitue également une critique ouverte du Second Empire qui limite la liberté de la presse, de l’opposition politique et celle des artistes, soumis à la censure.
En Franche-Comté, malgré la division politique et religieuse, en particulier dans le Doubs où la région de Montbéliard est protestante et les républicains nombreux à Besançon, le clergé sous le Second Empire est très présent et très actif, son influence « partout sensible, est prépondérante dans les montagnes. » Malgré cela, le tableau amuse quelques religieux franc-comtois : « Un curé a relevé les noms des confrères portraiturés, et il a placé une photographie du Retour de la Conférence, dans sa salle à manger »; ou encore l’archevêque de Besançon : « Pourvu, dit le prélat, en parlant des curés en goguette, pourvu qu’ils ne soient pas ressemblants ! ».

À l’inverse, les Charentes, lieu où Courbet peint Le Retour de la conférence, « forment une région à part, irréligieuse et anticléricale. Le clergé y est très peu nombreux et s’y recrute mal.» D’après des archives de l’époque, «l’indifférence pour le christianisme est complète… L’impiété s’y montre trop souvent à découvert.»

Pratique


Pierre Aimar
Mis en ligne le Lundi 21 Décembre 2015 à 20:49 | Lu 2638 fois
Pierre Aimar
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