Levon Minassian et Nemanja Radulovic, la musique des étoiles à l’Agora du Pays d’Aubagne et de l’Etoile

Le Public du Centre de Congrès du Pays d’Aubagne a ovationné ce samedi 4 mai 2019 la rencontre magique entre le doudouk céleste de Levon Minassian et le violon fou de Nemanja Radulovij. Quelle fabuleuse idée de conjuguer ces deux instruments servis par des musiciens à l’apogée de leur talent dans une même soirée ! De l’extase en musique !


Lévon Minassian et Nemanja Radulovic © DR
Un voyage en « Humanité » : Levon Minassian, la Voix d’un Peuple
Quand l’obscurité se fait, sept musiciens sont sur scène. Lévon Minassian s’avance. L’homme est élégant, souriant, sympathique. C’est le maître incontesté du doudouk, reconnu internationalement.

Place à la magie
Une musique s’élève, unique, évanescente, délicate, divine : une plainte, un chant, le son miraculeux du doudouk, ce merveilleux instrument, hautbois arménien, patrimoine immatériel de l’Humanité. Une émotion étreint le public, nimbée de nostalgie, de douceur, de parfums d’Arménie, de parfum d’abricotier tendre dont est fait l’instrument. Dans la salle pleine à craquer, le silence est absolu. On sent dans l’assistance surprise planer un bonheur indicible. La musique de Lévon Minassian est prodige : c’est la myrrhe qui de l’arbre blessé sèche les larmes, c’est le cinnamone qui répand au loin le parfum de son écorce, c’est l’encens dont s’élève la flamme pure et blanche. Sur scène, en arrière-plan, des photos d’églises enfouies dans la nature rieuse de cette terre au nom araméen. Au loin le mont Ararat veille sur ce peuple millénaire. Ce moment échappe au lieu, au temps, à l’espace : c’est un voyage en humanité. Qu’il fait bon retrouver cette fraternité et s’y laisser porter ! Elle sourd de ces musiciens, de ces mélodies.
Lévon Minassian a dédié ce concert non seulement au génocide arménien du 24 avril 1915, dont ce fut il y a peu l’anniversaire, mais à tous les génocides, à toutes les déshumanités, aux souffrances de tous les peuples, une prière pour le monde.
Ce soir, Lévon Minassian est la voix d’un Peuple, de son peuple. Derrière cette musique et ce plaisir ineffable, il y a une technique admirable et il ne peut y avoir qu’un homme extraordinaire, débordant d’amour pour la communiquer.
Lévon Minassian est né à Marseille, dans le quartier de Saint-Jérôme, où ses grand-parents trouvèrent jadis refuge, entouré d’une famille vivant dans le culte de la musique. En 1992, Lévon Minassian est sollicité par Peter Gabriel pour participer à son album Us puis pour ouvrir en solo les concerts de sa tournée mondiale Secret world live tour. Un coup de projecteur qui va faire de lui un doudouguiste très prisé des grands noms de la variété (Charles Aznavour, Patrick Fiori, Hélène Segara, Christophe Maé, Daniel Lavoie) ainsi que des personnalités de la world music (Sting, I Muvrini, Simon Emerson, Manu Katché). En 1997, il joue à l’Elysée, invité en tant que soliste par le président de la République Jacques Chirac lors de la visite du président Arménien Lévon Ter Pétrossian. En 2003, il est décoré Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par le président Chirac. Levon Minassian a contribué à ce que le doudouk s’inscrive dans les valeurs culturelles universelles, mêlant aux autres instruments du monde ses influences arméniennes à la fois si gaies et si tristes.

Une formation en Harmonie
Lévon Minassian n’est pas seul. Pour honorer le public ce soir, Serge Arribas est au clavier. Partenaire indéfectible de Lévon Minassian, le clavier de Serge Arribas accentue, appuie, magnifie le son du duduk. Le chant qui s’élève est sublimé. Au violoncelle, magnifique, Pierre Nentwig. Anahid Ter Boghossian est au piano et Tigran Ter Stepanyan, venu spécialement d’Arménie, est à la guitare. Michèle Lubicz, venu spécialement de Genève et Jacques Vincensini sont au doudouk et, cerise sur le gâteau, Benoit Gunalons, de l’opéra de Monte Carlo, est au chant. Tous splendides individuellement et collectivement ! Un groupe homogène qui interprète avec brio des morceaux aux noms enchanteurs : Clair de Lune, Berceuse, Davir, Yeras, Avinou Malkenou…
Quand, dans le film bouleversant d’Henri Verneuil 588 Rue Paradis, Agop - magistral Omar Sharif - s’écroule lentement au pied d’un arbre, c’est le souffle de Lévon Minassian au doudouk qui accompagne le vieil homme dans la mort. Poignant ! Jamais il ne m’aura été donné d’éprouver pareille émotion, bien sûr, grâce aux talents conjugué du cinéaste et de l’acteur, mais surtout grâce à la mélodie et au musicien. Pour la petite histoire, c’est Lévon Minassian qui avait appris à Omar Sharif à placer ses doigts sur l’instrument.

Quand dans Mayrig du même Henri Verneuil, Araxi Zakarian (Mayrig) – sublime Claudia Cardinale - dit à son fils Azad : « Je me souviens de ce bal de mes 20 ans, où le temps d'une valse, nous avions effacé la guerre. La lune, indifférente aux consignes de sécurité éclairait la ville interdite de lumières. Je me souviens de ce petit morceau d'or, gravé à mes initiales qui pèse toujours à mon doigt quelques tonnes d'amour », tout est dit.
C’est cela Lévon Minassian : un artiste exceptionnel, modeste, sympathique, la générosité, la musique et l’amour chevillés au cœur.

Deuxième partie fantastique : Nemanja Radulovic et Les Trilles du Diable
On ne présente plus Nemanja Radulovic. Sa renommée est mondiale. Cheveux plus frisés que bouclés, longs, mi-retenus en catogan, de noir vêtu façon gothique rock, le violoniste au sourire ravageur fait une entrée fracassante dans la salle de l’Agora. Je retiens l’ambiance électrique dans le public, le ravissement de chaque instant, de cette virtuosité démentielle, du son prodigieusement beau, plus qu’un son, c’est de voix humaine qu’il s’agit. Une voix qui prend aux tripes et qui peut faire envoler des colombes. Je parlerai de l’enthousiasme des spectateurs, de ce plaisir contagieux qui court dans les rangées, des sourires qui illuminent les visages malgré l’ombre, de la folie collective qui s’empare de chacun quand il doit quitter la scène au milieu des acclamations, trop longtemps retenues, qui montent en chœur vers les musiciens.

Enfant prodige
Nemanja Radulovic est un enfant prodige. Né en 1985, il commence le violon par hasard, à l’âge de sept ans, dans sa ville natale de Niš, dans le sud de la Serbie. Ses parents l’emmènent à une école de musique où l’on découvre qu’il a l’oreille absolue. On lui met alors son premier violon entre les mains et deux semaines plus tard il sidère ses professeurs. Ses parents déménagent à Belgrade, la capitale, pour lui permettre de poursuivre sa formation. Six mois après avoir joué ses premières notes au violon, il fait ses débuts de concertiste dans sa nouvelle école – à sept ans, dans un concerto de Vivaldi. Son premier concours international est à Stresa, en Italie. Il a neuf ans et c’est la première fois qu’il joue du Paganini. À quatorze ans, Nemanja s’installe avec sa famille à Paris où il continue sa formation avec Patrice Fontanarosa. On connait la suite. Il se produit désormais partout dans le monde, dans les salles les plus prestigieuses.
Ce soir, il est accompagné de son groupe auquel il apporte, en sorcier fétiche, une incandescence vibrante : Les Trilles du Diable. Cinq musiciens géniaux : Guillaume Fontanarosa, violon, Frédéric Dessus, violon, Bertrand Caussé, alto, Anne Biragnet, violoncelle, Stanislas Kuchinski, contrebasse. Ils ont emprunté le nom de leur groupe – nous dit Nemanja - à un morceau du compositeur Tartini, où le diable joue une sonate extraordinaire que personne ne peut imiter. Un trille est un terme technique concernant deux notes voisines jouées en accéléré.
Le programme débute par la Toccata de Jean-Sébastien Bach, suivi de Méditation de Tchaikovsky, puis le Scherzo de Brahms.

Spring in Japan
Nemanja Radilovic s’adresse au public pour présenter une pièce tiré de l’album Les 5 saisons. Au retour de leur tournée au Japon en 2011, ils découvrent avec horreur, le lendemain de leur arrivée, les images du terrible tsunami dévastateur. Aleksandar Sedlar compose alors pour lui, Spring in Japan : les cerisiers en fleurs du japon pour une première partie, de l’amour de la douceur, puis les sirènes que l’on entend au violon annonçant le tsunami, la catastrophe et le calme total avant le finale d’une grande virtuosité pour le retour du printemps et de l’espérance. C’est ravissant, bouleversant, impressionnant, un chef-d’œuvre.
Arrive alors la musique du grand Ennio Morricone qui ne pouvait manquer, jouée divinement. Alors s’ouvrent les écluses du mythe, du rêve, de la magie. Je me prends à nouveau, avec Jacques Perrin et Cinema Paradiso, à redécouvrir un bout-à-bout de toutes les séquences interdites qu’Alfredo a consciencieusement collées les unes après les autres. Ces baisers volés qui parcourent un pan de l’histoire du cinéma… Tendresse et mélancolie…

Un final en apothéose
En final de ce concert prestigieux, le doudouk de Lévon Minassian et le violon de Nemanja Radilovic marient leurs accords, emportant dans un même élan l’engouement total du public.

Un moment hors du temps, régénérateur, fédérateur, culturel. Voici ce que nous ont offert les musiciens. Merci aux programmateurs et initiateurs de cet immense évènement. Et Chapeau les artistes !
Danielle Dufour-Verna

Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Mercredi 8 Mai 2019 à 23:18 | Lu 1158 fois
Danielle Dufour-Verna
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