Lohengrin de Wagner à l'Opéra de Marseille : Triomphe absolu pour l'Ortrud de Petra Lang

Un Chevalier au Cygne... sans cygne !
Il est facile de subjuguer les peuples en crise. Il suffit d'arriver au bon moment, enveloppé de mystère au point d'être mystère soi-même, de prononcer les mots qui frappent l'inconscient collectif et la crédulité publique.


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L'homme providentiel devient alors sacré, fondement de son propre pouvoir. Mais il est vrai aussi que la puissance incontrôlable d'un esprit pur et sincère peut suffire à le démasquer : le héros n'était qu'un imposteur ! Il ne lui reste plus alors qu'à sauver la face, le mythe, et à regagner sont château, Montsalvat par exemple, non sans avoir restauré l'unité de l'Etat privé de son héritier direct, de sa légitimité, par la magie sans mystère des intrigues politiques. Lohengrin... Guide de toutes les germanités !
Ces pensées apparaissent avec une clarté persuasive dans la nouvelle production de l'Opéra de Marseille, foisonnante de détails et de symboles. Toute la mise en scène de Louis Désiré (décors et costumes de Diego Mendez Casariego - lumières charbonneuses de Patrick Méeüs) révèle la complexité des conflits qui traversent l'oeuvre, dérangent les équilibres, déchirent les protagonistes avec toujours un beau sens des formes et des noirceurs autant que celui d'un théâtre réfléchi. Richesse souvent négligée de Wagner.

De bout en bout, la direction d'acteurs fait imposer le personnage de Lohengrin par sa puissante lenteur, par sa force spirituelle.
Maître du Jour et de la Nuit, ses apparitions (sans le Cygne traditionnel) plongent les simples mortels et les spectateurs aussi dans des ténèbres que lui seul peut dissiper. Alors nous ne pourrons empêcher Elsa, médiatrice involontaire de la course au pouvoir, de garder les yeux ouverts dans la nuit et de poser les questions trop humaines qui font tomber les masques et rétablissent la paix.
Cette musique de Wagner, aux transparences de cristal, cette beauté d'un jeu aux larmes de verre, l'Orchestre de Marseille sous la direction pleine de poésie lumineuse ou de fougue chevaleresque de Paolo Arrivabeni (et les choeurs donc, immenses !), ont su nous la rendre dans toute sa radieuse intensité.

Dirigés de telle manière sur les plans théâtral et musical, les chanteurs se sont exprimés avec la plus extrême intensité, au-delà des qualités et défauts de leur voix.
L'interprétation de Norbert Ernst dominait au dernier acte un plateau homogène et convaincant. Sa voix claire, mate, incisive par moments, sut nous faire partager la sérénité, l'anxiété, l'amertume du fils de Parsifal.
Barbara Haveman donna à son Elsa une présence toute pleine de contrariété : à la fois vierge obsédée voire hystérique, puis brûlante de passion projetant ses peurs, sa foi et son amour avec sincérité, un tantinet dépassée par les évènements... le tout avec une voix et un timbre d'une grande beauté.
Belle basse forte et chaleureuse de Samuel Youn qui fit d'Henri l'Oiseleur un roi attentif, sévère avec mesure, bienveillant jusqu'à la tendresse. Héraut un peu passe-partout d'Adrian Eröd.
Parfois un rien en difficulté dans le registre aigu, Thomas Gazheli (malade, brûlant de fièvre, le baryton a voulu néanmoins assumer la représentation) offre un Telramund bien contrôlé, ardent, déchiré, trouble, inquiétant et impressionnant de ton, même dans sa veule sincérité.
Encore une fois, c'est la maléfique Ortrud qui rallie tous les suffrages. Les couleurs du mépris, le rire bref, cassant, d'une génialité démoniaque, sorcière qui tient son homme par leurs nuits, proche des matrones noires à la Varnay, Petra Lang touche au grandiose. Avec en prime cette présence géniale qui rend presque insignifiant le silence des autres.
Christian Colombeau

Christian Colombeau
Mis en ligne le Jeudi 3 Mai 2018 à 11:01 | Lu 1975 fois
Christian Colombeau
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