Lucio Silla dans tous ses états à l'opéra de Nice. Par Christian Colombeau

Au cœur d'une dictature très "jet set".
Avouons-le bien bas. C’est en traînant les pieds que nous nous rendions à l’Opéra de Nice pour découvrir ce Lucio Silla, écrit par un Mozart de dix-sept ans.


L'art et la manière de décaper Mozart

© Dominique Jaussein
Bien sûr, on savait que ça et là la musique était divine, certes moins complexe que ne le sera celle des grands ouvrages postérieurs avec toutefois quelques belles véhémences. Qu’il y avait aussi dans cette partition des airs miraculeux qui tiennent parfois de l’exercice de virtuose pour salle de concert…
Mais on savait également, qu’en voulant respecter les règles de son temps (l’ouvrage a été crée à Milan en 1773), le génie précoce se montrait également soucieux de les respecter. Avec cette complaisance dans des récitatifs écrits au kilomètre, parfois réthoriques, s’ouvrant sur des airs certes d’une beauté esthétique irréfutable mais interminables et statiques. Le chœur moins sollicité par exemple que dans Idoménée fait lui preuve d’une bien piètre vitalité.
Et puis, et puis… Que faire, que dire après les approches d’un Ponnelle (Zurich 1980) ou d’un Chéreau (Milan 1984) qui restent encore dans toutes les mémoires ?
En réécrivant à sa manière la dramaturgie de l’ouvrage, Dieter Kiegi nous plonge au cœur d’une dictature romaine très jet-set, habillée chic dans de luxueux costumes sortis d’un défilé de haute couture, évoluant dans un décorum modern style, entre Philippe Stark et Galerie d’Art Moderne. Comme pour mieux montrer les personnages dans leur complexité humaine, dans leur difficulté à s’assumer. Et nous les rendre modernes.
A la cour glamour de ce Lucio Silla, intrigues, complots, sont déshabillés de leur surcharge baroquisante. Dans un théâtre de vie quotidienne, les personnages s’affrontent dans une impossibilité à s’assumer, une impuissance de bonheur, un aveu de douleur. Telle une tragique télé-réalité aux éclairages consommés, qui d’un coup nous rend ces pantins ambitieux ou fébriles ô combien pitoyables… mais humains, tellement humains…
Les six chanteurs engagés pour l’occasion sont, avec des bonheurs divers, au-dessus de tout éloge. Leur performance d’acteurs ferait presque oublier certaines failles techniques.
Daniela Bruera (Giunia) caracole sur ses notes stratosphériques avec une élégance rare. Son mari Cecilio (Christine Knorren) est d’une vibrante émotion, surtout dans les bouleversantes déchirures ultimes.
Brigitte Hool campe une Célia frondeuse, inhabituellement primesautière et l’épisodique Aufidio du coréen Min Seok Kim qui restera une jolie révélation manque d’un soupçon de vraie italianité.
Matthias Klink, un spécialiste du rôle titre, ne semble guère gêné par la tessiture peu confortable écrite par le compositeur. Une noblesse naturelle, un peu trop naturellement méchant (car porté sur la Dive Bouteille ?), un rien de morgue pathétique, ce n’est pas sans soulagement qu’on le voit rendre le pouvoir.
Dans la fosse, Guido J. Rumstadt épouse l’esprit de l’œuvre et la vision imposée par le metteur en scène. Une souplesse féline, une réjouissante urgence dans les soporifiques récitatifs, une agressivité, du relief, un certain éclat. Il fallait bien cela pour faire passer cette pilule mozartienne qui nous trimbale des ors et fastes des palais de la république aux sombres catacombes romaines. Avec Happy End téléphoné comme dans la Clémence de Titus. Toute ressemblance avec…
Christian Colombeau
21 février 2010

manricot@gmail.com
Mis en ligne le Lundi 22 Février 2010 à 04:44 | Lu 1845 fois
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