Macbeth de Verdi clôt dans le sang la saison de l’Opéra de Marseille, par Christian Colombeau, juin 2016

Un Shakespeare sauce italienne dont on ne se lasse pas


© Christian Dresse
Un Shakespeare sauce italienne dont on ne se lasse pas

Créé en 1847, Macbeth peut être considéré, à juste titre, comme le premier vrai triomphe, premier vrai chef d’oeuvre de Verdi. L’ouvrage d’ailleurs demeure unique dans son style, sa manière.
Charnière entre les formes traditionnelles de l’opéra et un nouveau théâtre lyrique beaucoup plus violent et plus intense dans l’expression, il faut y voir une synthèse extraordinaire entre le bel canto de virtuosité et la déclamation lyrique dans le cadre d’une unité esthétique absolue, notre compositeur se montrant d’une fidélité absolue au drame de Shakespeare.
Pour la première fois, un livret d’opéra n’est pas adapté, mais suit fidèlement, presque à la lettre, l’action. Le résultat ? Du Shakespeare qui devient du Verdi à travers le prisme du romantisme italien. Les fioritures d’un chant orné particulièrement somptueux n’affaiblissent à aucun moment l’impact dramatique d’une des tragédies les plus sanglantes du répertoire.

Le sympathique et courageux Maurice Xiberras vient encore une fois de frapper dans le mille avec son ultime spectacle de saison.
Volons à l’essentiel. La mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia est un modèle de vitalité scénique, de respect du texte et des notes, et offre une messe noire, brumeuse, sanguinolente, un cauchemar des ambitions de tous les instants.
Il se tire habilement de la scène des sorcières en situant leurs « apparitions » dans une sorte de maison-close ou asile psychiatrique, et donne aux scènes de foule une vérité théâtrale rare.

Intemporels dans leur luxe et originalité les costumes Renaissance des sœurs Leterrier, évocateurs au mieux les décors de Jacques Gabel, angoissants et poisseux, à l’image du drame, les éclairages de Roberto Venturi….
On le sait, cet opéra, plein de bruit, de silences assassins, de fureur, se distingue essentiellement par son rôle féminin. Si dans la pièce les deux personnages sont d’importance équivalente, dans l’opéra, Lady Macbeth devient le cerveau, son époux un simple exécutant.
Outre la personnalité terrible qu’il faut pour incarner une tel personnage, la partition de la Bloody Lady pose des problèmes vocaux et techniques considérables.
Il s’agit là d’une partie de coloratura dramatique, unissant agilité et vaillance. Diaboliques aussi les contre-ut puis le ré aigu… Mixez le tout dans les costume d’une Lilith, créature du Démon, double négatif de son homme, pitoyable agent de perdition auquel celui-ci est lié, on peut facilement l’imaginer, par des nuits érotiques torrides.

Csilla Boross et Juan Jésus Rodriguez forment un couple exemplaire, un miracle d’équilibre, de justesse, de vérité dramatique.
La première, sensuelle, inquiétante, envoûtante, dévorante. Voilà une femme dont la démesure est le reflet d’un irrépressible désir, et dont la paranoïa s’alimente d’hystérie. Du point de vue du chant pur, les fioritures du Brindisi sont intergalactiques, comme celles de la cabalette qui conclut l’air d’entrée. Chapeau bas également devant la parfaite maîtrise de la dynamique dans le cantabile expressif de la scène de somnambulisme.
Une interprétation moderne, que l’individualité du timbre rend encore plus saisissante.

Le baryton madrilène, beau comme un Christ de Passion, torturé, manipulé, tourmenté, écrasé par la démence de ses actes mais finalement attachant dans son irresponsabilité, ne fait jamais passer le bel canto avant la caractérisation de son pitoyable personnage.
Son solo du dernier acte compte parmi les grands numéros de chant qu’il nous a été donné d’entendre depuis belle lurette.

Face à ces forces lucifériennes, Wojtek Smilek fait une impressionnante apparition dans le court rôle de Banquo et le ténor français Stanislas de Barbeyrac resplendit en fin de soirée de cette aura lumineuse du héros salvateur, malicieusement prêt lui aussi à devenir un dictateur…
Belle présence des seconds couteaux, avec, on ne s’en lasse pas, Jean-Marie Delpas, véritable Fregoli du lyrique, percutant et toujours fort bien en place.
Avec des masses chorales remarquables d’étoffe et de coloris, l’Orchestre phocéen, dans une tension insoutenable, alternant nervosité et vigueur, déploie, dans un climat tantôt tragique, tantôt fantastique, cette fresque musicalement terrible et s’irise, sous la baguette minutieuse et passionnée de Pinchas Steinberg, de mille couleurs glauques qui donnent le vertige et glacent le sang.

Photos : Christian Dresse

Christian Colombeau
Mis en ligne le Mercredi 8 Juin 2016 à 11:08 | Lu 488 fois
Christian Colombeau
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