Irving Penn, Jean Giono, Élise Giono et Lucien Jacques au Paraïs, Manosque, 1957. Tirage de travail offert à Jean Giono par le photographe. Association des Amis de Jean Giono © The Irving Penn Foundation
Poète revenu des charniers de la Première Guerre mondiale, Giono s’est en effet autant attaché à décrire la profondeur du Mal qu’à en trouver les antidotes : création, travail, pacifisme, amitié des peintres, refuge dans la nature, évasion dans l’imaginaire.
Pour donner chair à l’un des artistes les plus prolifique du XXe siècle, la quasi- totalité de ses manuscrits, exposée pour la première fois, entre en dialogue avec près de 300 œuvres et documents : archives familiales et administratives (dont celles de ses deux emprisonnements), correspondances, reportages photographiques, éditions originales, entretiens filmés, ainsi que tous les carnets de travail de l’écrivain, le manuscrit des dernières semaines de son Journal de l’Occupation, les films réalisés par lui ou qu’il a produits et scénarisés, les adaptations cinématographiques de son œuvre par Marcel Pagnol et Jean-Paul Rappeneau, les peintures naïves du mystérieux Charles- Frédéric Brun qui lui inspira Le Déserteur, et les tableaux de ses amis peintres, au premier rang desquels Bernard Buffet.
Ces traces matérielles de la vie et de la création sont redoublées par l’évocation symbolique d’expériences matricielles de l’œuvre, confiée à quatre artistes contemporains. Celle de Giono simple soldat perdu dans le fracas de la guerre (sans laquelle on ne peut comprendre ni les livres, ni l’engagement pacifiste, ni les emprisonnements et polémiques politiques qui scandent et obscurcissent son parcours) ouvre logiquement l’exposition avec une installation de Jean-Jacques Lebel. Vient ensuite une Provence incarnée loin des clichés folkloriques, à travers les œuvres de l’artiste Thu Van Tran et du cinéaste Alessandro Comodin. Enfin, la plasticienne Clémentine Mélois revisite la bibliothèque de Giono, ce lieu de liberté et de respiration, au cœur de sa vie comme de l’exposition.
De nombreux prêteurs publics et privés sont associés à ce projet, parmi lesquels on peut citer la succession Giono, l’association des Amis de Jean Giono, la Bibliothèque nationale de France, la Ville de Manosque, les Archives de la justice militaire, les Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, la RMN (fonds Freund) et l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine, l’INA, le fonds de dotation Bernard Buffet, la Beinecke Library de l’université de Yale, la bibliothèque de Princeton, le musée des Beaux-Arts de Sion.
Le Mucem, sur la suggestion initiale du président de la très active association des Amis de Jean Giono, Jacques Mény, s’est, avec enthousiasme, lancé dans la tâche de réaliser une exposition à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa disparition, en octobre 1970.
Cette initiative se devait de se déployer à l’échelle régionale, et en particulier dans le pays de Manosque.
Non pas que Marseille soit illégitime pour évoquer Giono, l’écrivain l’aimait à sa manière. Les lecteurs de Noé savent qu’il s’agit d’un des plus beaux livres jamais écrits sur la cité phocéenne. Giono en aimait des lieux inattendus, la rue de Rome et même le fort Saint-Nicolas (juste en face du Mucem), dont il admirait la « belle arête de proue », bien qu’il y ait été emprisonné en 1939, après la déclaration de guerre.
L’année Giono s’ouvre donc fin octobre à Marseille et se poursuivra dans la Région Sud, avant de connaître une conclusion à Paris, avec un grand colloque à la Bibliothèque nationale de France. Cette année ne néglige pas le fidèle Lucien Jacques qui sera à l’honneur au musée Regards de Provence, en face du Mucem, une année qui mobilise tous les acteurs du cinéma, de la littérature, du spectacle vivant qui ont chacun « leur » Giono.
Les partenaires sont trop nombreux pour les citer tous, l’organisation de cette année bénéficie des concours de la Ville de Manosque et de la DLVA (Durance Lubéron Verdon Agglomération) et de la Région Sud, Provence-Alpes-Côte d’Azur.
L’année n’aurait pu être organisée sans l’appui de Sylvie Durbet-Giono. Elle bénéficie de la complicité des éditions Gallimard.
Lorsqu’il s’agit d’un écrivain aussi complexe et aussi populaire que Giono, l’attente porte à peu près sur tous les aspects de sa vie. On est avide de renseignements et d’anecdotes. On veut des détails sur l’enfance, la vie amoureuse, les opinions politiques. On aime connaître le bureau, le papier et la pipe.
Emmanuelle Lambert, la commissaire de l’exposition, a relevé le défi principal, surtout avec Giono qui n’aimait rien tant que brouiller les pistes : donner à voir l’œuvre.
Pour donner chair à l’un des artistes les plus prolifique du XXe siècle, la quasi- totalité de ses manuscrits, exposée pour la première fois, entre en dialogue avec près de 300 œuvres et documents : archives familiales et administratives (dont celles de ses deux emprisonnements), correspondances, reportages photographiques, éditions originales, entretiens filmés, ainsi que tous les carnets de travail de l’écrivain, le manuscrit des dernières semaines de son Journal de l’Occupation, les films réalisés par lui ou qu’il a produits et scénarisés, les adaptations cinématographiques de son œuvre par Marcel Pagnol et Jean-Paul Rappeneau, les peintures naïves du mystérieux Charles- Frédéric Brun qui lui inspira Le Déserteur, et les tableaux de ses amis peintres, au premier rang desquels Bernard Buffet.
Ces traces matérielles de la vie et de la création sont redoublées par l’évocation symbolique d’expériences matricielles de l’œuvre, confiée à quatre artistes contemporains. Celle de Giono simple soldat perdu dans le fracas de la guerre (sans laquelle on ne peut comprendre ni les livres, ni l’engagement pacifiste, ni les emprisonnements et polémiques politiques qui scandent et obscurcissent son parcours) ouvre logiquement l’exposition avec une installation de Jean-Jacques Lebel. Vient ensuite une Provence incarnée loin des clichés folkloriques, à travers les œuvres de l’artiste Thu Van Tran et du cinéaste Alessandro Comodin. Enfin, la plasticienne Clémentine Mélois revisite la bibliothèque de Giono, ce lieu de liberté et de respiration, au cœur de sa vie comme de l’exposition.
De nombreux prêteurs publics et privés sont associés à ce projet, parmi lesquels on peut citer la succession Giono, l’association des Amis de Jean Giono, la Bibliothèque nationale de France, la Ville de Manosque, les Archives de la justice militaire, les Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, la RMN (fonds Freund) et l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine, l’INA, le fonds de dotation Bernard Buffet, la Beinecke Library de l’université de Yale, la bibliothèque de Princeton, le musée des Beaux-Arts de Sion.
Le Mucem, sur la suggestion initiale du président de la très active association des Amis de Jean Giono, Jacques Mény, s’est, avec enthousiasme, lancé dans la tâche de réaliser une exposition à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa disparition, en octobre 1970.
Cette initiative se devait de se déployer à l’échelle régionale, et en particulier dans le pays de Manosque.
Non pas que Marseille soit illégitime pour évoquer Giono, l’écrivain l’aimait à sa manière. Les lecteurs de Noé savent qu’il s’agit d’un des plus beaux livres jamais écrits sur la cité phocéenne. Giono en aimait des lieux inattendus, la rue de Rome et même le fort Saint-Nicolas (juste en face du Mucem), dont il admirait la « belle arête de proue », bien qu’il y ait été emprisonné en 1939, après la déclaration de guerre.
L’année Giono s’ouvre donc fin octobre à Marseille et se poursuivra dans la Région Sud, avant de connaître une conclusion à Paris, avec un grand colloque à la Bibliothèque nationale de France. Cette année ne néglige pas le fidèle Lucien Jacques qui sera à l’honneur au musée Regards de Provence, en face du Mucem, une année qui mobilise tous les acteurs du cinéma, de la littérature, du spectacle vivant qui ont chacun « leur » Giono.
Les partenaires sont trop nombreux pour les citer tous, l’organisation de cette année bénéficie des concours de la Ville de Manosque et de la DLVA (Durance Lubéron Verdon Agglomération) et de la Région Sud, Provence-Alpes-Côte d’Azur.
L’année n’aurait pu être organisée sans l’appui de Sylvie Durbet-Giono. Elle bénéficie de la complicité des éditions Gallimard.
Lorsqu’il s’agit d’un écrivain aussi complexe et aussi populaire que Giono, l’attente porte à peu près sur tous les aspects de sa vie. On est avide de renseignements et d’anecdotes. On veut des détails sur l’enfance, la vie amoureuse, les opinions politiques. On aime connaître le bureau, le papier et la pipe.
Emmanuelle Lambert, la commissaire de l’exposition, a relevé le défi principal, surtout avec Giono qui n’aimait rien tant que brouiller les pistes : donner à voir l’œuvre.
Entretien avec Emmanuelle Lambert, commissaire de l’exposition
« Giono pose en réalité un regard extrêmement noir sur le monde. »
Comment avez-vous abordé ce projet d’exposition ?
Tandis que vous relisiez l’intégrale de son œuvre, votre vision de Giono a-t-elle évolué ?
Comment expose-t-on une œuvre littéraire ?
La première section s’intéresse au parcours de Jean Giono de la Première à la Seconde Guerre mondiale, en passant par Pagnol et le Contadour…
Pour illustrer ce « cauchemar », la deuxième section s’ouvre par une série de tableaux de Bernard Buffet…
Il a caché des Juifs, tout en écrivant dans des journaux collaborationnistes… Comment juger du « cas » Giono durant l’Occupation ?
De quelle façon allez-vous évoquer cela dans l’exposition ?
La dernière partie de l’exposition marque une certaine rupture avec tout ce qui a précédé…
Comment avez-vous abordé ce projet d’exposition ?
- Ma particularité, c’est que je suis écrivaine. C’est-à-dire que mon approche est différente de celle d’un conservateur ou d’un universitaire. Je ne suis pas une spécialiste de Giono, j’en suis une lectrice. Heureusement, j’ai bénéficié de l’aide précieuse de Jacques Mény, le président de l’association des Amis de Jean Giono, qui est le conseiller scientifique de l’exposition.
Pour ce projet, j’ai dû me replonger dans l’intégrale de son œuvre. Ce qui n’est pas de tout repos ! Giono, c’est huit tomes de Pléiade (et encore, tout n’est pas dedans). Il existe peu d’écrivains français aussi prolifiques. Ce fut donc la première difficulté : effectuer un travail de synthèse afin que les visiteurs de l’exposition ne soient pas noyés dans toute cette production.
La deuxième chose qui m’a décontenancée, c’est que, lorsque j’ai commencé à sonder mon entourage, je me suis aperçue que tout le monde « connaissait » Giono, tout le monde avait sa petite idée sur lui… Même si la plupart ne connaissent qu’un aspect de son œuvre. Pour certains, ce sera Le Hussard sur le toit (notamment grâce au film de Rappeneau), pour d’autres, les films de Pagnol, et pour d’autres encore, ce qu’on a appelé « le Contadour », ce moment où Giono, qui rêvait à un retour à une société rurale, organise avec ses amis des réunions annuelles dans les hauts plateaux provençaux (certains y voient d’ailleurs une sorte de retraite proto-écolo). Bref, beaucoup de monde avait un morceau de Giono, mais peu en avait la totalité. On en revient à ce que je soulignais plus haut : il a tellement produit qu’il devient assez difficile d’avoir une vision globale de l’écrivain.
Tandis que vous relisiez l’intégrale de son œuvre, votre vision de Giono a-t-elle évolué ?
- Ce fut ma troisième surprise. J’avais le souvenir d’un Giono lumineux, d’un auteur extrêmement solaire, massif, avec une présence forte de la nature, des sentiments, des histoires d’amour et de trahisons… En le relisant, j’ai perçu une chose qui m’avait échappé à la première lecture : Giono pose en réalité un regard extrêmement noir sur le monde.
Je m’attendais donc à retrouver un être de lumière, et je le retrouve carbonisé. Cela s’explique par un fait que l’on oublie parfois : il fut un vétéran de la guerre de 1914-1918. On ne peut pas comprendre ce qui traverse l’œuvre de Giono, ni ses engagements publics, son pacifisme des années trente et son comportement au moment de l’Occupation notamment, si l’on ne tient pas compte de son expérience de la guerre.
Comment expose-t-on une œuvre littéraire ?
- Lorsqu’on fait une exposition sur un écrivain, la difficulté, c’est qu’on expose ce qui n’est pas exposable, c’est-à-dire le style. C’est le style qui constitue l’écrivain. Le recours aux citations ou aux panneaux de textes, ça ne suffit pas ; il faut aller au-delà, vers l’art par exemple.
L’exposition marche toujours sur deux jambes : avec, d’un côté, le fil de la chronologie qui va fidèlement dérouler le cheminement de son œuvre, et puis de l’autre, des choses de l’ordre de l’évocation, de l’interprétation, du surgissement. Au lieu de commencer l’exposition par l’enfance du petit Giono, celle-ci s’ouvre donc avec une installation sur la guerre de 1914-1918. Il en va ainsi pour les trois sections de l’exposition, qui non seulement sont toutes ouvertes par une salle dédiée à des œuvres d’art, mais accueillent également des commandes d’artistes évoquant ce qu’on ne peut montrer littéralement, la symbolique de l’œuvre.
Tout au long du parcours, nous présentons les manuscrits de Giono. L’un des principes de l’ex- position est de « fétichiser » le manuscrit, le présenter comme un petit objet merveilleux. Giono lui-même en prenait d’ailleurs grand soin, et appréciait la beauté graphique de son écriture.
Nous avons pu réunir presque la totalité de ses manuscrits, ce qui est assez rare dans ce type d’exposition sur un écrivain. Nous allons aussi présenter un grand nombre de documents, soit tout ce qui permet de contextualiser l’écriture : carnets, photos de famille, entretiens filmés, photos de tournage, presse, tracts, correspondances, etc. Sylvie Giono, la fille cadette de Jean Giono, nous a ouvert l’ensemble des archives familiales, qui constitue un corpus extraordinairement fourni.
La première section s’intéresse au parcours de Jean Giono de la Première à la Seconde Guerre mondiale, en passant par Pagnol et le Contadour…
- Comme je le disais, l’exposition s’ouvre avec une installation sur la guerre de 1914-1918 commandée à l’artiste Jean-Jacques Lebel, qui collectionne l’art des tranchées depuis fort longtemps. Les poilus vivaient dans la boue, les maladies, les poux, les excréments. Pour se sortir de cette horreur, ils faisaient de l’art. Une démarche semblable à celle de Giono qui, pour « sortir » de cette abomination que fut la guerre de 14, avait, de la même manière, eu recours à l’art.
Dans cette première partie, nous verrons aussi des extraits des adaptations par Marcel Pagnol. Giono n’a pas aimé la manière dont Pagnol a adapté ses livres. Je crois d’ailleurs que le malentendu que j’évoquais plus haut – le Giono solaire – est en grande partie dû à Pagnol. Quand on relit Giono, on se rend compte que les films sont bien différents des livres : Pagnol choisit d’aller vers le théâtre, dans une dramaturgie provençale, alors que Giono se référait plutôt à l’universel, à la tragédie. Il y a là un décalage évident, malgré la grande beauté des films de Pagnol.
Après la salle Pagnol, on entre dans la salle consacrée au pacifisme et à l’expérience du Contadour, qui accueille, en réponse à ce que nous évoquions plus haut, une installation de l’artiste Thu Van Tran consacrée à la couleur de la Provence. C’est une manière d’évoquer la Provence abstraite- ment, en s’élevant au-dessus de la représentation littérale, de même que Giono élevait la Provence qui l’entourait à la Grèce ancienne.
Cette salle est donc consacrée au Giono militant dans les années trente. Après 1914-1918, qui fut la première guerre industrielle, Giono a identifié son ennemi : le progrès, l’industrialisation, l’abandon de la vie rurale et des traditions. Il prône donc un retour aux économies locales, un rejet de l’argent – il dit que « la poésie c’est la gratuité » –, mais aussi le pacifisme. Giono fut un grand pacifiste. Nous sommes ici à la fin des années trente, et on sent bien que la guerre pourrait revenir. Il s’engage, milite, publie des essais… Et la guerre éclate. Pour Giono, la rupture sera très brutale. Non seulement, c’est le retour du « cauchemar », mais en plus, il va aller en prison (au fort Saint-Nicolas, juste en face du Mucem !) pour diffusion de tracts pacifistes, ce qui en temps de guerre est absolument interdit. On finira par le libérer rapidement, mais c’est le moment où tout s’effondre pour lui. Comme si la réalité lui retombait dessus.
Pour illustrer ce « cauchemar », la deuxième section s’ouvre par une série de tableaux de Bernard Buffet…
- Une série de tableaux proprement terrifiants, présentés dans une salle entière. Bernard Buffet a rencontré Giono alors qu’il était le compagnon de Pierre Bergé. Il fut très impressionné – et formé – par le pacifisme de Giono. Les œuvres exposées illustrent parfaitement la thématique de cette deuxième section, « le poète aux Enfers ». De la même manière qu’Orphée, dans les tableaux de Buffet, descend aux Enfers, dans cette salle, c’est Giono qui retombe en enfer.
Il a caché des Juifs, tout en écrivant dans des journaux collaborationnistes… Comment juger du « cas » Giono durant l’Occupation ?
- Il s’agit d’une affaire extrêmement sensible et compliquée, que nous allons essayer de présenter dans toute sa complexité. D’abord, Giono ne s’opposait pas à Pétain : la Révolution nationale n’était pas si éloignée de son désir de retour à la terre ! Mais s’il aurait très bien pu devenir l’écrivain officiel du régime, il ne l’a pas fait, il a d’abord gardé une certaine prudence. Cependant, lorsque la France commence à entrer dans une collaboration de plus en plus poussée avec l’occupant, Giono fréquente des gens vraiment peu fréquentables. Il pré-publie son roman Deux cavaliers de l’orage dans La Gerbe, un journal collaborationniste franchement antisémite et pronazi. Et il ne s’agit pas d’une seule fois : Giono va faire plusieurs livraisons à La Gerbe. Était-ce pour des raisons financières ? En effet, il lui fallait travailler.
En 1943 est publié un grand reportage sur Giono dans Signal, qui était alors une sorte de Paris Match de la Wehrmacht. Cela lui vaudra une bombe déposée devant chez lui par la Résistance locale – où, d’ailleurs, il avait aussi des amis, car il fréquentait les communistes dans les années trente.
Ajoutez à cela qu’en 1937, il a écrit dans les Cahiers du Contadour : « Je préfère être un Allemand vivant qu’un Français mort. » Une phrase que l’on ne peut comprendre si on la sort de son contexte. Nous étions alors avant la guerre et Giono, pacifiste radical, refusait la guerre, quel que soit le prix de ce refus.
Enfin, dans son Journal de l’Occupation (publié seulement en 1995) on peut le voir exprimer un certain détachement, voire un désintérêt, pour le sort des Juifs. Il écrit pourtant cela en 1943, alors que les premières déportations avaient commencé depuis plusieurs mois.
Tout cela constitue des morceaux isolés d’une histoire compliquée. Car au même moment, il cache des gens chez lui. Dont des Juifs et des jeunes voulant échapper au STO. Ce qu’il ne dira pas. Après-guerre, il aurait pu raconter tout cela dans une grande tribune dans la presse, mais il ne le fait pas. Là encore, c’est son pacifisme qui parle. Pour lui, Résistance et Occupation sont des forces sanguinaires : une équivalence qui, aujourd’hui, choque énormément.
À la fin de la guerre, on le remet donc en prison. Il en ressortira blanchi, notamment grâce aux témoignages des gens qu’il avait cachés. Selon des historiens et des spécialistes de l’œuvre, il semble que ses amis de la Résistance l’aient exfiltré de Manosque pour le mettre dans un centre de détention afin de le protéger des règlements de comptes qui ont suivi la Libération.
De quelle façon allez-vous évoquer cela dans l’exposition ?
- Nous allons montrer ce qui s’appelle dans l’exposition « le dossier Giono ». Avec les éléments à charge et les éléments à décharge : enquête, témoignages, documents… L’intégralité de la publication dans La Gerbe est par exemple exposée, ainsi que le fameux reportage dans Signal. Également, les documents relatifs à son arrestation à la Libération, et le dossier des témoignages en sa faveur, le tout en regard d’une installation déployant les derniers mois de son Journal de l’Occupation : ceux où Giono sent le piège se refermer sur lui, et sait qu’il va être arrêté.
Malgré tout cela, pourtant, la vie continue. La deuxième section de l’exposition est conçue en diptyque afin de contrebalancer l’extrême noirceur de la partie sur l’Occupation. Elle présente ainsi les seuls remèdes dont disposait Giono face au désespoir de la guerre : la lecture et l’écriture. Pour la lecture, une installation d’art contemporain de l’artiste Clémentine Mélois, qui travaille sur « l’objet-livre » en articulant la culture savante et la culture populaire. Ce qui correspond bien à Giono, qui avait une culture prodigieuse, mais qui reste un écrivain populaire, ancré dans son territoire. Dans son installation, Clémentine Mélois propose une évocation de la bibliothèque de Giono, c’est-à-dire, non pas la vraie bibliothèque, mais ce qu’elle perçoit de l’intimité de la lecture, ainsi que des œuvres d’art que Giono aimait, et qu’il avait connues dans les livres. C’est important, car Giono s’est nourri des autres. Il a même traduit Moby Dick d’Herman Melville, avec Lucien Jacques et leur amie anglaise Joan Smith.
Pour l’écriture, nous allons aussi évoquer Giono retiré chez lui, dans sa place forte : son cabinet de travail. Avec tous ses carnets, ainsi que les tableaux offerts par ses nombreux amis peintres.
La dernière partie de l’exposition marque une certaine rupture avec tout ce qui a précédé…
- Giono ne sera plus le même après la guerre. Il délaisse ce qui avait fait son succès – cet engage- ment presque naïf pour le pacifisme ou pour une « écologie » avant la lettre. Il va complètement abandonner la politique pour réinventer son œuvre. Afin de marquer clairement cette rupture dans l’exposition, nous allons la rendre sensible à travers une scénographie totalement renouvelée par rapport aux deux autres sections.
En introduction, nous présentons des tableaux d’un peintre peu connu, assez mystérieux, Charles- Frédéric Brun, à qui Giono a consacré un livre nommé Le Déserteur. Brun peignait des petites icônes dans lesquelles les vies de saints étaient jouées par des paysans. Ce qui n’est pas sans lien avec ce que Giono a pu faire dans la première partie de son œuvre. Et qui illustre bien la fuite qui fut la sienne : à la sortie de la guerre, Giono, lui aussi, déserte le terrain.
Nous présentons ensuite ses œuvres les plus célèbres, car les plus proches de nous, à travers trois grands fils : le cycle du Hussard sur le toit, celui des Chroniques (avec notamment Un roi sans divertissement) et le cinéma (avec les films qu’il a réalisés ou dont il a supervisé les adaptations). Au milieu de tout cela, nous verrons le fruit d’une commande passée au cinéaste italien Alessandro Comodin (sélectionné deux fois au Festival de Cannes, Léopard d’or au Festival de Locarno), qui est allé dans les hauts plateaux provençaux voir ce qu’il restait aujourd’hui des paysages et des hommes et femmes évoqués par Giono. L’exposition se termine par un très beau film d’animation, L’Homme qui plantait des arbres, inspiré d’une superbe nouvelle de Giono. Une façon de conclure l’exposition de façon ouverte, en faisant germer une graine de curiosité dans l’esprit du visiteur.
Informations pratiques
Réservations et renseignements
04 84 35 13 13 de 9h à 18h 7j / 7
reservation@mucem.org / mucem.org
Tarifs
Billets Mucem
Expositions permanentes et temporaires
9,5 € / 5 € (valable pour la journée)
Un billet couplé pour visiter les expositions « Giono » et « Lucien Jacques, le sourcier de Giono » est proposé au prix de 11 € (tarif plein seulement)
04 84 35 13 13 de 9h à 18h 7j / 7
reservation@mucem.org / mucem.org
Tarifs
Billets Mucem
Expositions permanentes et temporaires
9,5 € / 5 € (valable pour la journée)
Un billet couplé pour visiter les expositions « Giono » et « Lucien Jacques, le sourcier de Giono » est proposé au prix de 11 € (tarif plein seulement)