Leo Nucci, dieu vivant du bel canto, toujours au sommet
Après le décès de son épouse et de ses deux enfants, le jeune Verdi avait juré de ne plus jamais écrire une seule note de musique. Tout change au milieu de l’année 1841. L’impressionnant livret de Temistocle Solera lui tombe entre les mains, et l’impresario de l’époque de la Scala de Milan mise encore tous ses espoirs sur le jeune et talentueux compositeur.
Nabucco sera donc l’opéra de sa grande résurrection. La première a lieu le 9 mars 1842 et offre au prometteur musicien un incroyable succès immédiat.
Sa musique s’inspire des idéaux de l’indépendance nationale et d’un état Italien unitaire. L’ultime moment fort, et le passage le plus connu de Nabucco, est l’archi-rabâché Va Pensiero où le chœur d’esclaves chante sa patrie. Ce n’est pas pour rien si cet air est considéré comme le deuxième hymne national italien !
Dans ce drame du fanatisme, du pouvoir, de la folie qu'ils engendrent, plus que le rôle titre, c'est le personnage d'Abigaïl qui emporte tout sur son passage, véritable maelström vocal (la Strepponi y perdra sa voix !), d'une très grande ambigüité, d'un très grand désespoir, car plein de rancœur et de violence nées d'un double amour déçu, celui d'Ismaele et de son père.
Plus qu'ailleurs également, le chœur (ici double avec celui des hébreux et babyloniens) se taille bien sûr la part du lion, car vrai personnage à part entière dans ces grandes images de foule, de masse, et finalement de drame intime.
A se demander si Verdi, comme Moussorgsky plus tard, réalise en fait un opéra dont le protagoniste principal est... un Peuple entier. Seul le prophète et ses ouailles paraissent l'intéresser, Nabucco et sa fille hystérique ne semblent vivre sur scène que pour mieux être abandonnés avec plus ou moins d'égards. Ni la réhabilitation de l'un, ni la mort de l'autre ne pèsent assez lourd dans le final tout rempli du triomphe des hébreux.
Déjà vue au Teatro Lirico di Cagliari, la production de Leo Muscato (secondé par Tiziano Santi aux décors et Silvia Aymonino aux costumes bruts sortis d'un péplum crasseux de Ridley Scott), préparée avec un soin quasi-culinaire tel un plat exquis, baigne dans une sage tradition.
C'est réalisé avec goût, discrétion, juste ce qu'il faut pour être clair, sans encombrer. Au caractère " bande dessinée" des personnages correspond aussi une expression grandiloquente, large du geste, qui n'est pas déplacée ici. Sous les lumières poétiques d'Alessandro Verazzi, les mouvements de foule sont expressifs, l'usage discret de la machinerie d'une réelle efficacité. De la belle ouvrage donc, avec une approche des personnages fort bonne dans son ensemble. N'oublions pas qu'ils sont brossés de façon linéaire dans le livret comme dans la musique.
A tout seigneur, tout honneur. Le vétéran Leo Nucci, connu pour ses violents éclats et ses brillants aigus, impressionne toujours d'autant plus qu'il parvient à chanter avec une intensité, un lyrisme exemplaires. Malgré les outrages du temps le timbre est toujours harmonieux, la technique totalement maîtrisée. Même dans les moments de folie, ce Nabucco avait des côtés humains et touchants pour finalement une interprétation musicale et dramatique à l'impact indéniable.
Aucune discussion possible avec Vitalij Kowaljov qui impose sans difficultés son difficile personnage de Zaccharia. La voix, somptueuse, domine avec insolence les pièges d'une écriture vocale démoniaque.
Applaudissements torrentiels pour Anna Pirozzi qui domine son monde par les tonalités radieuses de sa voix large et puissante, maîtrisant sans peine les pages terribles d'Abigaïl. Un exploit vocal qui n'est jamais dénué du raffinement du bel canto romantique auquel le rôle appartient tout entier.
Avec un timbre clair et beaucoup de dynamisme, Gaston Rivero se plonge dans la partie ingrate d'Ismaele qui n'est pas le personnage le plus complexe du répertoire verdien.
Fenena trouve en la toujours superbe Beatrice Uria-Monzon une interprète de grand luxe. Elle y est simplement excellente, très présente, comme investie elle aussi d'une mission divine.
Le trio des seconds rôles n'apportant aucune réserve par leur simple efficacité.
Dirigé avec force par Giuseppe Finzi, l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, met en évidence toute la richesse de partition. Les effets musicaux prennent un relief nouveau, les passages lyriques trouvant sans peine toute leur intensité. C'est impressionnant de justesse, de ton, de mesure, d'équilibre, de vitalité.
Le choeur, on l'a dit, véritable protagoniste, a comme dépassé le niveau de ses prestations habituelles (toujours excellent), et se montre en cette matinée dominicale éblouissant dans les passages aux accents profonds des lamentations ou les prières du peuple hébraïque.
Un triomphe justifié. Stefano Visconti peut être fier de son travail.
Christian Colombeau
Nabucco sera donc l’opéra de sa grande résurrection. La première a lieu le 9 mars 1842 et offre au prometteur musicien un incroyable succès immédiat.
Sa musique s’inspire des idéaux de l’indépendance nationale et d’un état Italien unitaire. L’ultime moment fort, et le passage le plus connu de Nabucco, est l’archi-rabâché Va Pensiero où le chœur d’esclaves chante sa patrie. Ce n’est pas pour rien si cet air est considéré comme le deuxième hymne national italien !
Dans ce drame du fanatisme, du pouvoir, de la folie qu'ils engendrent, plus que le rôle titre, c'est le personnage d'Abigaïl qui emporte tout sur son passage, véritable maelström vocal (la Strepponi y perdra sa voix !), d'une très grande ambigüité, d'un très grand désespoir, car plein de rancœur et de violence nées d'un double amour déçu, celui d'Ismaele et de son père.
Plus qu'ailleurs également, le chœur (ici double avec celui des hébreux et babyloniens) se taille bien sûr la part du lion, car vrai personnage à part entière dans ces grandes images de foule, de masse, et finalement de drame intime.
A se demander si Verdi, comme Moussorgsky plus tard, réalise en fait un opéra dont le protagoniste principal est... un Peuple entier. Seul le prophète et ses ouailles paraissent l'intéresser, Nabucco et sa fille hystérique ne semblent vivre sur scène que pour mieux être abandonnés avec plus ou moins d'égards. Ni la réhabilitation de l'un, ni la mort de l'autre ne pèsent assez lourd dans le final tout rempli du triomphe des hébreux.
Déjà vue au Teatro Lirico di Cagliari, la production de Leo Muscato (secondé par Tiziano Santi aux décors et Silvia Aymonino aux costumes bruts sortis d'un péplum crasseux de Ridley Scott), préparée avec un soin quasi-culinaire tel un plat exquis, baigne dans une sage tradition.
C'est réalisé avec goût, discrétion, juste ce qu'il faut pour être clair, sans encombrer. Au caractère " bande dessinée" des personnages correspond aussi une expression grandiloquente, large du geste, qui n'est pas déplacée ici. Sous les lumières poétiques d'Alessandro Verazzi, les mouvements de foule sont expressifs, l'usage discret de la machinerie d'une réelle efficacité. De la belle ouvrage donc, avec une approche des personnages fort bonne dans son ensemble. N'oublions pas qu'ils sont brossés de façon linéaire dans le livret comme dans la musique.
A tout seigneur, tout honneur. Le vétéran Leo Nucci, connu pour ses violents éclats et ses brillants aigus, impressionne toujours d'autant plus qu'il parvient à chanter avec une intensité, un lyrisme exemplaires. Malgré les outrages du temps le timbre est toujours harmonieux, la technique totalement maîtrisée. Même dans les moments de folie, ce Nabucco avait des côtés humains et touchants pour finalement une interprétation musicale et dramatique à l'impact indéniable.
Aucune discussion possible avec Vitalij Kowaljov qui impose sans difficultés son difficile personnage de Zaccharia. La voix, somptueuse, domine avec insolence les pièges d'une écriture vocale démoniaque.
Applaudissements torrentiels pour Anna Pirozzi qui domine son monde par les tonalités radieuses de sa voix large et puissante, maîtrisant sans peine les pages terribles d'Abigaïl. Un exploit vocal qui n'est jamais dénué du raffinement du bel canto romantique auquel le rôle appartient tout entier.
Avec un timbre clair et beaucoup de dynamisme, Gaston Rivero se plonge dans la partie ingrate d'Ismaele qui n'est pas le personnage le plus complexe du répertoire verdien.
Fenena trouve en la toujours superbe Beatrice Uria-Monzon une interprète de grand luxe. Elle y est simplement excellente, très présente, comme investie elle aussi d'une mission divine.
Le trio des seconds rôles n'apportant aucune réserve par leur simple efficacité.
Dirigé avec force par Giuseppe Finzi, l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, met en évidence toute la richesse de partition. Les effets musicaux prennent un relief nouveau, les passages lyriques trouvant sans peine toute leur intensité. C'est impressionnant de justesse, de ton, de mesure, d'équilibre, de vitalité.
Le choeur, on l'a dit, véritable protagoniste, a comme dépassé le niveau de ses prestations habituelles (toujours excellent), et se montre en cette matinée dominicale éblouissant dans les passages aux accents profonds des lamentations ou les prières du peuple hébraïque.
Un triomphe justifié. Stefano Visconti peut être fier de son travail.
Christian Colombeau