Peter Gysi © DR
Au même moment, un son intrigant, résonnant longuement, retentit derrière le mur ; on croirait entendre une voix humaine. Aussitôt cette brève apparition évanouie, le silence orange revient.
Ailleurs sur le Plateau, à quelques 75 km de là, dans un atelier dont l’atmosphère nous semble agréablement familière, des expérimentations fraîchement exécutées se déploient généreusement sur le sol et les murs. Celles-ci côtoient, sans pour autant que l’on puisse les différencier, des réalisations créées tout au long de ces trente dernières années. Des formes variées, répétées, faisant appel à des références multiples, nous immergent dans un paysage empreint d’humour tout en nous rappelant l’avènement du minimalisme. Les repères sont très vite perdus et l’on peine à croire que tout cela puisse être l’œuvre d’une seule et même personne. Néanmoins, tout semble bien être à sa place et notre regard s’accroche progressivement sur le motif du cercle se répétant obsessionnellement dans les productions.
Une certaine cohérence prend forme et les connexions deviennent alors évidentes. Nous sommes à Burgdorf dans une usine réaffectée où, depuis plusieurs années, Peter Gysi, fils de quincailler, s’est installé pour pratiquer son art. On est bien loin d’une lubie passagère. Pour Gysi, créer des objets artistiques est plus de l’ordre d’un exercice quotidien duquel dépend l’équilibre précaire du bien-être que de la recherche orgueilleuse d’une quelconque notoriété. À ce moment précis, le temps semble se fluidifier et suivre son cours naturel.
Vingt-quatre ans plus tôt, les travaux de réaffectation des locaux de la rue des Moulins 37 en centre d’art touchaient à leur terme. Le vernissage de l’exposition inaugurale intitulée Is it Nice ? était fixé au 11 mars 1995. En regroupant des artistes et groupes d’artistes travaillant ou ayant travaillé à Nice, l’exposition souhaitait « sonder et mettre en perspective la notion de lieu dans le travail artistique ». Depuis, ces espaces ont maintes fois été transformés et réaménagés pour accueillir les centaines d’expositions qui s’y sont succédés. C’est en plongeant dans les archives textuelles de ce centre d’art que Delphine Chapuis Schmitz en découvre son histoire. En archéologue, elle en extrait des fragments, des suites de mots qu’elle fait resurgir et résonner dans le creux monumental qu’est le white cube du CAN. Par la narration, l’artiste nous projette dans l’infini des possibles que peuvent contenir ces lieux. Le temps se dilate, se recourbe sur lui-même et un certain vertige nous atteint. Tant de choses se sont déjà passées ici et tant de nouvelles propositions restent envisageables ; combien de fois pourrons-nous encore faire vibrer cette structure avant qu’elle ne cède ?
Bien plus loin, au pied du mont Fuji, Philémon Otth découvre, à travers la fenêtre de son ordinateur, ces images d’actualité qui semblent pourtant provenir d’un autre temps : les photos de la ville ravagée de Paradise, Californie. L’ambiance y est apocalyptique. Les images sont teintées d’une lumière crépusculaire jaune-or et la carcasse d’une voiture calcinée reflète l’ampleur désastreuse de la situation. Cette vision est non sans nous rappeler celle d’une pierre d’ambre dans laquelle un insecte aurait été piégé il y a quelques millions d’années et se serait ensuite fossilisé ; comme dans une longue pause où toute agitation de la matière aurait été figée. De retour sur les flancs du Jura, les salles d’exposition se sont recouvertes d’un léger manteau de poussière. Une plateforme de bois se détache du sol et longe les murs, formant un trait d’union entre le dedans et le dehors. Elle maintient l’ambiguïté flottante de notre rapport symbiotique à la nature. Cette zone de transition se dérobe aux notions de frontières qui structurent l’espace domestique contemporain en nous rap- pelant certains éléments de l’architecture traditionnelle nippone. L’obscurité grandissante, accompagnant une lente dilatation des pupilles, s’intensifie et présage le basculement vers un autre jour. Il est plus ou moins 18h, le soleil disparaît.
Ailleurs sur le Plateau, à quelques 75 km de là, dans un atelier dont l’atmosphère nous semble agréablement familière, des expérimentations fraîchement exécutées se déploient généreusement sur le sol et les murs. Celles-ci côtoient, sans pour autant que l’on puisse les différencier, des réalisations créées tout au long de ces trente dernières années. Des formes variées, répétées, faisant appel à des références multiples, nous immergent dans un paysage empreint d’humour tout en nous rappelant l’avènement du minimalisme. Les repères sont très vite perdus et l’on peine à croire que tout cela puisse être l’œuvre d’une seule et même personne. Néanmoins, tout semble bien être à sa place et notre regard s’accroche progressivement sur le motif du cercle se répétant obsessionnellement dans les productions.
Une certaine cohérence prend forme et les connexions deviennent alors évidentes. Nous sommes à Burgdorf dans une usine réaffectée où, depuis plusieurs années, Peter Gysi, fils de quincailler, s’est installé pour pratiquer son art. On est bien loin d’une lubie passagère. Pour Gysi, créer des objets artistiques est plus de l’ordre d’un exercice quotidien duquel dépend l’équilibre précaire du bien-être que de la recherche orgueilleuse d’une quelconque notoriété. À ce moment précis, le temps semble se fluidifier et suivre son cours naturel.
Vingt-quatre ans plus tôt, les travaux de réaffectation des locaux de la rue des Moulins 37 en centre d’art touchaient à leur terme. Le vernissage de l’exposition inaugurale intitulée Is it Nice ? était fixé au 11 mars 1995. En regroupant des artistes et groupes d’artistes travaillant ou ayant travaillé à Nice, l’exposition souhaitait « sonder et mettre en perspective la notion de lieu dans le travail artistique ». Depuis, ces espaces ont maintes fois été transformés et réaménagés pour accueillir les centaines d’expositions qui s’y sont succédés. C’est en plongeant dans les archives textuelles de ce centre d’art que Delphine Chapuis Schmitz en découvre son histoire. En archéologue, elle en extrait des fragments, des suites de mots qu’elle fait resurgir et résonner dans le creux monumental qu’est le white cube du CAN. Par la narration, l’artiste nous projette dans l’infini des possibles que peuvent contenir ces lieux. Le temps se dilate, se recourbe sur lui-même et un certain vertige nous atteint. Tant de choses se sont déjà passées ici et tant de nouvelles propositions restent envisageables ; combien de fois pourrons-nous encore faire vibrer cette structure avant qu’elle ne cède ?
Bien plus loin, au pied du mont Fuji, Philémon Otth découvre, à travers la fenêtre de son ordinateur, ces images d’actualité qui semblent pourtant provenir d’un autre temps : les photos de la ville ravagée de Paradise, Californie. L’ambiance y est apocalyptique. Les images sont teintées d’une lumière crépusculaire jaune-or et la carcasse d’une voiture calcinée reflète l’ampleur désastreuse de la situation. Cette vision est non sans nous rappeler celle d’une pierre d’ambre dans laquelle un insecte aurait été piégé il y a quelques millions d’années et se serait ensuite fossilisé ; comme dans une longue pause où toute agitation de la matière aurait été figée. De retour sur les flancs du Jura, les salles d’exposition se sont recouvertes d’un léger manteau de poussière. Une plateforme de bois se détache du sol et longe les murs, formant un trait d’union entre le dedans et le dehors. Elle maintient l’ambiguïté flottante de notre rapport symbiotique à la nature. Cette zone de transition se dérobe aux notions de frontières qui structurent l’espace domestique contemporain en nous rap- pelant certains éléments de l’architecture traditionnelle nippone. L’obscurité grandissante, accompagnant une lente dilatation des pupilles, s’intensifie et présage le basculement vers un autre jour. Il est plus ou moins 18h, le soleil disparaît.