Un roman à l’opéra ( Pierre Bartholomée – Janvier 2015 )
Œdipe sur la route a été créé, en mars 2003, au Théâtre de la Monnaie. Il y a eu 8 représentations. Bernard Foccroulle, son commanditaire, avait confié la mise en scène à Philippe Sireuil et la direction musicale à Daniele Callegari. Le dispositif scénique était de Vincent Lemaire. José Van Dam était au centre d’une grande distribution. Il y rayonnait de présence et de splendeur vocale.
Pour Henry Bauchau, écrire le livret semblait insurmontable mais il a finalement accepté de s’y mettre. Travailler au plus proche avec l’auteur de cet extraordinaire roman initiatique dont je voulais absolument faire un opéra était, pour moi, inespéré.
Entre temps, dès 1999, Bernard Foccroulle m’avait commandé la composition d’une pièce pour l’inauguration des nouveaux ateliers de son théâtre. Ce fut, première confrontation directe à un texte de Bauchau, Le Rêve de Diotime, scène dramatique de concert pour soprano et un grand ensemble de solistes, d’après Diotime et les lions. Valentina Valente y était Diotime. Elle serait, quelques années plus tard, la belle et sauvage Antigone d’Œdipe sur la route.
Pour ma part, j’entrais en bauchalie.
L’enregistrement que voici a été réalisé, à la Monnaie, pour la télévision belge (RTBF), lors de la dernière représentation de l’opéra. C’est la transcription audio d’un enregistrement vidéo « live ». On y perçoit ci et là les frémissements de la scène. Le déroulement du temps y est modulé par le jeu théâtral.
Œdipe sur la route fait appel à des forces musicales et scéniques importantes : un orchestre symphonique, un chœur généralement invisible, 12 solistes du chant, 2 acteurs muets et quelques figurants.
Il y a 4 actes. Le premier acte a quelque chose d’une très libre forme Sonate. Œdipe veut partir, aller « n’importe où, hors de Thèbes ». Antigone le suit. Surgit Clios, le bandit, qui s’en prend à Antigone. Combat. Œdipe le terrasse. Clios raconte Alcyon, les clans ennemis, la montagne, le drame de sa vie. Œdipe et Antigone écoutent, médusés. Le récit est tragique. De fragiles liens se nouent. Clios veut accompagner Œdipe. Ils seront désormais trois sur la route vers « n’importe où ».
Un interlude marin conduit au deuxième acte, sorte de scherzo dramatique. Œdipe travaille, il délire. En pleine tempête, il s’acharne. Il veut sculpter « une barque et ses rameurs » dans l’immense falaise en surplomb de la mer.
Au troisième acte, le « mouvement lent », Œdipe veut réintégrer la communauté des humains. Il rencontre Diotime, la sibylle. Elle veut de délivrer de lui-même : « tu es un clair-chantant ». Il lui chante Jocaste et la Sphinge. On apprend que la peste envahit les villages. Diotime envoie Œdipe soigner les malades. Il est bientôt atteint par la terrible maladie. La mort est proche. En une offrande de tout son être, Calliope le ramène à la vie.
« Les chiens de la nuit », dernier interlude, évocation obsédée d’un des plus saisissants récits collatéraux du roman, débouche sur l’acte final, le 4e, celui de l’accomplissement : Œdipe arrive à Colone, il entre dans le Bois sacré. Le voici désormais « clairvoyant ». Dernier chant, adieux, c’est la fin de la route.
Le roman de Bauchau m’avait bouleversé. La musique que j’ai composée lui doit tout. C’est presque comme si elle m’avait été dictée. Du déchirement initial -le combat avec l’aigle, la vertigineuse solitude d’Œdipe, son délire effrayant-, de l’extrême violence du récit de Clios et des scènes sur la falaise à l’apaisement très ambigu, provisoire, de la fin (Œdipe « s’est enfoncé dans les couleurs »), son mouvement, son cheminement, ses couleurs, sa progression sont portés par « le pas d’Œdipe », son errance, sa voix puissante et délirante. Mais il y a aussi, enchâssées dans les polyphonies multiples, cinglantes ou méditatives, souvent rudes et bouillonnantes, de l’orchestre, la voix en révolte d’Antigone, celle, parfois à peine audible, d’un chœur lointain, celle d’un Clios aux limites du cri ou encore celle, doucement solennelle, réparatrice, de Diotime.
On est dans le labyrinthe et dans le rêve, dans la rigueur et l’âpreté, la tension, la malédiction, la déréliction et la frayeur. Quête obstinée de lumière et d’une très hypothétique réconciliation.
Il fallait des interprètes d’exception pour venir à bout de cette partition. Je veux saluer leur courage, leur travail et leur formidable engagement. Ils ont formé une équipe à mes yeux idéale. Si la musique d’Œdipe sur la route revit aujourd’hui, c’est grâce à eux. A eux et à ceux qui, ingénieurs du son et producteurs, ont voulu qu’après les représentations et les transmissions radio télévisées de 2003, cet opéra ne sombre pas dans l’oubli.
Pour Henry Bauchau, écrire le livret semblait insurmontable mais il a finalement accepté de s’y mettre. Travailler au plus proche avec l’auteur de cet extraordinaire roman initiatique dont je voulais absolument faire un opéra était, pour moi, inespéré.
Entre temps, dès 1999, Bernard Foccroulle m’avait commandé la composition d’une pièce pour l’inauguration des nouveaux ateliers de son théâtre. Ce fut, première confrontation directe à un texte de Bauchau, Le Rêve de Diotime, scène dramatique de concert pour soprano et un grand ensemble de solistes, d’après Diotime et les lions. Valentina Valente y était Diotime. Elle serait, quelques années plus tard, la belle et sauvage Antigone d’Œdipe sur la route.
Pour ma part, j’entrais en bauchalie.
L’enregistrement que voici a été réalisé, à la Monnaie, pour la télévision belge (RTBF), lors de la dernière représentation de l’opéra. C’est la transcription audio d’un enregistrement vidéo « live ». On y perçoit ci et là les frémissements de la scène. Le déroulement du temps y est modulé par le jeu théâtral.
Œdipe sur la route fait appel à des forces musicales et scéniques importantes : un orchestre symphonique, un chœur généralement invisible, 12 solistes du chant, 2 acteurs muets et quelques figurants.
Il y a 4 actes. Le premier acte a quelque chose d’une très libre forme Sonate. Œdipe veut partir, aller « n’importe où, hors de Thèbes ». Antigone le suit. Surgit Clios, le bandit, qui s’en prend à Antigone. Combat. Œdipe le terrasse. Clios raconte Alcyon, les clans ennemis, la montagne, le drame de sa vie. Œdipe et Antigone écoutent, médusés. Le récit est tragique. De fragiles liens se nouent. Clios veut accompagner Œdipe. Ils seront désormais trois sur la route vers « n’importe où ».
Un interlude marin conduit au deuxième acte, sorte de scherzo dramatique. Œdipe travaille, il délire. En pleine tempête, il s’acharne. Il veut sculpter « une barque et ses rameurs » dans l’immense falaise en surplomb de la mer.
Au troisième acte, le « mouvement lent », Œdipe veut réintégrer la communauté des humains. Il rencontre Diotime, la sibylle. Elle veut de délivrer de lui-même : « tu es un clair-chantant ». Il lui chante Jocaste et la Sphinge. On apprend que la peste envahit les villages. Diotime envoie Œdipe soigner les malades. Il est bientôt atteint par la terrible maladie. La mort est proche. En une offrande de tout son être, Calliope le ramène à la vie.
« Les chiens de la nuit », dernier interlude, évocation obsédée d’un des plus saisissants récits collatéraux du roman, débouche sur l’acte final, le 4e, celui de l’accomplissement : Œdipe arrive à Colone, il entre dans le Bois sacré. Le voici désormais « clairvoyant ». Dernier chant, adieux, c’est la fin de la route.
Le roman de Bauchau m’avait bouleversé. La musique que j’ai composée lui doit tout. C’est presque comme si elle m’avait été dictée. Du déchirement initial -le combat avec l’aigle, la vertigineuse solitude d’Œdipe, son délire effrayant-, de l’extrême violence du récit de Clios et des scènes sur la falaise à l’apaisement très ambigu, provisoire, de la fin (Œdipe « s’est enfoncé dans les couleurs »), son mouvement, son cheminement, ses couleurs, sa progression sont portés par « le pas d’Œdipe », son errance, sa voix puissante et délirante. Mais il y a aussi, enchâssées dans les polyphonies multiples, cinglantes ou méditatives, souvent rudes et bouillonnantes, de l’orchestre, la voix en révolte d’Antigone, celle, parfois à peine audible, d’un chœur lointain, celle d’un Clios aux limites du cri ou encore celle, doucement solennelle, réparatrice, de Diotime.
On est dans le labyrinthe et dans le rêve, dans la rigueur et l’âpreté, la tension, la malédiction, la déréliction et la frayeur. Quête obstinée de lumière et d’une très hypothétique réconciliation.
Il fallait des interprètes d’exception pour venir à bout de cette partition. Je veux saluer leur courage, leur travail et leur formidable engagement. Ils ont formé une équipe à mes yeux idéale. Si la musique d’Œdipe sur la route revit aujourd’hui, c’est grâce à eux. A eux et à ceux qui, ingénieurs du son et producteurs, ont voulu qu’après les représentations et les transmissions radio télévisées de 2003, cet opéra ne sombre pas dans l’oubli.
Œdipe sur la route
Opéra en quatre actes - Livret d’Henry Bauchau
Enregistrement live - World Premiere
2CD ref EVCD011
Sortie le 19 mai Chez Evidence Classics
Orchestre Symphonique & Chœurs de la Monnaie
Daniele Callegari, Direction
Tatiana Samouil, Konzertmeister
Renato Balsadonna, Chef des Chœurs
Avec
José van Dam Œdipe
Valentina Valente Antigone
Jean-Francis Monvoisin Clios
Hanna Schaer Diotine
Ruby Philogene Calliope
Nabil Suliman Le Chef du Village
Jean-Guy Devienne Polynice
Marc Coulon Etéocle
Elise Gäbele Ilyssa
Luc de Meulenaere Un Vigneron
Nicolas Bauchau Le Messager
Paul Gérimon Thésée
Florence Fischer Ismène
Claudio Graisman Créon
Enregistré live en 2003 au Théâtre Royal de la Monnaie, Bruxelles
2CD / Evidence - Harmonia Mundi
Enregistrement live - World Premiere
2CD ref EVCD011
Sortie le 19 mai Chez Evidence Classics
Orchestre Symphonique & Chœurs de la Monnaie
Daniele Callegari, Direction
Tatiana Samouil, Konzertmeister
Renato Balsadonna, Chef des Chœurs
Avec
José van Dam Œdipe
Valentina Valente Antigone
Jean-Francis Monvoisin Clios
Hanna Schaer Diotine
Ruby Philogene Calliope
Nabil Suliman Le Chef du Village
Jean-Guy Devienne Polynice
Marc Coulon Etéocle
Elise Gäbele Ilyssa
Luc de Meulenaere Un Vigneron
Nicolas Bauchau Le Messager
Paul Gérimon Thésée
Florence Fischer Ismène
Claudio Graisman Créon
Enregistré live en 2003 au Théâtre Royal de la Monnaie, Bruxelles
2CD / Evidence - Harmonia Mundi
Pierre Bartholomée, compositeur
Pierre Bartholomée est né à Bruxelles, en 1937. Après des études musicales au Conservatoire royal de Bruxelles et un stage Beethoven (Wilhelm Kempff) en Italie, il donne des concerts, notamment, à deux pianos, avec sa femme, Francette, qui est également harpiste. C’est elle qui le met en rapport avec Henri Pousseur. La rencontre est décisive. Ils fondent l’Ensemble Musique Nouvelle. Henri Pousseur soutient les travaux du jeune compositeur tandis que Musique Nouvelle explore un grand répertoire et commence à voyager. Une première pièce pour grand orchestre, Harmonique, est créée, à Bruxelles, sous la direction de Michaël Gielen qui la reprend à Hambourg puis à Francfort. Vient alors, assez rapidement, le temps des premières expériences de direction d’orchestre.
De 1977 à 1999, Pierre Bartholomée assumera la double fonction de directeur artistique et de chef permanent de l’Orchestre Philharmonique de Liège avec lequel il donnera de nombreuses œuvres en création et avec lequel il voyagera en Europe, en Amérique et au Japon. De 1999 à 2001, Pierre Bartholomée est en résidence à l’Université Catholique de Louvain. Il y crée un atelier interfacultaire d’écriture musicale et compose notamment un oratorio, Ludus Sapientiae, qui est créé par Jordi Savall. C’est alors que naît le projet Œdipe sur la route. Ce premier opéra sera suivi de deux autres : La Lumière Antigone (livret original d’Henry Bauchau - création à la Monnaie en 2008 et nouvelle production par le Nouvel Ensemble Contemporain en 2012) et Nous sommes éternels (livret de Pierrette Flutiaux et Jérôme Fronty - projet de création à Metz en 2017). Le catalogue de Pierre Bartholomée comporte des pièces pour orchestre, pour ensemble, de la musique de chambre (deux quatuors à cordes), des mélodies et des pièces pour instruments solistes.
De 1977 à 1999, Pierre Bartholomée assumera la double fonction de directeur artistique et de chef permanent de l’Orchestre Philharmonique de Liège avec lequel il donnera de nombreuses œuvres en création et avec lequel il voyagera en Europe, en Amérique et au Japon. De 1999 à 2001, Pierre Bartholomée est en résidence à l’Université Catholique de Louvain. Il y crée un atelier interfacultaire d’écriture musicale et compose notamment un oratorio, Ludus Sapientiae, qui est créé par Jordi Savall. C’est alors que naît le projet Œdipe sur la route. Ce premier opéra sera suivi de deux autres : La Lumière Antigone (livret original d’Henry Bauchau - création à la Monnaie en 2008 et nouvelle production par le Nouvel Ensemble Contemporain en 2012) et Nous sommes éternels (livret de Pierrette Flutiaux et Jérôme Fronty - projet de création à Metz en 2017). Le catalogue de Pierre Bartholomée comporte des pièces pour orchestre, pour ensemble, de la musique de chambre (deux quatuors à cordes), des mélodies et des pièces pour instruments solistes.