Paris, Institut du Monde arabe : Oum Kalsoum, « la quatrième pyramide » jusqu'au 2 novembre 2008

La « Dame », la « voix des Arabes », l’« astre de l’Orient », la « quatrième pyramide », autant de vocables qui s’attachent à la personne d’Oum Kalsoum dont le chant, tout au long du XXème siècle, a rayonné sur le monde arabe et au-delà. Trois décennies après sa disparition et – en manière de célébration – quelque cent ans après une naissance dont la date demeure incertaine (1898 ?, 1904 ?... ), l’Institut du monde arabe a fait choix de lui rendre hommage avec une exposition-spectacle installée dans la Médina.


Ainsi peut-on découvrir les différentes facettes d’un personnage devenu icône, de cette diva d’Orient qui se présentait avant tout comme « une femme, une paysanne, une Égyptienne ». On montre aussi, dans une mise en scène due à l’agence NC, combien sa mémoire est encore vivante de nos jours.
Le parcours de l’exposition propose quatre approches distinctes mais cependant complémentaires, chacune réunissant photographies, séquences sonores et audiovisuelles, documents, objets, costumes et œuvres.

La première section, « l’Égyptienne » s’attache à sa personne, à son milieu, à ses origines dans une Égypte qui, en moins de trois quarts de siècle – et, dès lors, pendant la durée de la vie d’Oum Kalsoum – aura connu le protectorat britannique, l’émergence du nationalisme, les règnes des souverains Fouad et Farouk, la révolution de 1952, les mandats de Nasser et Sadate, sans oublier les deux défaites face à Israël en 1948-49 et 1967. L’aura d’Oum Kalsoum va croissant dans ce contexte jusqu’à lui conférer un statut de représentante officielle de son pays.

La deuxième section, « le Talent », fait la part belle à l’interprète avec l’ambition de faire comprendre ce qui est à la source du succès d’Oum Kalsoum : la musique, les textes et, surtout, sa voix qui provoque dans son auditoire le tarab, ce plaisir qui confine à l’extase quand chaque note, chaque mot, chaque intonation est goûté par les auditeurs ; plaisir d’autant accru qu’Oum Kalsoum improvise à l’infini sur différents modes, ses récitals se prolongeant des heures durant. Des extraits de ses performances, projetés dans un lieu évoquant une salle de concert, de courtes interviews de compositeurs, d’auteurs et de musicologues, la consultation de la traduction des textes-poèmes qu’elle a chantés, un espace d’écoute de son répertoire sentimental, et des images des réactions de son public contribuent à faciliter l’appréhension de ce phénomène.
En contrepoint, la projection d’extraits des six films qu’elle a tournés entre 1935 et 1948 ainsi qu’une mosaïque de pochettes de disques, des costumes de scène, et quelques effets personnels emblématiques viennent compléter cette présentation.

La troisième section, « l’Engagement », rend compte de l’implication d’Oum Kalsoum dans la vie publique à la fois comme militante d’un certain féminisme, et comme moteur d’une certaine unité panarabe qui connaîtra son point d’orgue le jour de ses funérailles, le 3 février 1975. Cet engagement
dans la modernité est donné à voir dans une sélection de coupures de presse, de photographies et de documents. Un module audiovisuel retrace l’actualité et les événements qui ont fait naître chez Oum Kalsoum le désir de s’impliquer dans l’évolution de la société égyptienne et de la nation arabe. Un module sonore est dédié à ses chants patriotiques. Et le film tourné, entre autres, par Youssef Chahine lors de ses obsèques est projeté sur grand écran afin de mieux rendre compte de l’émotion, de la ferveur et du désarroi de ses contemporains.

La quatrième section, « l’Héritage »,
réunit un éventail d’œuvres de plasticiens contemporains dans lesquelles l’image de la « Dame » est récurrente : Jihan Ammar, Chant Avedissian, George Bahgory, Dernocarmine, Ibrahim El-Dessouki, Ehab El-Laban, Adel El-Siwi, Helmi El Touni, Golo, Khaled Hafez, Susan Hefuna, Adam Henein, Huda Lutfi, Essam Marouf, George Nashed, Mohammad Omar Khalil, Barrack Rima, Nagla Samir, Faysal Samra, Mohsen Shaalan, Dodi Tabbaa, Jiri Votruba ou encore Youssef Nabil…
Dans un autre registre figurent également les robes haute-couture de la collection « Oum Kalsoum » du styliste Khaled El-Masry ainsi que les accessoires dessinés par Sarah Beydoun. Dans cette section un espace est réservé à la projection de performances d’interprètes d’aujourd’hui qui reprennent le répertoire d’Oum Kalsoum ainsi que quelques interviews qui explicitent la démarche de ces artistes.

Dans l’exposition, un « café Oum Kalsoum », inspiré de ceux qui ont fleuri, nombreux, en Égypte et ailleurs dans le monde arabe, propose un lieu de détente dans lequel le visiteur peut s’abandonner, bercé par la voix de l’artiste.
L’exposition a pour ambition d’intéresser, bien sûr, ceux qui connaissent et aiment Oum Kalsoum. Mais elle est aussi destinée aux « profanes », qui ont là l’opportunité de découvrir ce formidable personnage et cet extraordinaire destin. L’artiste n’a chanté qu’une seule fois en dehors du monde arabe : c’était à Paris, à l’Olympia, en 1967. L’Institut du monde arabe est fier de célébrer sa mémoire et de favoriser – cette fois encore, à Paris – sa rencontre avec une autre génération.

Dame Kalsoum par Rabah Mezouane

« Rends-moi ma liberté, détache mes mains / Je t’ai tout donné et n’ai rien gardé pour moi / Mes poings saignent encore à cause des liens que tu m’as fait porter / Pourquoi les garderais-je alors que tu m’as tout enlevé ? / Pourquoi resteraisje captive alors que le monde m’appartient ? ». Ces vers sont extraits d’El-Atlal (« Les Ruines »), la chanson la plus célèbre et sans doute la plus poignante du répertoire d’Oum Kalsoum.
Encore aujourd’hui, ce chef-d’œuvre de poésie et de mélodie, combinant le réel avec l’idéal de la vie, écrit par Ibrahim Naji, mis en musique par Riad al-Sunbati et enregistré en 1966, constitue l’une des plus grosses ventes de la diva égyptienne.
Depuis sa réédition en compact, il demeure l’un des titres les plus réclamés tant par les fans de la première heure que par de nouveaux convertis, en majorité des Européens et des beurs. Il est le plus joué également et le plus repris à l’instar de la version-hommage – certes peu appréciée par les gardiens
de la foi Kalsoum – interprétée par Sapho, ou d’une autre, écourtée mais réussie, transformée par le beau gosse rebelle de la chanson syro-libanaise, Georges Wassouf.

El-Atlal, long cri d’amour où la sensation érotique s’énonce lancinante et où brûle en le cœur un feu qui semble ne jamais s’éteindre, est, par excellence, le chant où le sentiment se nomme désir, la tendresse devient souffrance et le charme frise l’enchantement. C’est à la limite du féminisme à peine contenu et d’une féminité rageuse, propres à faire réfléchir aussi bien celle qui se pare de vertu que celle que la société met à l’index sous le (fallacieux) prétexte de dévergondage ou d’atteinte aux bonnes mœurs.
Plus de trente ans après la disparition d’Oum, « Les Ruines » reste un des vestiges qui résonnent toujours au creux des oreilles des mélomanes, toutes classes sociales confondues. Car la cantatrice avait su séduire toutes les franges de la société, du balayeur de rues au président – Nasser fut l’un de ses plus fervents admirateurs et ne ratait jamais un de ses fameux concerts donnés le premier jeudi de chaque mois –, du fellah au fonctionnaire embourgeoisé. D’aucuns se sont interrogés sur l’impact d’exception que pouvait avoir la « Sett » (la Dame) – celle qui passait pour être la « mère des Arabes » comme l’avaient proclamé certaines affiches – sur les foules : comment donc une petite paysanne sans beauté particulière et sans bagage intellectuel avait-elle pu atteindre un niveau de culture auquel rien ne la prédestinait ? Comment donc parvenait-elle à rendre sacré un air profane et profane un chant sacré ?...

Oum Kalsoum, tout au long de sa carrière – bien épaulée par son ami (et amoureux transi) Ahmed Rami, génie de la parole et érudit sans prétention, auteur de la moitié des textes de son répertoire –, a domestiqué tous les genres et interprété tous les grands noms de la poésie arabo-musulmane en révolutionnant la métrique. Miracle ! Dans le domaine de Kalsoum, les textes d’Omar Khayyam l’hédoniste, d’Ahmed Shawki, l’« Emir des poètes » (dont elle a chanté le troublant « Demandez aux
cruches de vin »), de Mahmoud Bayram al-Tounsi (Ghani li chwaya, reprise par Rachid Taha dans son album Diwan 2) – une véritable encyclopédie ambulante –, de Taher Abu Facha le passionné ou d’Ahmed Chafik Kamel le romantique, prennent une autre allure, une autre tournure, une autre dimension.
Portés par une voix si prenante, ils tendent au sublime. Plus qu’à travers les disques, c’est sur scène que l’artiste démontre son énergie et sa classe. Port altier, visage tantôt crispé lorsque le désespoir prend le dessus au détour d’un vers, tantôt radieux quand se profile à l’horizon la promesse d’un rayon de soleil pour mieux éclairer un nouvel amour, mouchoir-étendard brandi par sa main droite, Oum Kalsoum dans des moments éblouissants dégage un magnétisme tel que le public, subjugué, suit toutes les émotions lues dans sa voix et sur son visage. Il retient son souffle lorsqu’elle narre ses tourments, agite les bras lorsqu’elle trace d’imaginaires arabesques, maudit les traîtres et souffre à sa place lorsqu’elle évoque la fuite d’un amant, se tient le cœur lorsqu’elle pousse un profond soupir... En un mot, l’auditoire vibre avec la légende.
Une légende qui a commencé au début de notre siècle et une vie loin d’avoir toujours été un long Nil tranquille.
Présumée née vers 1904 (certains ouvrages arabes retiennent toutefois la date du 31 décembre 1898) à Tmaïe al-Zahayira, un village pauvre enserré dans le delta du Nil, Oum Kalsoum, fille de Cheikh Ibrahim al-Sayyid al-Beltagi, un imam de mosquée, et de Fatma al-Maligi, une paysanne ordinaire, a naturellement débuté, sous les encouragements de son géniteur, par des chants religieux, se produisant dans des fêtes le plus souvent dédiées à des saints (plus tard, sa gloire aidant, le calendrier local s’enrichira du nom d’une nouvelle sainte que ses familiers appelleront tout simplement Souma ou Oum). Son patronyme circule vite dans la région et tout le monde parle d’un androgyne (son père tenait à ce qu’elle s’habille en garçon bédouin) à cordes vocales uniques. En visite à Tmaïe, Cheikh Abu al-Alla
Mohammed, spécialiste de la déclamation du maqâm (mode classique), l’entend, tombe en extase et lui suggère, ainsi qu’à sa famille, de s’installer, en 1923, au Caire, marchepied indispensable pour accéder à une célébrité à hauteur de son talent.

Pourtant, la conjoncture n’était guère favorable. En 1919, Le Caire venait d’être le théâtre d’une révolution sanglante.
Après le rejet par Londres de l’indépendance totale exigée par le parti indépendantiste Wafd, présidé par Saad Zaghloul, des nationalistes avaient été exilés. Et l’installation au Caire d’Oum Kalsoum se fait en une période pendant laquelle les assassinats de ressortissants britanniques sont nombreux et tendent même à se multiplier. De cette époque, elle gardera des souvenirs bouleversants et de là datera un patriotisme ardent qui se concrétisera, des décennies plus tard, par un soutien sans faille à l’effort de guerre. Ses détracteurs – il en existe… – ironiseront plus tard sur l’opportunisme qui lui a permis de chanter successivement les louanges du roi Farouk, de Nasser puis de Sadate… Bien avant ceux-ci, les religieux avaient crié au scandale, considérant comme un blasphème le fait pour une femme de réciter le Coran en musique, un comble si l’on se réfère à la musicalité contenue dans une psalmodie ou au mélodieux de l’appel du muezzin. Mais Oum Kalsoum n’en a cure : « L’artiste était mal vu à cette époque-là. La culture relevait du ministère de la Santé. Nous étions souvent menacés par des ivrognes et le public réclamait des chansons vulgaires du genre : “Tirons les rideaux pour que les voisins ne nous
voient pas” ou “Qui est ma mère, qui est mon père, je ne le sais et ne le saurai jamais” », ajoutant : « Les gens étaient sourds à la parole du Prophète… ». Oum Kalsoum a toujours tenu bon même lorsque les Frères Musulmans jugent scandaleuse sa façon de mêler le profane au religieux. Elle réplique, en 1928,
par un texte profane (« Si je devais oublier et pardonner / Mes yeux me le reprocheraient »), interprété sur fond d’air propre aux mounchids (tenants du chant sacré). D’autres ont jasé sur sa vie privée, la soupçonnant de s’être résolue tardivement à épouser son médecin pour se fabriquer une façade honorable.
En ces années 1920-1930, sous le règne de Fouad Ier, la chanson égyptienne était dominée par de fortes
personnalités, comme Sayyid Darwish – qui sera, plus tard, remis au goût du jour par la Cairote Dalida à travers l’adaptation de Salma Ya Salama –, Abdou Hamouli, ou encore Mounira al-Mahdiya, star capricieuse et colérique, reine incontestée d’« excentriques » opérettes. En 1934, un jeune homme talentueux, Mohammed Abdel Wahhab, initiateur de la fusion entre symphonie occidentale et mélodie
égyptienne, triomphe dans La Rose blanche, considérée comme la première comédie musicale arabe. De son côté, Oum Kalsoum – qui collabore avec Ahmed Rami, rencontré dès 1924, et Zakariya Ahmed – inaugure les émissions de la radio égyptienne et, bien plus tard, celles de la télévision nationale. Sa notoriété va grandissante, débordant les cercles d’amateurs de ses débuts pour lesquels elle chantait,
accompagnée par un simple takht (petit orchestre de chambre) ; elle atteint d’autres Etats arabes comme la Syrie, l’Irak ou le Liban, pays où elle effectue, dès 1932, un premier passage. D’autant qu’un troisième homme, Mohammed al- Kasabgi, joueur de luth exceptionnel, l’a rejointe, et s’emploie à parfaire son éducation musicale. En 1936, au moment où l’Egypte acquiert son indépendance – même si les troupes
britanniques doivent encore rester sur place –, Oum Kalsoum entame ses premiers essais cinématographiques par un rôle principal dans Weddad. Cependant, contrairement à ses homologues masculins Farid al-Atrache ou Abdel Halim Hafez, elle s’est peu investie dans le septième art (six longs
métrages au total). Sans doute ne devait-elle pas se trouver bonne comédienne. Et sa maladie des yeux (soignée aux Etats-Unis) – d’où les lunettes noires – lui fournira le prétexte idéal pour déserter ensuite et à jamais les plateaux, après le film Fatma.
Entre 1936 et 1952, dans une terre des Pharaons administrée par le fantasque roi Farouk Ier, qui s’est ridiculisé pendant la guerre de Palestine en 1948, Oum Kalsoum surfe sur les sommets de la gloire. Lors de ses fameux concerts du premier jeudi de chaque mois, relayés par la radio, tout le pays reste suspendu à ses lèvres et attend sa prestation – comme on s’impatientait et comme on s’impatiente encore aujourd’hui au coup d’envoi du derby footballistique cairote opposant les frères ennemis Zamalek et El-Ahly… On respire fort au moment où, sur les ondes, le présentateur commence à décrire la robe longue qu’elle ne porte que pour un unique récital. Dès les premières notes, les foules frissonnent, et quand la diva entame ses vocalises, elles sombrent dans la volupté du maazag, terme typiquement égyptien, traduisible approximativement par « plaisir intense » ou « émotion à son comble ». Oum interprète, en général, deux à trois titres, pas davantage, soit à peu près la durée d’un opéra, avec cette
angoisse qui lui creuse le ventre et qui explique, sans doute, la charge émotive de sa voix. Wagdy al-Hakim, ancien responsable de la radio, en avait témoigné : « Le soir de la représentation était terrible car elle craignait le public. Pendant la journée, elle lisait le Coran pour se préparer ; elle ne voulait être dérangée par personne, ne parlait jamais même pour demander un verre d’eau, se contentant de griffonner ses exigences sur des bouts de papier ». Ces rendez-vous, elle les donnera jusqu’à sa mort,
malgré tout et en dépit de l’humiliation subie juste après la proclamation de la République : interdite quelque temps d’antenne sous prétexte de collaboration avec l’ancien régime, Oum se réfugie dans le silence… N’y tenant plus, elle finit par se confier au président Nasser. Celui-ci appelle en personne le
directeur de la station nationale pour ordonner son retour sur les ondes…
Nasser jouera également un grand rôle dans la réconciliation entre la « cantatrice du peuple » et le génie de la composition, Mohammed Abdel Wahhab. En 1960, le raïs réunit et décerne des décorations aux deux monstres sacrés ; au cours de la cérémonie, il leur fait part de son ressentiment : « Je célèbre votre art, mais je ne vous pardonne pas de ne pas vous être associés ». Quatre ans plus tard, ainsi que le rapporte Nourredine Amdouni dans un ouvrage consacré à Abdel Wahhab (éditions du Cygne, Genève), les deux sommités vont enfin entamer une collaboration, appelée des vœux de la presse et du public, qui s’avérera juteuse commercialement.
Abdel Wahhab fait écouter à Kalsoum Enta oumri (« Tu es ma vie »), une mélodie larmoyante sur un texte du poète Ahmed Chafiq Kamel. La chanson plaît à la diva qui exige toutefois quelques modifications et refuse l’utilisation d’une guitare électrique. « Au contraire, c’est nouveau, c’est moderne et la guitare est l’instrument idéal pour ce morceau », insiste Abdel Wahhab. « Le luth de Mohammed al-Kasabgi s’y adaptera mieux », rétorque l’Astre d’Orient. « Je ne conteste nullement l’immense talent d’al-Kasabgi, c’est lui qui m’a familiarisé avec le luth et me l’a fait aimer. Mais cet air ne peut se jouer qu’à la guitare », argumente Abdel Wahhab qui lui suggère aussitôt de confronter leurs deux positions. Ils font venir le guitariste Abdel Fettah Khaïri et al-Kasabgi qui, tour à tour, donnent leur version d’Enta oumri. Oum Kalsoum finit par être convaincue et donne «carte blanche» (en français dans la discussion) à son glorieux pair. Du coup, l’effet Enta oumri changera la donne dans les orchestrations orientales où il est désormais de bon ton d’user et abuser de longues introductions à la guitare et d’arabesques
interminables à l’orgue.
Au fond d’elle-même, Kalsoum est ravie de se débarrasser d’al-Kasabgi. Car la dame a la rancune tenace. Elle n’a jamais pardonné à son joueur de luth attitré – auquel elle a déjà imputé l’échec du film Aïda – de l’avoir trahie en composant pour sa plus sérieuse rivale, Asmahane, une magnifique chanson à
succès, intitulée Ya Touyour. Ainsi était la « Souma » avec les hommes qui écrivaient et composaient pour elle : sourde à leurs déclarations d’amour, avide de la quintessence de leur art, les estimant corvéables à merci et congédiables quand ils n’étaient plus inspirés. Très méticuleuse et plutôt suspicieuse, elle va jusqu’à n’accorder qu’à un seul photographe l’exclusivité de son image pour rester maîtresse de celle-ci. Du reste, en dehors d’un mariage blanc avec un de ses jeunes violonistes, afin d’obtenir l’autorisation de sortie du territoire égyptien pour raisons médicales, et de son hyménée tardive avec son docteur fétiche, on ne lui connaît aucune liaison. D’aucuns, toutefois, évoquent discrètement d’autres penchants...

Le caractère de la diva devient ombrageux après la guerre des Six-Jours, perdue, en 1967, par l’Egypte face à Israël.
Comme on avait reproché aux musiciens de l’Andalousie d’autrefois, d’avoir occulté le bruit des troupes d’Isabelle la Catholique, certains accuseront Oum Kalsoum d’avoir été complice de l’endormissement du peuple arabe. C’est par des actes qu’elle leur répond, se lançant dans une tournée à la fois majestueuse et engagée, au profit de l’effort de guerre, une longue tournée qui la mènera dans tous les grands pays
arabes – sauf l’Algérie et l’Arabie Saoudite – ainsi qu’à Paris, où elle fera sensation, à l’Olympia, en novembre 1967. C’est de là que, pour remonter le moral des troupes, elle déclama :
« Nous sommes des fedayins / Nous mourrons plutôt que de céder / Pas de trêve dans le combat », des mots forts qui, toutefois, ne justifiaient pas la polémique autour d’un couplet de pure imagination dans lequel elle aurait appelé à « égorger les Israéliens » ou « les Juifs ».
Après l’avoir galvanisée, sa série de concerts l’épuise, d’autant qu’elle souffre de crises de néphrite. Sa maladie s’aggrave. En 1972 – année de son ultime concert public au Palais du Nil –, elle se rend à Londres pour des examens qui établissent qu’elle est inopérable. La douleur se calme un peu après un séjour aux Etats-Unis d’Amérique, puis, à son retour, devient de plus en plus intolérable. Elle est conduite d’urgence à l’hôpital où elle succombe le 3 février 1975 à l’aube. Ses funérailles seront suivies, dans la cohue, les bousculades et les sanglots, par des millions de personnes.
Dans les années 1980, raillée par la nouvelle génération portée par le courant « gil music » (proche du raï), Oum Kalsoum ne hante plus que les souvenirs des anciens… Mais le purgatoire sera de courte durée. En l’an 2000, pendant le ramadan, un feuilleton sur sa vie – courant sur 37 épisodes ! – ravive les souvenirs et frappe les jeunes esprits. De grandes vedettes, comme Georges Wassouf, Nancy Ajram Aghram, Lubna Salamé, puis Rachid Taha, se mettent à revisiter quelques uns de ses classiques. On peut les écouter dans l’exposition, à l’emplacement réservé aux nouvelles tendances et à l’héritage d’Oum Kalsoum, et prendre ainsi la mesure de l’influence qui est la sienne sur les créateurs contemporains tant du monde arabe que du reste du monde. Musiciens, compositeurs, interprètes, certes… mais aussi dessinateurs, illustrateurs, couturiers, designers, auteurs de bandes dessinées, peintres et sculpteurs, ils sont nombreux à mettre leur art au service de celle dont l’ombre plane encore sur l’Egypte et bien au-delà, comme celle d’une « quatrième pyramide ».

Pratique

LIEU : La Médina de l’IMA, entrée par le Parvis.
HORAIRES
Du mardi au vendredi de 10h à 18h, les week-ends et jours fériés de 10h à 19h.
TARIFS
7 € (plein), 5 € (réduit*), 4 € (- 26 ans).
Tarif réduit spécial famille :
5 € pour les parents accompagnés
d’un enfant.
Entrée libre : Amis de l’IMA, handicapés,
carte ICOM / ICOMOS, moins de 12 ans,
conférenciers, guides touristiques, corps
diplomatique arabe et ministère des
Affaires étrangères.
IMA Pass (Musée & Oum Kalsoum) :
10 € (plein), 8 € (réduit*) et 6 € (- 26 ans).
Exposition
Oum Kalsoum, la quatrième pyramide
17 juin – 2 novembre 2008

pierre aimar
Mis en ligne le Lundi 21 Juillet 2008 à 15:41 | Lu 2721 fois
pierre aimar
Dans la même rubrique :