Paris, galerie Love&Collect : Gloire aux Chave du 10.01 au 14.01.2022

À plusieurs reprises déjà nous avons rendu hommage aux grands galeristes qui nous ont précédés. Dès l’ouverture de notre espace rue des Beaux-Arts, nous avons ressenti qu’inaugurer une galerie à Saint-Germain-des-Prés c’était s’inscrire dans une histoire.


Alphonse Chave (à gauche) avec Jean Dubuffet, à Vence en 1956
En intitulant notre exposition d’ouverture Chez Iris et Jeannine, nous entendions saluer la mémoire de deux grandes marchandes du quartier, Iris Clert et Jeannine de Goldschmidt, qui font partie de ces figures quasi mythiques qui nous ont donné l’envie et l’énergie de suivre notre propre voie. Depuis, nous avons aussi eu l’occasion de saluer par exemple Iolas le grand, autre galeriste incontournable du quartier, mais aussi de New York, Athènes, Genève, Milan…

Pour cette nouvelle semaine, nous avons choisi de rendre grâce à toute une dynastie, installée comme marchands de jouets puis d’art à Vence depuis 1940, d’abord emmenée par Alphonse Chave (dont la galerie ouvre en 1947, sous le nom prédestiné Les Mages) qui, jusqu’à sa disparition en 1975, a ainsi mené de front deux activités contigües :  galeriste et marchand de jouets et de matériel pour artistes dans son bazar voisin. Après 1975, c’est son fils Pierre, également lithographe et éditeur qui, avec son épouse Madeleine, lui a succédé.

Alphonse Chave était un chineur, un regardeur passionné et éclectique.
Dans les années 1950 et 1960, il a exposé des artistes qui avaient leurs habitudes dans la région, et étaient devenus ses amis, au premier rang desquels Jean Dubuffet, bien sûr, mais aussi Henri Michaux, Jacques Prévert, Georges Ribemont-Dessaignes, Max Ernst ou Man Ray… D’une curiosité totale, Chave invitait en outre sur ses cimaises quelques jeunes créateurs de l’École de Nice, Arman, César ou Robert Malaval. Son goût le portait naturellement vers les irréguliers, les singuliers, comme Ozenda, André Bauchant, Gabritschevsky, Philippe Dereux, Louis Pons, Gaston Chaissac, Fred Deux

Si la programmation de la galerie fait la part belle au Surréalisme ou aux marges de la littérature, c’est bien l’Art Brut qui en demeure la colonne vertébrale, marquée par l’intimité avec Jean Dubuffet, qui témoignait, évoquant Vence : Je n’ai qu’un ami ici, c’est le bon Alphonse Chave. Il aime plaisanter et rire. Il tient un petit bazar où se vendent des pointes Bic, des cahiers d’écolier, des jouets d’enfant, et, par ailleurs, une jolie galerie de tableaux où les clients manquent totalement et qui ne lui apporte que déficits calamiteux. Je prends le café avec lui chaque jour après le déjeuner de midi.

Accueillant, disponible, érudit aimant transmettre son regard sur l’art, Alphonse Chave avait une conception toute personnelle de l’activité de galeriste, entièrement tournée vers le partage et l’échange : Il n’est pas intéressant de faire de la communication, professait-il. Il est intéressant de se prouver que la chose existe. La communication s’annule très vite. Chez nous, c’était l’inverse. On est à Vence, on a une galerie, les gens savent ou ne savent pas mais ils passent un jour ou l’autre. Finalement on existe toujours (…) Il n’y a pas de grands ou de petits collectionneurs. Il n’y a que des gens qui s’intéressent à l’objet que l’on présente. Et certains ont la possibilité de l’acquérir. L’acquisition d’une œuvre prouve que la personne s’engage. Mais tous ceux qui ne peuvent pas acquérir, ils s’engagent aussi. Ils rentrent dans la galerie, ils voient les choses, ils participent par leur présence.

Son fils Pierre a eu à cœur de poursuivre cette singulière aventure, tout en y apportant sa propre sensibilité, dans le choix des artistes, mais également dans son ouverture vers l’estampe. C’est dans l’atelier de lithographie que Jean Dubuffet s’était fait installer à Vence que Pierre Chave découvre en 1958 l’intérêt spécifique de cette technique d’édition, dont il n’aura de cesse de percer les secrets, jusqu’à devenir le lithographe le mieux équipé de tout le Sud de la France. Dès 1966, il devient l’un des lithographes attitrés de Max Ernst, réalisant avec lui plus de deux cents lithographies. Son rôle ne se borne pas à celui d’un exécutant, ainsi qu’en a témoigné le maître du Surréalisme : pendant la mise en route d’une série de lithos en couleurs, mon ami Pierre Chave, lithographe émérite, raconte Max Ernst, a découvert, comme par hasard, l’éclat dû à la fortuité des compositions. Le procédé est bien simple : au lieu de jeter les épreuves obtenues par le hasard des surimpressions successives dans le panier à papier, prenez la peine – ou offrez-vous le plaisir – de les regarder attentivement de près ou (de loin). Laissez libre jeu aux jeux de votre imagination. Réjouissez-vous de la soudaineté de vos associations mentales et sensuelles, des harmonies et des dissonances de couleurs que le hasard vous a ainsi réservées. Cette découvert conjointe a donné lieu à une série de passionnants collages lithographiques !

Pierre Chave s’est éteint en décembre 2020, alors que le Musée National d’art moderne inaugurait, au sein de ses collections permanentes, un Hommage à la galerie Chave, dans une série de salles thématiques voulues par le directeur d’alors, Bernard Blistène, pour honorer les grandes figures du commerce de l’art en France au vingtième siècle, dont l’influence a excédé de loin la seule sphère commerciale.
Tout au long de l’année 2021, la Galerie Chave, qui perdure, a présenté un tout d’horizon de ses engagements artistiques en forme de triptyque, comme un tour d’horizon de la famille de pensée et de formes qu’elle a su fédérer depuis près de quatre-vingts ans, autour de notions aussi emblématiques que :  L’emprise du signe, De Dada… à demain, des esprits libres et affranchis et Au-delà du mur de raison… les mondes étranges, réunissant les grands créateurs auxquels le nom de Chave restera pour toujours attaché.

Info+

Love&Collect
Magasin d'histoires de l'art
8, rue des Beaux-Arts
75006 Paris
www.loveandcollect.com

Du mardi au samedi
De 14h à 19h
collect@loveandcollect.com
+33 6 23 82 57 29

Pierre Aimar
Mis en ligne le Dimanche 9 Janvier 2022 à 18:34 | Lu 166 fois
Pierre Aimar
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