Pello Irazu. Panorama. Guggenheim Museum Bilbao, exposition du 10 mars au 25 juin 2017

Figure-clé du renouvellement de la sculpture basque et espagnole contemporaine, Pello Irazu développe depuis trois décennies une solide trajectoire dans laquelle la sculpture, dans son sens le plus large, côtoie la photographie, le dessin et la peinture murale.


Formes de vie 304 (Life Forms 304), 2003–12 Photo © FMGB Guggenheim Bilbao Museoa, Bilbao, 2017

Indépendamment du médium employé, le travail d’Irazu aborde de façon exhaustive les problèmes que suscitent les multiples relations entre nos corps, les objets, les images et les espaces.
L’agencement de l’installation s’appuie sur un dispositif conceptuel et physique conçu par le propre artiste et qui reprend quelques-unes des pièces et des jalons les plus significatifs de sa carrière.

Le Musée Guggenheim Bilbao présente Pello Irazu. Panorama,

une analyse de trente ans de trajectoire de l’un des protagonistes du renouvellement de la sculpture basque et espagnole contemporaine. Comme l’indique le titre, plus que le regard en arrière que suppose toute rétrospective, il s’agit d’une vision multidirectionnelle dans laquelle le temps se replie dans l’espace pour offrir une sorte de paysage.

Composée d’une grosse centaine d’œuvres, l’exposition s’appuie sur un dispositif conceptuel et physique conçu par l’artiste, qui recueille quelques-uns des jalons et de pièces les plus significatifs de sa carrière. Le but est de créer une espèce de regard simultané dans lequel le passé et le futur finissent par se rencontrer et se rétroalimentent dans un présent continu. Les cimaises de la galerie 105 du Musée contribuent à créer une enveloppe qui rend le spectateur partie prenante de l’œuvre et l’invite à réfléchir sur le langage de la sculpture.

Pello Irazu est une figure-clé du panorama artistique contemporain. Bâtisseur depuis les années quatre-vingt d’une œuvre qui se caractérise par sa cohérence, il alterne la sculpture dans son sens le plus large —des propositions tridimensionnelles de petite taille aux installations colossales en passant par les objets hybrides— avec la photographie, le dessin et la peinture murale. Indépendamment du médium employé, son travail aborde de façon exhaustive les problèmes que suscitent les multiples relations entre nos corps, les objets, les images et les espaces.

Cette rétrospective s’organise à partir d’un grand couloir qui bissecte diagonalement la zone centrale de la salle ; autour de ce couloir, de façon circulaire, s’organisent plusieurs espaces qui abritent différentes pièces. Le parcours de l’exposition est conçu comme une expérience spatiale complexe dans laquelle le visiteur peut à tout moment bifurquer entre différents itinéraires plus ou moins linéaires. L’espace-couloir central offre un développement chronologique des travaux sur papier les plus significatifs d’Irazu, ainsi qu’une peinture murale réalisée pour l’occasion qui illustre l’évolution de ses dessins, collages et peintures, tandis que les espaces périphériques accueillent ses travaux de sculpture et photographiques.

L’œuvre de cet artiste couvre tout le spectre possible de formats et de techniques, qui vont de l’esquisse minuscule au grand format, du crayon et de l’aquarelle au papier peint, du ruban adhésif aux impressions de toute sorte. L’exposition permet également au visiteur de découvrir différentes formes d’expression plastique, figurative, géométrique, documentaire ou gestuelle.

Parcours de l'exposition

1984–89 Premières années
Le parcours commence au milieu des années quatre-vingt avec les travaux sur support photographique des premières expériences éphémères d’Irazu, genèse de sa première pièce en acier, dont l’imposante présence physique est subtilement minée par le rappel partiel de la peinture. C’est dans ces années-là que surgit ce que la critique contemporaine baptise comme la « Nouvelle sculpture basque ». Ses créateurs —Pello Irazu, Txomin Badiola, Angel Bados, María Luisa Fernández ou Juan Luis Moraza…— rejetant une tradition locale en matière de sculpture, portent un regard critique sur le travail de Jorge Oteiza à partir de perspectives plus contemporaines comme le minimalisme, le post-minimalisme et l’art conceptuel.

Au cours de cette première étape, Irazu pose déjà quelques-uns des paramètres qui vont marquer toute sa trajectoire, comme le fait de limiter la taille de l’œuvre en fonction de ses propres possibilités physiques, de sorte que la pièce agit comme un condensateur de l’acte performatif, ou celui d’affronter, toujours sous un angle hétérodoxe, sa proximité du minimalisme et d’Oteiza.

Ces années-là, Pello Irazu crée des œuvres d’une intense densité matérielle, comme Gante (1988), qui provoquent une discontinuité spatiale là où elles s’insèrent. Peu à peu il incorpore la couleur dans son travail avec l’application d’épaisses couches de peinture à l’huile, comme dans La Terre qui dort (La tierra que duerme, 1986), ou de peinture en aérosol plus industrielle. Comme l’explique l’artiste, “dans les deux cas, mais avec des nuances, il s’agit de susciter une contradiction entre l’optique (l’œil) et l’haptique (le tact), avec leurs différentes spatialités”.

Dès cette première étape Irazu commence à travailler sur des supports comme le dessin, mais qui restent habités par la sculpture. Ses dessins et ses peintures, développés en parallèle avec des travaux sur d’autres supports, ne sont pas envisagés comme des esquisses ou des amorces de futures sculptures, mais comme des œuvres indépendantes. En 1989, Irazu produit sa première peinture murale, Couloir (Corredor), à la galerie Joan Prats de Barcelone. Il y transpose les questions étudiées dans le dessin dans des situations plus liés à l’espace réel. Avec ses interventions sur le mur, que ce soit avec la peinture, la sculpture ou la photographie, et l’agencement de ses sculptures dans l’espace avec la fragmentation de ce dernier, Irazu modifie la perception de l’observateur tout le long du parcours.

1990–98 Nouveaux objets — L’espace domestique

Après un bref séjour à Londres, en 1989 Irazu s’installe à New York. Commence alors pour l’artiste une étape placée selon lui sous le signe de l’extériorité, “car l’important, ce n’est pas seulement la distance que tu établis avec ce que tu laisses, mais aussi le fait que tu te transformes en quelque chose d’extérieur à toi-même”. Cette décennie est représentée par des œuvres à base de matériaux industriels plus légers et accessibles, comme le contreplaqué ou le plastique, parsemés de développements expressifs et de constants clins d’œil à l’espace domestique. Les pièces jouent avec les références architecturales qui disparaissent en tant que simple construction, mais dans lesquelles il maintient des signes qui leur appartiennent, comme la brique ou le dialogue avec l’objet domestique.

Pendant cette période, il déconstruit les objets pour les remonter de façon discontinue, créant ainsi un effet d’étrangeté sur la signification d’objets et de matières quotidiennes. Dans des travaux comme Inconnu (Unknown, 1994) ou After Pris (1997), Irazu souligne la tension entre public et privé, multipliée dans des photographies comme White St., (1992) ou Commutateur (Switch, 1997), des images du processus de création privé destinés à une relation publique avec d’autres pièces de l’artiste, qui intervient dans l’espace et sur le mur en créant une espèce de trompe-l’œil ou de fenêtre ouverte sur une action réalisée dans un espace privé. “Le domestique, le familier devient perturbateur par un processus d’étrangeté.” Il parvient aussi à cette sensation déstabilisante dans Le Bon maître (sur la table étant lui-même comme un morceau de bois) [The Good Teacher (on the table being itself a piece of wood), 1993] ou La Fiancée (tu seras ce que tu veux être) [The Bride (you will be whatever you want), 1993], où il intervient sur les socles, les tissus à la trame exagérée qui habillent les pièces ou le titre de celles-ci.

Dans les dessins et peintures de cette époque, Irazu applique des couleurs élémentaires sur des papiers trouvés, peints ou imprimés qui lui servent de point de départ, que ce soit dans la continuité ou en réaction, pour aborder l’œuvre. Il ajoute de nouvelles couches à ses dessins en y introduisant des matériaux comme le ruban adhésif, comme dans La Blessure 5 (The Wound 5, 1998), qu’il emploie non seulement pour créer une trame alternative, mais aussi pour rattacher ensemble des éléments disparates.

1999-Actualité

À partir de l’année 2000, de retour à Bilbao, Irazu s’engage dans une nouvelle direction avec des œuvres qui remettent en cause les signes qui nous entourent par le biais de formes évocatrices pour le spectateur mais éloignées de leurs référents, créant ainsi une sensation à la fois de familiarité, d’ambigüité et d’étrangeté. Irazu s’approprie de l’espace en combinant la peinture murale avec des matériaux tridimensionnels et en se faufilant entre les limites floues des catégories artistiques telles que les définissent les canons, comme c’est le cas dans Acrobat (2000) où la peinture murale fracture la paroi que la sculpture scelle.

Signalons ainsi l’installation Formes de vie 304 (Life Forms 304, 2003), appartenant à la Collection du Musée Guggenheim Bilbao, conçue par l’artiste pour la salle 304 du Musée et aujourd’hui adaptée à ce nouvel espace. La peinture murale qui, à l’instar d’un pentagramme, entoure le spectateur, modifie notre perception de l’espace et de l’architecture, ainsi que notre relation avec l’objet construit. Nous nous trouvons dans une espèce de refuge impraticable et instable dans lequel se combinent la couleur et différents matériaux quotidiens, comme le ruban adhésif ou le contreplaqué. L’impression est que nous sommes face à une déconstruction préalable à la reconstruction, face aux décombres réutilisés d’architectures ou d’espaces auparavant habités. Dans la ligne de cette pièce et d’autres similaires de la période, il réalise des sculptures comme Pli 04 (Pliegue 04, 2005), qu’il conçoit comme des “dessins en trois dimensions”, des œuvres qui partent de l’idée de “prendre un dessin, le découper, le plier et le mettre dans l’espace, mais de façon réelle”.

Dans les œuvres sur papier, comme Jeanpoubelle (Juanbasura, 2003), les formes sont simples et laissent deviner des objets quotidiens, comme des poches ou des visages hérités de l’histoire de l’art, à travers la superposition de différents matériaux et de corps transparents.

Les derniers espaces abritent les travaux les plus récents, qui explorent la notion de représentation dans la sculpture par le biais de processus de reproduction, comme le moulage en plâtre, la fonte d’aluminium, de bronze ou d’acier, ou la photographie. Dans des œuvres comme Noli me tangere (La Méfiance) [Noli me tangere (La desconfianza), 2009], dont le titre est tiré de l’épisode biblique récurrent dans l’histoire de l’art au cours duquel Jésus s’adresse à Marie Madeleine après sa résurrection, Irazu crée des pièces en fonte d’aluminium qui, visuellement, rappellent d’autres matériaux, comme le carton, et les assemble avec des vis, donnant ainsi lieu à des équivoques entre le matériau réel et celui représenté. Pour l’artiste, “l’articulation entre elles est plus proche de l’idée d’accumulation que de celle d’un assemblage”. Dans Annonciation (Anunciación, 2014) —dont le titre renvoie à un sujet fondamental dans l’histoire de l’art, dont la représentation a joué un grand rôle dans le développement de la perspective en peinture—, des photographies sérialisées reproduisent l’environnement immédiat (l’atelier et les processus de production), qui peu à peu est transformé par la peinture comme dans une espèce de trompe-l’œil, abordant ainsi la relation entre la représentation, la matérialité et l’ornementation.

Dans un clin d’œil à l’“éternel retour” et à la circularité de tout travail artistique, l’exposition se termine là où elle commence sur des photographies et des sculptures métalliques qui évoquent celles qui ouvrent l’exposition.

Pratique




Pierre Aimar
Mis en ligne le Lundi 27 Février 2017 à 14:02 | Lu 164 fois
Pierre Aimar
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