Perpignan, Àcentmètresducentredumonde, exposition Mery Sales « Personnages hors champ », du ? au 06 Juin 2021

Ces dernières années, ma peinture m’a conduite vers ses lisières. Depuis sa périphérie, j’ai découvert d’autres points de vue, associés à des espaces jusqu’alors niés ou ignorés et qui, pour leur grande majorité, portent des noms de femme : Hannah Arendt, Simone Weil et María Zambrano.


Mery Sales, Court récit, 2019. Série Après les décombres. Huile sur toile, 130 x 100 cm
L’empreinte laissée par leurs voix défie les paramètres de leur époque et cherche encore aujourd’hui un espace légitime pour être remarquée. Elles ont toutes trois échappé au carcan de leur époque, notamment parce qu’être une femme philosophe était alors totalement impensable et qu’elles ont osé emprunter une voie qui justement sortait des sentiers battus.
Travailler sur leur pensée procède au début d’un besoin intime inaliénable mais le potentiel de transformation de leur pensée m’amène à la traduire, à ma manière, en peinture et à essayer de la transcender.
Elles nous permettent de faire le lien entre une période et une autre, de dénouer les nœuds du passé pour en tisser de nouveaux dans la trame collective du présent.
Mery Sales

La définition la plus évidente de l’autoportrait est celle qui le définit comme un portrait exécuté par la personne elle-même. Une précision qui, dans l’œuvre de Mery Sales, est le point de départ pour aborder les regards et les voix d’Hannah Arendt, Maria Zambrano et Simone Weil, trois femmes auxquelles Mery allie son propre visage. L’artiste partage avec elles une forme engagée de penser et de participer à la trame poétique de la vie. Elle les analyse pour apprendre sur elle-même et trouver des réponses à ses propres préoccupations éthiques et politiques en tenant compte de son identité de genre. Ce n’est pas par hasard que son œuvre picturale se concentre sur l’identité féminine de ces trois philosophes oubliées, ignorées et même effacées de la pensée occidentale contemporaine. Elles sont ses interlocutrices et le miroir où se regarder pour découvrir tout ce qui est resté
invisible et hors champ. Leurs portraits, leurs visages en tant que zone primordiale du corps qui privilégie l’expression humaine président à cette exposition car, pour le dire selon les mots d’Emmanuel Levinas « le visage fournit la première signification » et en même temps « instaure la signification même de l’être ».

À partir de cette considération, l’artiste puise son inspiration dans la vie, la mort, les doutes et les inquiétudes de ces femmes dans l’intention d’exprimer picturalement la dimension charnelle et spirituelle d’une personne dont la condition permanente est la souffrance et une existence plongée dans l’obscurité. Un point de vue que l’artiste met en exergue dans un autoportrait devant une toile blanche vêtue d’une combinaison dont elle est vêtue lorsqu’elle peint.
Une métaphore par laquelle elle nous fait savoir que la peinture est une deuxième peau et l’art le produit d’un corps humain vivant et ressentant, d’un être humain capable de sentir et se ressentir et de percevoir en se percevant. De telle sorte, que l’œuvre de Mery Sales ne peut se concevoir sans le pathos, sans l’expérience du sentiment humain. Une tragédie qu’elle cerne dans un ensemble de portraits d’êtres anonymes, changés en parias conscients par la logique impitoyable d’un modèle économique globalisé. Ce sont des portraits qui soutiennent notre regard et qui, la peinture étant un art qui n’exprime pas les pensées avec des mots, nous fait réfléchir sur l’absence d’unité qui domine la vie en commun que nous avons construite.

Info+

Centre d’Art Contemporain àcentmètresducentredumonde
3, avenue de Grande Bretagne, 66000 PERPIGNAN

Ouvert du mardi au dimanche de 14h à 18h
www.acentmetresducentredumonde.com
contact@acmcm.fr
04 68 34 14 35

Pierre Aimar
Mis en ligne le Lundi 5 Avril 2021 à 14:16 | Lu 164 fois
Pierre Aimar
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